Au 9ème anniversaire de la révolution, Haftar assassine les rêves des Libyens (Analyse)
Les rebelles ont déposé Kadhafi en 2011 et luttent jusqu'à leur dernier souffle pour ne pas cloner son régime via le général à la retraite.

Istanbul
AA / Mustapha Dalaa
Avant le 17 février 2011, il était difficile d'imaginer que le peuple libyen, soumis à un régime autoritaire qui n'a pas hésité à tuer près de 1300 détenus en une seule journée dans la prison d'Abou Salim en 1996, puisse se rebeller, tisser de solides liens de loyauté avec des chefs de tribus influents, et transférer l’épicentre de la force militaire aux brigades sécuritaires, sous la conduite des fils du peuple.
Néanmoins, et malgré l’ensemble de ces intimidations et incitations, le peuple libyen n'a pas dévié de la règle du "domino", qui a fait chuter le flanc occidental en Tunisie, puis celui oriental en Égypte, et le régime de Mouammar Kadhafi a demeuré au milieu en Libye, récalcitrant à la logique des peuples, bien qu'il ait été le premier dirigeant arabe à prédire la chute de tous les dirigeants arabes, après l'effondrement du régime de Saddam Hussein en Irak (1979-2003).
L'étincelle de la révolution a éclaté dans la ville de Benghazi (est), en ce jour de 17 février 2011, par des manifestations pacifiques qui ont du faire face aux balles réelles des forces de Kadhafi (1969-2011) tout en échouant à les déjouer, ce qui accru la colère des manifestants, prélude aux scissions au sein de l’armée, du gouvernement et du corps diplomatique. Des contestataires en colère ont pris d'assaut une caserne chargée d’armes.
La ville de Benghazi est rapidement tombée aux mains des rebelles, notamment après la défection du ministre de l'Intérieur et commandant des forces spéciales, le général Abdelfattah Younes, avec environ trois mille de ses hommes. De même, Mehdi al-Barghathi, commandant du régiment des chars de Benghazi, a rejoint la révolution, et ce n'est que quelques jours avant que la ville et tout l'est libyen ne soient sous le contrôle des rebelles.
En guise de réaction, Kadhafi, très en colère, a décidé de dépêcher ses bataillons à Benghazi pour étouffer la révolution dans l’œuf. Cependant, l’étincelle de la révolution s'est propagée à d'autres villes de l'ouest libyen, telles que Misrata (200 km à l'est de la capitale Tripoli) et Zenten à Jebel Nefoussa (170 km au sud-ouest de Tripoli), voire la ville de Zaouia, située à peine à environ 50 km de la capitale.
Kadhafi a échoué accéder à Benghazi après l'intervention de l’aviation d'une coalition internationale, dirigée par la France, mais il a résisté pendant de nombreux mois durant lesquels il a pris d'assaut la ville de Zaouia, torturé ses révolutionnaires, et assiégé Misrata, qui n'était approvisionnée que par voie maritime.
Quant au Zenten, qui était assiégée et isolée, les Français ont réussi à aménager une piste d'atterrissage secrète et à fournir les rebelles par des missiles antichars.
Il était attendu à ce que les rebelles puissent entrer à Tripoli par l'est, mais les brigades de Kadhafi les ont toujours repoussés militairement dans la zone militaire "molle" du croissant pétrolier. Cependant, , la résistance affichée par Misrata et Zenten face au siège a été le prélude à l'effondrement des brigades Kadhafi dans la région occidentale. Après que les rebelles des deux villes aient atteint les portes de Tripoli, une surprise a eu lieu lorsque l'un des régiments chargés de protéger la capitale a jeté les armes, abandonné Kadhafi, et ce en coordination entre son commandant et les rebelles.
La chute de Tripoli fût rapide, et Kadhafi a tenté de se protéger en faisant appel à sa tribu dans la ville de Syrte (450 km à l'est de Tripoli), mais les rebelles l'ont pourchassé jusque là-bas et l'ont tué le 20 octobre 2011, après plus de huit mois de révolution.
La chute de Kadhafi …et après ?
Peu avant la chute du régime de Kadhafi, le Conseil national de transition (Direction de la Révolution) a publié, en août 2011, une Déclaration constitutionnelle, qui faisait office de Constitution provisoire du pays, et en vertu duquel des élections du Congrès national général (Assemblée constituante) ont eu lieu le 7 juillet 2012.
Cette étape a été conduite par Mustapha Abdeljélil, président du Conseil de transition, et Mahmoud Jibril, président du Conseil exécutif (agissant en tant que gouvernement intérimaire).
Les élections du Congrès national général ont abouti à la victoire de l'Alliance de Jibril formée de petits partis, avec un léger avantage par rapport au parti de la "Justice et de l’Edification » (d’obédience islamique modérée).
Abderrahmèn al-Kib a hérité du gouvernement et la Libye a été confrontée au problème de la prolifération des armes ainsi qu’à la difficulté d’édifier une armée unifiée et à la concurrence entre les brigades des rebelles pour prendre le contrôle de points sensibles, en particulier dans la capitale, au premier rang desquels figure l’aéroport international de Tripoli.
Les «Boucliers» (assimilés aux Gardiens de la Révolution) ont été mis sur pied pour contenir les brigades des rebelles en tant que force supplétive de l’armée. Les politiciens se sont souvent plaints de l’intervention des brigades dans l’action du gouvernement et du parlement, à telle enseigne que le Chef du gouvernement, Ali Zeidan, a été enlevé en 2013 avant d’être libéré quelques jours plus tard.
Haftar divise le pays
La situation sécuritaire et politique était extrêmement fragile, et l’Assemblée constituante a échoué à promulguer une constitution permanente, malgré la prolongation de son mandant, de deux ans au lieu d’une année. Sous la pression populaire, l’Assemblée a approuvé la tenue d’élections législatives pour élire une chambre de députés avec un mandat d’une seule année.
Environ 40 jours avant le déroulement des élections législatives, un général à la retraite, du nom de Khalifa Haftar, a lancé « L’opération de la Dignité", à la mi-mai 2014. Il a ainsi divisé les institutions du pays et les régiments militaires entre partisan et hostile à son projet « cloné » du régime de Kadhafi, selon des observateurs.
Haftar a obtenu le soutien de la majorité des tribus de l’est libyen, mais a échoué à prendre le contrôle de Benghazi. Dans l’ouest, Tripoli a été divisée entre les brigades de Misrata et leurs alliés d’une part, et entre le Zenten et ses partisans. Misrata a formé la coalition « Fajr Libya » (L’Aube de la Libye) qui a réussi à expulser les bataillons soutenant Haftar de l'aéroport et de l’ensemble des quartiers de la capitale.
Politiquement parlant, la plupart des ministres du gouvernement de Abdallah al-Théni ont rallié Haftar, et se sont déplacés de Tripoli vers la ville d'al-Baydha (est), qui est soumise au contrôlé du chef de « L'opération de la Dignité ».
Pour ce qui est du nouveau parlement, plus des deux tiers de ses membres se sont rangés du côté de Haftar, et ont tenu leur première réunion dans la ville de Tobrouk (extrême-est), au lieu de Tripoli, avant de s'installer définitivement à Benghazi, comme le prévoit le texte de la Déclaration constitutionnelle.
Cette situation a abouti à une division au sein d’une armée, déjà fragile, au retour de l’Assemblée constituante à l'activité, sous prétexte de violation par les « députés » de la Déclaration constitutionnelle, et à la formation d'un nouveau gouvernement à Tripoli, sous l’appellation de « Gouvernement du Salut", en contrepartie du gouvernement provisoire à al-Baydha.
Haftar a bénéficié du soutien militaire des Émirats Arabes Unis, de l'Égypte et de la France, ce qui lui a permis de réaliser quelques progrès à Benghazi, mais les deux tiers de la superficie de la Libye et de ses habitants étaient sous le contrôle du gouvernement du Salut de Tripoli.
A la fin de l’année 2015, et sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies, deux délégations représentant la chambre des députés de Tobrouk et le Congrès National de Tripoli, sont parvenues à former un Conseil présidentiel composé de neuf membres, dirigé par Fayez al-Sarraj, qui préside, également, le gouvernement de l’Entente nationale, reconnu par la communauté internationale.
Cependant, Haftar a estimé qu’il est la première cible de cet accord politique signé dans la ville marocaine de Skhirat, dès lors qu’il octroie le pouvoir de nommer des chefs militaires au Conseil présidentiel, et partant, il a œuvré à entraver l’application de l'accord.
Les « petites » guerres de Haftar
Le Conseil présidentiel a réussi à entrer à Tripoli, à la fin du mois de mars 2016, malgré l'opposition du gouvernement du Salut, dirigé par Khalifa Al-Ghawil. Néanmoins, les manœuvres de Haftar et du président de la chambre des représentants qui lui est loyale, Akila Salah, ont avorté l’obtention par le gouvernement de l’entente de la confiance du parlement, bien que la majorité des députés l'ait soutenu.
Le gouvernement de l’Entente est entré en conflit avec le gouvernement du Salut à Tripoli, conflit qui s’est soldé par un sacre militaire du premier en 2017. Haftar a exploité cela en éliminant les derniers bastions du Conseil de la Choura des Rebelles de Benghazi dans la ville en 2017, au terme de trois ans de combats.
Haftar a pris le contrôle de deux bases aériennes stratégiques à Sebha (sud-ouest) et à al-Jofra (centre) en 2016. Ses milices ont pris d'assaut la ville de Derna (est), en 2018, après plus de huit mois de combats contre le Conseil de la Choura des « Moujahidine » de Derna.
A l’orée de l’année 2019, Haftar a exploité un conflit tribal dans la région du Fezzan (sud) pour lancer une opération militaire via laquelle il a réussi, en deux mois de combats, de prendre le contrôle de la plupart des villes et localités de ladite région, en particulier les aéroports et les champs pétroliers.
Après que ses partisans aient réussi à s’implanter dans les villes de l'Ouest et conclu des accords avec certains de ses bataillons, Haftar a déplacé, le 4 avril 2019, ses milices de l'est de la Libye vers Tripoli. Mais, l'unification des efforts des brigades de Misrata, du Zenten et de Zaouia, ainsi que les celles de Tripoli, l’a privé d'une victoire rapide.
Malgré l’accord conclu par 12 Etats et 4 organisations régionales et internationales, lors de la Conférence de Berlin du 19 janvier dernier, sur la nécessité de respecter le cessez-le-feu, en vigueur depuis le 12 du même mois à la faveur d’une initiative turco-russe, et l'approbation par le Conseil de sécurité des décisions de la conférence par une résolution internationale, il n’en demeure pas moins que Haftar a, au mépris de la communauté internationale, déclaré son refus du cessez-le-feu jusqu'à ce qu’il accède à Tripoli.
Le rêve caressé par la révolution n’a pas été réalisé
Lorsqu'ils se sont révoltés contre Kadhafi, les Libyens ont caressé le rêve de vivre en sécurité et dans la dignité, et que leur pays devient développé et s'ouvre au monde extérieur, dans la mesure où la Libye, est un pays riche en pétrole et en gaz, et que sa population est peu nombreuse (6,9 millions d’habitants) pour un si grand pays et qu’ils peuvent atteindre facilement le niveau de vie des pays du Golfe, en termes de prospérité.
Les Libyens relatent avec une fierté mélangée à de l’amertume que l’un des princes de Dubail avait visité Tripoli, à l’époque du Roi Mohamed Idriss Senoussi (1951-969) pour des soins ophtalmologiques. Tombé sous le charme de la capitale libyenne, le prince émirati avait lancé à l’adresse du souverain libyen : « Je souhaite vivement que Dubaï devienne comme la Perle de la Méditerranée » (titre accordé à l’épique à Tripoli).
Cependant, il existe aujourd’hui, un gap et un fossé énorme, qui sépare Dubaï de Tripoli, bien que cette dernière regorge d’authenticité et d’histoire, et que ces vieilles ruelles respirent la civilisation.
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