Attaque au couteau à la mosquée de la Grand-Combe: Le gouvernement sous le feu des critiques
-Après avoir mis presque 48 heures à réagir, l’Exécutif s’est engouffré dans un débat jugé stérile sur l’usage du mot « islamophobie » marquant un « deux poids deux mesures » par rapport à des attaques ayant touché d’autres religions.

Provence-Alpes-Cote d Azur
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Vendredi matin, alors qu’il se trouvait seul dans l’enceinte de la mosquée de la Grand-Combe, dans le Gard, Aboubakar, 22 ans, a été froidement lardé d’une cinquantaine de coups de couteau.
L’assaillant, qui a rapidement pris la fuite, a pris le soin de filmer sa victime agonisante, en insultant Allah, ne laissant que très peu de place au doute, quant au mobile islamophobe de cette attaque.
Alors que tous les ingrédients de ce drame, auraient du pousser les autorités à réagir avec célérité et à rapidement condamner et nommer les faits, il aura fallut attendre samedi soir, pour qu’enfin, le Premier Ministre François Bayrou ne dénonce « l’ignominie islamophobe » dans une publication sur le réseau social X.
S’en est suivie, une pluie de réactions de la part de divers responsables politiques, Emmanuel Macron en tête.
Mais au fil des heures, si même Marine Le Pen et Jordan Bardella ont apporté leur soutien à la famille de la victime et condamné son assassinat, le débat public a été ouvertement pollué par une polémique très française, sur l’usage du mot « islamophobie » dont une certaine frange de la classe politique assure qu’il a été inventé par des mollah iraniens dans l’unique but de faire taire toute critique de l’Islam.
En tête de gondole, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, à l’origine de diverses offensives verbales à l’égard des musulmans, s’est illustré en affirmant que le mot « islamophobie » avait « une connotation idéologique très marquée vis-à-vis des Frères Musulmans » qui justifie de l’écarter de son vocabulaire.
L’ancienne ministre Ségolène Royal, a réagi à la polémique en critiquant dans un premier temps le délai de 48 heures qu’il a fallut au locataire de Beauvau pour réagir et se rendre dans le département sans pour autant aller sur les lieux du drame.
« Le délai a été très long pour venir sur place. Quand il y a un acte aussi atroce qui met en jeu le principe même de la République, normalement un ministre se déplace dans l’heure où tout au moins dans la journée, et pas 48 heures après » a-t-elle affirmé.
Et de poursuivre: « Quand il y a un acte aussi atroce, il faut faire attention à ne pas en rajouter sur la polémique politique. Là on a en plus une polémique sur le mot islamophobie. C’est invraisemblable. On a un ministre actuel qui nous explique qu’islamophobie est un mot inventé par un islamiste alors que phobie ça vient de phobos, en grec ancien. Ce ne sont pas les islamistes qui ont inventé ce mot et d’ailleurs le Premier Ministre l’a utilisé et vous avez un de ses ministres qui conteste! ».
Pour Maître Rafik Chekkat, avocat au barreau de Marseille « les polémiques autour du mot islamophobie sont indécentes ».
S’il concède qu’aucun « concept n’est hors du débat public » l’auxiliaire de justice considère que « relayer la fake news complotiste sur la soi-disant « invention du terme par les Mollahs iraniens » est parfaitement scandaleux dans le contexte actuel ».
« Note aux islamophobes: si le terme islamophobie a été inventé pour « empêcher toute critique de l’islam », le moins que l’on puisse dire est que ça ne marche pas. On vous entend partout déverser votre haine des musulmans » a-t-il enfin grincé.
S’agissant de la posture adoptée par Bruno Retailleau en la matière, l’avocat marseillais accuse le ministre de l’Intérieur de dénoncer « une « violence » antimusulmane à laquelle il contribue par ses outrances sur le voile, ses attaques contre des imams, des mosquées, des écoles, sa rhétorique complotiste sur le « frérisme » et son dénigrement permanent de la lutte contre l’islamophobie ».
Et Rafik Chekkat, n’est pas le seul, dans la profession, à s’offusquer du positionnement de Bruno Retailleau.
Seydi Ba, avocat au barreau de Paris, pointe lui aussi des déclarations du ministre dont il juge qu’il « s’avance, drapé de vertu, avec la posture du juste, pour offrir une solidarité factice à ceux qu’il n’a cessé de stigmatiser et d’humilier ».
« Comme si ses années d’invectives et de surenchères xénophobes n’avaient pas contribué, jour après jour, à enraciner l’islamophobie dans les esprits et les institutions de ce pays. Nous ne voulons pas de la solidarité cynique de Retailleau. Nous exigeons son silence. Et mieux encore : son départ » a-t-il conclut.
Le chef de file de LFI (La France Insoumise), Jean-Luc Mélenchon, qui a participé dimanche à un rassemblement contre l’islamophobie en hommage à Aboubakar, considère que cette attaque au couteau est « résultat des incessantes incitations à l'islamophobie » et que « cette violence est le résultat d’un climat islamophobe cultivé pendant des mois » poussant « des esprits dérangés » à trouver « une justification pour leurs actes ».
Mais dans les faits, si à gauche la dénonciation de l’islamophobie a été naturelle, à travers également les mots de Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, et des parlementaires de LFI, l’usage du mot est bien moins évident du côté du PS (Parti Socialiste) encore manifestement marqué par l’idéologie distillée en son sein par l’ancien Premier Ministre Manuel Valls.
Celui-ci, devenu macroniste, a longtemps été identifié comme l’un des porte-voix de la « gauche laïciste » et s’est donc de nouveau illustré par des déclarations visant à rejeter le mot islamophobie, dans la même logique que Bruno Retailleau.
« Je ne parle jamais d’islamophobie. C’est un terme qui a été inventé il y a plus de 30 ans par les mollah iraniens pour clouer au pilori Salman Rushdie » a-t-il affirmé alors que cette information a été mainte fois contredite par des éléments historiques.
Pressée par les journalistes, ce lundi en conférence de presse, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a tenté, sans convaincre, d’apaiser le débat.
« Nos compatriotes musulmans, dans l’exercice de leur religion, doivent être protégés. Nous sommes dans un cas qui mérite de la dignité, de la gravité et de la détermination » a-t-elle fait valoir, affirmant que les faits ne méritent pas « que nous nous écharpions, les uns et les autres, sur du vocabulaire » se refusant à « toute polémique sur les mots ».
Sophie Primas a en outre rejeté l’idée d’un « retard à l’allumage » et d’un « deux poids deux mesures » vis-à-vis des autres religions.
Et de conclure: « Penser que Bruno Retailleau néglige ce fait, qui est extrêmement lourd pour la société et qui dit beaucoup de la violence qui s’exerce dans notre société, est indigne. Tout ça mérite un peu plus de hauteur. Il n’y a aucun deux poids deux mesures. C’est l’égalité pour tout le monde, dans la considération que nous avons de la sécurité des français quelle que soit leur religion ».
Pour autant, en dépit des dénégations du gouvernement, plusieurs éléments poussent à s’interroger sur la considération réelle apportée par les pouvoir publics.
L’absence de saisine du PNAT (parquet national antiterroriste), l’absence de déplacement officiel d’un ministre dans l’enceinte de la mosquée de la Grand-Combe, le délai de 2 jours qu’il a fallu à l’Exécutif pour réagir, et l’absence d’un membre du gouvernement à la marche blanche organisée dimanche en hommage à la victime, laissent à la communauté musulmane, un goût amer.
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