Algérie - Les enjeux de l’après-Législatives

Alger
AA / Alger / Khedidja Baba-Ahmed
Le 20 mai prochain la nouvelle assemblée nationale algérienne sera officiellement installée avec 462 sièges. De cet événement, les Algériens sont en grande majorité indifférents, tout autant qu’ils l’ont été durant la campagne électorale de tous les excès qui a abouti à un résultat du vote du 4 mai dernier très largement attendu : seuls 35,37 % des 23 millions d’électeurs se sont exprimés.
Un record d’abstention, que le pouvoir pouvait difficilement occulter, eu égard aux bureaux de vote déserts. Quant aux résultats des formations participantes, ils ressemblent à tous les autres scrutins antérieurs. Les deux partis du pouvoir, le Front de Libération Nationale (FLN) et le Rassemblement National Démocratique (RND), décrochent la majorité ; les formations islamistes et celles des démocrates sont en net recul. Quelle nouvelle configuration de l’assemblée et quels enjeux à venir ?
Les résultats du scrutin législatif du 4 mai dernier ont été donnés lundi par le Conseil Constitutionnel. Le taux de participation, objet de toutes les craintes du pouvoir qui redoutait que la population ne boude les urnes, et qui a déployé des trésors au sens propre et figuré pour appeler les gens à voter, est au désespoir des dirigeants, des plus bas : seuls 35,37 % des électeurs se sont exprimés desquels ils faut extraire les bulletins nuls qui ont atteint plus de 1.757 043. Autant dire que l’espoir du pouvoir de voir ce vote lui donner une certaine légitimité s’est avéré un mirage.
Les partis soutiens du président en tête
Par qui va être composée la prochaine législature ? Le FLN, traditionnel vainqueur conserve la première place avec 164 sièges, même si comparativement aux précédentes consultations de 2012, où il détenait 221 sièges, il chute quelque peu.
C’est le RND qui va occuper la deuxième position, avec 100 sièges, alors qu’il en occupait 70 en 2012, accusant de ce fait, une progression. L’une et l’autre des deux formations qui sont arrivées en tête sont des soutiens inconditionnels du pouvoir et particulièrement du président Bouteflika. Soulignons que ce dernier est le président du FLN, alors que le RND est dirigé par Ahmed Ouyahia, chef de cabinet du président lui même.
Partis islamiques ou démocrates en net recul
Arrivés en 3ème position alors qu’ils avaient constitué des alliances entre eux et qu’ils prévoyaient un ras de marée, les partis d’obédience islamique sont loin de pouvoir, comme ils l’espéraient, gagner quelques postes dans le futur gouvernement. Avec 33 sièges, le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), allié au Front du Changement (FC) pourront, toutefois, constituer un bloc d’opposition parlementaire. La deuxième alliance de la mouvance islamique, constituée de Adala –Bina et Nahdha a décroché 15 sièges. Ainsi donc, globalement, les islamistes des grands partis comme des petites formations ont perdu de très nombreux sièges par rapport à 2012.
Quant au camp démocrate, qui a pris part à cette consultation, il en sort très affaibli : le Front des Forces Socialistes (FFS), le plus vieux parti d’opposition, obtient 14 sièges alors qu’il en détenait 21 en 2012 ; il en est de même pour le Parti des Travailleurs (PT, trotskiste) qui n’a que 11 sièges alors qu’il en comptait 17 dans l’ancienne législature.
Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), qui n’avait pas pris part au scrutin de 2012, enregistre une très grande défaite avec seulement 9 sièges. FFS et RCD, deux partis fortement ancrés dans la Kabylie (région berbérophone du Centre), y ont enregistré un recul sans pareil inhérent aux dissensions qu’ont connu leurs formations et qui va certainement fortement influer sur leur devenir.
Dans ce scrutin, un point relativement nouveau par rapport aux scrutins précédents est apparu : La forte présence d’une multitude de candidatures d’indépendants, qui ne se réclament d’aucune formation politique. Ces indépendants ont raflé un ou 2 sièges chacun.
Avec des résultats aussi peu probants, la légitimité de la nouvelle assemblée est loin d’être acquise. La désertion en masse des bureaux de vote alors que tout a été déployé par le pouvoir pour tenter d’y mener les électeurs, est la traduction d’abord de la perte quasi-totale de confiance en le pouvoir.
Les résultats de ce scrutin, et notamment le taux de participation qui, selon beaucoup est encore plus faible que celui annoncé officiellement, constituent «un véritable référendum contre le système et le pouvoir », dit aujourd’hui une partie de l’opposition, qui avait appelé au boycott.
Celle qui y a pris part, n’accepte pas le verdict des urnes qu’elle dénonce après coup comme étant entaché de fraude massive. C’est justement cette « fraude massive » dont sont convaincus les Algériens, depuis que les élections dites pluralistes existent, et qui les fait toutes les fois décider de bouder les urnes.
Les réseaux sociaux ont, pour cette élection, très largement contribué à fournir des vidéos apportant la « preuve » du « bourrage des urnes », de l’empêchement d’observateurs dans certains bureaux… Lors de ce scrutin, plus que lors de tous les précédents, les Algériens ont, très vivement, dénoncé, la prise en main par les oligarques et tous les pompeurs financiers des deniers de l’Etat de cette opération de renouvellement des parlementaires en achetant ou en faisant acheter les bonnes places dans les listes de candidature.
Présence de forme des observateurs étrangers
Le taux de participation très faible ne représente finalement pas pour le pouvoir un gros handicap. Sa préoccupation étant de donner l’image à l’international d’un pouvoir démocratique, l’encouragement à l’éparpillement et à la présence de très nombreuses listes de candidatures qu’il a tant aidé, peut, selon vraisemblablement ses calculs, offrir l’illusion que le multipartisme et les institutions démocratiques sont de mise.
La présence à ce scrutin d’observateurs étrangers qui ne se sont déplacés que dans les endroits où les guides affectés pour l’occasion ont bien voulu les mener est dénoncée par toutes les formations d’opposition.
Il est vrai que le lendemain même du scrutin, les observateurs de la Ligue Arabe ont donné, avant même leur rapport officiel, un blanc-seing en déclarant que le scrutin s’est déroulé dans de bonnes conditions.
Les autres observateurs, et notamment l’Union européenne, ne se sont pas prononcés et devront le faire dans un rapport. Sera-t-il aussi « objectif » que celui de la mission de la Ligue Arabe ? Et maintenant que le scrutin est terminé et que les résultats ont été prononcés par le Conseil Constitutionnel (même si des recours sont enregistrés mais qui ne modifieront qu’à la marge le bilan), à quels enjeux va devoir répondre le pouvoir en place ?
Un statuquo en faveur du pouvoir en place et succession de Bouteflika
La nouvelle configuration du parlement, avec la reconduction aux premières loges des deux partis qui se réclament de Bouteflika, ne va pas perturber outre mesure la donne politique en Algérie.
L’affaiblissement des partis d’obédience islamique et des démocrates participera à reconduire le statuquo d’une assemblée d’enregistrement totalement inféodée au pouvoir.
Cela est d’autant plus vrai que par ailleurs, tous les leviers de décision ont toujours été et resteront aux mains du président de la République et que l’assemblée nationale ne continuera à faire que de la figuration.
Tout a été fait en amont de cette élection pour que les voix dissidentes n’aient pas droit au chapitre. L’affaiblissement des partis de l’opposition par le pouvoir mais aussi en raison de leur propre faiblesse et leur perte d’encrage dans la société, participera sans aucun doute à reconduire les mêmes pratiques qui ont sévi dans l’hémicycle, à savoir l’absence totale de proposition de textes par les parlementaires et l’adoption sans réserves de toutes les lois proposées par l’exécutif et notamment par le président.
Sans grand enthousiasme, les observateurs scrutent le prochain gouvernement qui devra nécessairement être conduit, si les dispositions de la constitution sont respectées, par le parti majoritaire à l’assemblée. Les deux partis arrivés en tête, à savoir le FLN et le RND, vont sans surprises, former une coalition pour peser dans la composition du gouvernement.
Cela n’augure pas des jours tranquilles tant les deux formations se disputent chacune la paternité de Bouteflika. Lorsque l’on sait que le président du RND ne cache pas ses velléités de succéder au président actuel à l’échéance du mandat présidentiel actuel -2019- ou peut-être avant eu égard à l’état de santé de Bouteflika, et que l’on sait aussi qu’au sein du FLN certains tentent déjà de se positionner en vue de la Présidentielle, l’on peut affirmer, sans trop se tromper, que les Algériens vont traverser, un fleuve pas très tranquille pour la successions de l’actuel président.