Politique

Après les « deux France » de la présidentielle, les « trois France » des législatives (Analyse)*

Ekip  | 29.04.2022 - Mıse À Jour : 29.04.2022
Après les « deux France » de la présidentielle, les « trois France » des législatives (Analyse)* Photographe: Mohamed Mdalla - AA

Tunisia


AA/Tunis/ Hmida Ben Romdhane

Une pancarte arborée par un électeur et dont le message est adressée directement au président français réélu dit ceci : « On t’aime pas, mais pas le choix ». En d’autres termes, une bonne partie de ceux qui ont réélu Emmanuel Macron, ne l’ont pas fait par amour pour sa personne ou par adhésion à son programme, mais par nécessité. La nécessité de faire barrage à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite française.

Cette vérité a été reconnue et exprimée par l’intéressé lui-même qui, dans son message de remerciement aux électeurs, a affirmé : « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite, et je veux ici les remercier et leur dire que j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir. »

Emporté par l’enthousiasme de sa réélection, Macron est allé jusqu’à s’engager à « œuvrer pour une société plus juste » et que, lors de son deuxième et dernier quinquennat, « nul ne sera laissé au bord du chemin »…

Ce qu’il faut souligner ici est que le premier quinquennat de Macron a confirmé l’idée largement répandue qu’il était le candidat du grand capital et des milieux financiers français. On en veut pour preuves les troubles à grande échelle provoqués par la colère des « Gilets jaunes », la dégradation des conditions de vie des couches populaires et les profits faramineux engrangés par le capital et les fortunes.

Alors la question qui se pose ici est la suivante : Si lors de son premier mandat le président français n’a rien fait pour réduire un tant soit peu les injustices sociales, sa promesse maintenant que « nul ne sera laissé au bord du chemin » est-elle crédible ? Le doute est d’autant plus permis que, n’ayant pas droit à un troisième mandat, Macron n’aura donc aucun compte à rendre aux électeurs et aucun souci à se faire des sanctions électorales. Compte tenu de ses convictions ultralibérales et de ses liens étroits avec les milieux d’affaires, il est hautement improbable que sa promesse d’ « œuvrer pour une société plus juste » connaisse la moindre concrétisation. Il n’est en fait ni le premier ni le dernier responsable français à appliquer la célèbre formule que « les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient ».

Dans une rencontre avec la télévision russe ‘’RTarabic’’, Kamal Tarabey, spécialiste des questions européennes, estime que « de de Gaulle à Macron, les élites françaises ont échoué au cours des soixante dernières années à construire une société harmonieuse et unie en réduisant les injustices sociales et en comblant le large fossé qui sépare les riches et les pauvres. Mais cela n’a pas empêché la formation d’un ‘Front républicain’ qui se manifeste chaque fois que l’extrême droite s’approche du pouvoir. Ce front a fonctionné en 2022 et en 2017, et il a fonctionné aussi en 2002 lors du scrutin qui avait opposé Jacques Chirac à Jean Marie Le Pen. »

Jusqu’à quand ce ‘Front républicain’ sera-t-il fonctionnel ? D’autant que l’extrême droite a le vent en poupe un peu partout en Europe et a même conquis le pouvoir en Hongrie et en Pologne. Sauf que si elle arrive au pouvoir au « pays des droits de l’Homme et des Lumières », le traumatisme débordera largement les frontières de l’Hexagone.

A voir la progression constante de l’Extrême droite depuis le début du XXIe siècle, le traumatisme n’est plus une hypothèse d’école, mais une forte probabilité qui pourrait se concrétiser à tout moment. Qu’on en juge : avec 41,46% des voix au second tour, Marine Le Pen gagne huit points par rapport à 2017 (33,90%) et quelque trois millions de voix. Un score bien au-delà de celui de 2012 (17,90% au premier tour) et encore davantage que les scores enregistrés par son père, dont la seule qualification pour le deuxième tour a eu lieu en 2002 (16,86%) face à Jacques Chirac (83,14%).

Pour le politologue français Arnaud Bendetti, cité par Le Figaro : « La progression de Marine Le Pen se constate presque partout: parmi les classes populaires et moyennes, chez les fonctionnaires, au sein des ruraux et péri-urbains, dans les territoires d’outre-mer et en Corse. Mais cette avancée reste contenue, entre autres, par le travail d'agit-prop de l'intelligentsia organique du bloc central. »

Dans le même journal, l’essayiste français Maxime Tardonnet se demande de quoi la grande progression de l’Extrême droite est-elle le fruit ? « Elle est le fruit, dit-il, de la fracture sociale: jamais une élection présidentielle n'aura donné lieu à une déchirure aussi profonde et irréductible entre deux blocs qui se trouvent face à face, d'une part la bourgeoisie satisfaite, mondialisée et européiste, d'autre part la France périphérique, populaire, la plus exposée aux souffrances, au mépris et à l'arrogance (…) Cette élection ne fut jamais l'occasion, classique en démocratie, d'une bataille entre deux projets, mais d'un affrontement irréductible entre deux France inconciliables… Et son résultat ne fait que cristalliser la déchirure. »

Cet affrontement irréductible va se poursuivre en prévision des élections législatives prévues les 12 et 19 juin prochains. Des élections où, selon le politologue Arnaud Benedetti, « on va assister à une recomposition du paysage politique aux élections législatives dont l'issue s'avère peu prévisible. »

L’issue est d’autant plus imprévisible en effet que Macron est loin d’être assuré d’avoir une majorité qui lui permettrait, comme lors de son premier mandat, de gouverner avec aisance et de passer toutes les lois qu’il voulait. D’où le risque de devoir subir une cohabitation comme celle qu’avait subie ses prédécesseurs François Mitterrand et Jacques Chirac. A l’issue d’élections législatives qui ne leur étaient pas favorables, le premier a dû nommer un Premier ministre de droite et le second un Premier ministre de gauche.

C’est le cauchemar que redoute Emmanuel Macron et le rêve que nourrit Jean-Luc Mélenchon, le chef de ‘la France insoumise’ qui a entamé très tôt sa campagne électorale en appelant les Français à l’élire « en tant que Premier ministre ».

Si l’élection présidentielle a vu l’affrontement de « deux France irréconciliables », les élections législatives vont donner lieu à un affrontement de trois France différentes : la France qu’incarne Emmanuel Macron, celle que représente Jean-Luc Mélenchon et celle que symbolise Marine Le Pen. Bien malin celui qui prévoit même approximativement l’issue de cet affrontement et son effet sur la prochaine composition de l’Assemblée nationale.

*Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.


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