Ambassadeur turc à Paris : "Les pays accusant la Turquie d'impérialisme devraient se questionner eux-mêmes"
- Ismail Hakki Musa répondait mardi matin aux questions de la journaliste française Sonia Mabrouk, dans les studios de la radio "Europe 1".

Berlin
La journaliste française Sonia Mabrouk a accueilli mardi matin l'Ambassadeur de Turquie à Paris, Ismail Hakki Musa dans « L'interview politique de la matinale d'Europe 1 ». Au cours de l'entretien d'une douzaine de minutes, Mabrouk a passé en revue la situation politique tendue entre la France et la Turquie, concernant notamment la Méditerranée orientale.
- Découverte d'un gisement gazier en mer Noire par la Turquie
En référence à la remarque d'introduction faite par la journaliste sur la récente découverte d'un "immense gisement de gaz" naturel dans la zone de juridiction maritime turque en mer Noire, Musa a rappelé que "cette découverte est le fruit des recherches menées depuis plusieurs années" et que la Turquie importe "quasiment 100 % de sa consommation en gaz naturel et 90 % de son pétrole".
L'Ambassadeur turc a précisé que le gisement récemment découvert était estimé à "320 milliards de mètres cubes", soit l'équivalent approximatif à "7 ou 8 ans des besoin énergétiques" de la Turquie pour une "valeur vénale estimée à quelque 80 milliards de dollars".
Musa a également rappelé qu'un traité de délimitation maritime ayant été signé entre les pays riverains de la mer Noire, il n'était question d'aucun désaccord sur les zones de juridictions respectives dans cette région.
- Risques de tensions en Méditerranée orientale
Rapportant une déclaration du Président turc, Recep Tayyip Erdogan signalant que les activités de recherche sismique de la Turquie se poursuivront en Méditerranée orientale, "malgré [...] les très fortes tensions dans la région", la journaliste a demandé à Musa si son pays était "prêt à prendre le risque d'un engrenage dangereux" et si la Turquie "ne provoque pas sciemment les Européens" par ses forages, affirmant que ceux-ci sont effectués "dans les eaux territoriales de Chypre et à proximité de la Grèce."
"Nous ne provoquons personne", a d'abord souligné l'Ambassadeur turc avant de poursuivre en rappelant que la Turquie "a fait enregistrer ses eaux territoriales auprès des Nations Unies, ça fait une dizaine d'années de cela", ajoutant que tous les pays étaient conscients de ces faits :
"Tout le monde le sait, l'Europe le sait, la Grèce le sait, les Chypriotes grecs le savent", a noté Musa.
- La non-signature du Traité de Montego Bay (1982) par la Turquie, une question d'équité.
La journaliste a estimé que cela n'est "pas prévu dans les traités internationaux", faisant allusion à La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982), communément connue sous le nom de « Convention/Traité de Montego Bay », établie en 1982 et entrée en vigueur en 1994.
En réponse à sa remarque, l'Ambassadeur turc a rappelé à la journaliste française que la Turquie n'était pas signataire de ce traité, du fait des objections qu'elle avait émises à son encontre, en 1995 [1], et que de ce fait, ce traité n'était pas "contraignant", précisant qu'une trentaine de pays n'avaient pas ratifié ce traité, l'ambassadeur citant notamment les États-Unis parmi les non-signataires.
"Ce dont il s'agit dans le contexte turco-grec est [...] le principe d'équité, un principe fondamental du droit", a noté Ismail Hakki Musa, avant de souligner que "ce principe est bafoué" par l'État grec et l'Administration chypriote grecque (ACG).
- L'attitude maximaliste de la Grèce en Méditerranée orientale et en mer Égée:
"Monsieur l'ambassadeur, en vous écoutant, j'ai l'impression que la Méditerranée orientale, c'est votre terrain de jeu, que c'est votre lac", a noté Sonia Mabrouk, au cours de l'entretien matinal.
"Non ce n'est pas cela, ce n'est pas ce que nous soutenons", lui a répondu Ismail Hakki Musa, rappelant l'attitude diplomatique inclusive de la Turquie, vis-à-vis notamment de ses voisins, et visant à favoriser la voie diplomatique pour apporter "ensemble" une solution à la question de la juridiction maritime en Méditerranée orientale et en mer Égée.
Dans la suite de ses remarques, Musa a notamment déploré l'attitude "maximaliste de nos amis grecs".
Le diplomate turc a ensuite repris l'exemple de l'île de Meis / Kastellorizo / Kızılhisar, cité par la journaliste en référence aux activités de prospection gazière menées par la Turquie à quelques kilomètres de ses côtes continentales.
Musa a rappelé que Meis / Kastellorizo / Kızılhisar est une île sous souveraineté grecque, se trouvant à deux kilomètres des côtes continentales turques et à environ 580 kilomètres des côtes continentales de la Grèce [2].
L'Ambassadeur turc a estimé que si l'on suivait la logique grecque d'attribuer une Zone économique exclusive (ZEE) à cette île, "les pêcheurs turcs ne pourraient même pas pêcher devant leur maison".
"Si l'on suivait les demandes maximalistes de nos amis grecs", a expliqué Musa, "il faudrait demander leur permission pour que les Turcs puissent accéder aux hautes mers", l'ambassadeur déplorant, par ces mots, l'attitude provocatrice de la Grèce, et dans une certaine mesure, des pays qui malgré leur connaissance des faits, la soutiennent dans ses visées expansionnistes.
- Le comportement de la France en Méditerranée orientale:
Dans la suite de l'entretien matinal, Sonia Mabrouk a rappelé la prise de position de la France en Méditerranée orientale aux côtés de la Grèce et de l'ACG, ainsi que ses initiatives militaires dans la région, notamment par l'envoi d'avions de chasse Rafale et de plusieurs navires, en soutien aux forces armées de l'ACG, la journaliste demandant à l'Ambassadeur turc comment il percevait cette décision française.
"Notre ministère [des Affaires étrangères, NDLR] a fait une déclaration en la matière. Elle est connue, elle est publique", a répondu l'ambassadeur turc, avant d'être interrompu par une remarque de la journaliste, faisant référence à une déclaration récente de la Diplomatie turque à l'égard de l'exécutif français :
"Vous pouvez nous la rappeler, parce qu'il y avait un moment une déclaration disant que nous nous étions comportés, [que] la France [s'était comportée] comme un caïd", a demandé Mabrouk.
Musa a rappelé que cette "déclaration simple' coïncidait "avec un accord promulgué entre la France et la Grèce", faisant allusion au renforcement de la présence militaire française en Méditerranée orientale, en soutien aux visées expansionnistes grecques et chypriotes grecques dans cette région, ainsi qu'à l'injustice faite aux Chypriotes turque par l'Union européenne, dans la reconnaissance de l'ACG seule comme entité étatique représentative de l'île de Chypre, et occultant les droits des Chypriotes turcs sur les réserves maritimes de leur région.
- Les accusations d'impérialisme visant la Turquie:
Sonia Mabrouk a ensuite rappelé à l'Ambassadeur turc les accusations portées par le Président français, Emmanuel Macron à encontre de la Turquie, notamment d’expansionnisme, ou d'impérialisme, la journaliste posant la question suivante au diplomate turc : "Est-ce que c'est faux ?".
Et l'Ambassadeur de répondre "c'est faux", tout en reconnaissant l'existence de critiques injustifiées venant "de la France et d'autres pays en Europe", à l'égard de son pays.
Rappelant l'exemple de l'île de Meis précédemment citée, Musa a déploré l'injustice faite à la Turquie, par de telles déclarations :
"Nous, nous serions considérés comme impérialistes parce que nous nous occupons [d'une zone] à deux kilomètres de nos côtes [continentales], alors que d'autres pays qui viennent de mille, deux mille, [et même] de dix mille kilomètres [ne le seraient pas]" a fait remarquer le diplomate turc avant d'être interrompu par la journaliste lui demandant quels étaient ces pays.
"Vous les connaissez, ce n'est pas mon rôle d'ambassadeur de [les] citer", a répondu Musa à la journaliste insistant pour qu'il nomme un pays, et lui demandant s'il faisait allusion à la France. Musa a ensuite répondu à la journaliste que les pays accusant la Turquie d'impérialisme devaient "d'aborder se poser la question à eux-mêmes", le diplomate refusant de nommément citer la France.
"Les pays qui viennent de 5 000 ou 10 000 kilomètres pour « mettre de l'ordre » ou pour faire valoir leurs intérêts dans notre région, devraient reconnaître ce même droit à la Turquie également", a notamment expliqué l'ambassadeur turc.
- "La France et la Turquie sont des grands pays, amis et alliés":
Sonia Mabrouk a ensuite questionné la nature et l'évolution de la relation diplomatique turco-française, rappelant les propos échangés récemment, par voie diplomatique, entre le Président turc et son homologue français.
Soulignant d'abord que "la France et la Turquie [...] sont de grands pays, amis et alliés", l'Ambassadeur turc a notamment rappelé l'ancienneté de l'amitié franco-turque :
"Vous savez, notre amitié remonte à 537 ans", a-t-il noté, déplorant les "divergences" actuelles entre les deux États, estimant qu'elles sont "conjoncturelles", et rappelant, comme l'avait noté Mabrouk, que les deux pays sont également alliés au sein de l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), établie afin d'assurer la défense mutuelle des pays membres de cette alliance qui a récemment célébré son 70e anniversaire.
Le diplomate turc a également rappelé que parmi les déclarations faites cet été par le Président français, figuraient également des "déclarations qui avaient une toute autre portée", faisant allusion au discours plus apaisé d'Emmanuel Macron, prononcé en compagnie d'Angela Merkel au Fort de Brégançon la semaine dernière, lors de la visite officielle de la Chancelière allemande.
"Il ne faut pas seulement se fier aux apparences, et il faut accepter qu'il peut y avoir des différences entre des pays amis et alliés," a estimé Musa, soulignant l'importance de continuer à dialoguer entre les parties, et de persévérer dans la voix diplomatique, et rappelant que les présidents français et turc "parlent assez souvent".
- La question de Sainte-Sophie
Faisant référence à la reconversion récente par la Turquie du monument historique de Sainte-Sophie en mosquée, et les réactions suscitées "dans le monde et en Occident", Sonia Mabrouk a ensuite demandé à l'Ambassadeur turc ce qui avait motivé son pays cette décision affirmant que celle-ci avait mis en cause l'universalité de ce monument.
Soulignant d'abord que l'universalité de Sainte-Sophie n'était aucunement remise en cause, l'Ambassadeur turc a appelé chacun "à avoir une analyse beaucoup plus impartiale et complète". Musa a notamment rappelé que le monument restait ouvert à la visite de tous.
À la question de la journaliste sur un éventuel "projet d'islamisation de la Turquie", Musa rappelé à son interlocutrice que "la Turquie est un pays musulman", ajoutant qu'il n'y avait en conséquence, "pas besoin de l'islamiser". Le diplomate a également rappelé que Sainte-Sophie avait été convertie en mosquée en 1453, après la conquête d'Istanbul (alors appelée Constantinople).
Musa a conclu en notant que cette question relevait de la souveraineté nationale turque, rappelant également les efforts déployés de tous temps par son pays, pour la protection et la préservation de ce monument inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESCO.
https://treaties.un.org/Pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_en
https://www.aa.com.tr/fr/analyse/analyse-le-statut-de-l%C3%AEle-de-meis-selon-la-convention-des-nations-unies-sur-le-droit-de-la-mer-/1937915