Algérie: Le limogeage du général Mediène sonne la fin du règne des sept généraux (Analyse)
Le général Mohamed Mediène, puissant patron des renseignements algériens et dernier des sept hommes forts du pays, a été limogé dimanche par le président Abdelaziz Bouteflika.

AA/ Alger / Ahmed Aziz
La décision du président algérien Abdelaziz Bouteflika de limoger, il y a deux jours, le général Mohamed Mediène, a mis fin à une importante ère de l’histoire du pays, celle du règne des «sept puissants généraux» dont les larges pouvoirs ont été acquis durant la phase difficile qu’a traversée le pays dans les années 1990.
Au cours des deux derniers jours, les journaux algériens rivalisaient en articles et analyses sur la décision du limogeage «historique» du général Mediène, dit Toufik, eu égard à l’importance des services de renseignement, l’appareil sécuritaire le plus important et le plus puissant du pays.
Ali Moussa Rabhi, expert en sciences politiques et en relations internationales à l’Université d’Alger, a expliqué à Anadolu que «les opposants au régime algérien affirment que sept généraux détenaient le véritable pouvoir dans le pays lors de la guerre civile qui a ébranlé le pays dans les années 1990».
Il s’agit, selon Rabhi de :
- Le général de corps d’armée Mohamed Lamari, chef d’Etat-major de l’armée nationale populaire, surnommé «l’homme fort de l’armée». Il avait démissionné en 2004 à la suite d’un différend avec Bouteflika. Il est décédé en 2012 d’un arrêt cardiaque.
- Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et membre du Conseil Supérieur de l’Etat [instance présidentielle créée pour assurer la succession du président Chedly Bendjedid après sa démission en 1992]. Le général Nezzar a pris sa retraite de l’armée en 1994.
- Le général major Cherif Fodil, puissant homme de terrain qui s’est particulièrement fait connaitre lors des opérations antiterroristes durant la guerre civile algérienne. Il est décédé en 2008.
- Le général major Mohamed Abdelmalek Guenaïzia, important officier de l’armée qui a occupé le poste de vice-ministre de la Défense. Il a été limogé par Bouteflika en 2013.
- Le général major Ismaïl Lamari, deuxième homme fort des renseignements algériens, décédé en 2007.
- Le général major Larbi Belkhir, officier supérieur de l’armée parti à la retraite en 1987. Il était surnommé «le faiseur de présidents». Il a été longtemps chef de cabinet des présidents Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika, et a occupé plusieurs postes, dont celui de ministre de l'Intérieur lors de l'assassinat du président Mohamed Boudiaf en 1992. Il est décédé en 2010 à Alger.
- Le général Mohamed Mediène, démis de ses fonctions dimanche. Il était surnommé «l’homme de l’ombre» et est, pour plusieurs Algériens, derrière les décisions importantes prises dans le pays durant son mandat à la tête des renseignements.
Et Rabhi d’ajouter: «Il semble que le présidant Bouteflika, arrivé au pouvoir en 1999, ait décidé de manière inattendue, de mettre fin à une ère marquante de l’histoire du pays».
L’expert explique, cependant, que certains signes annonçaient cette décision. «Il y a environ deux ans, une large opération de restructuration et de réorganisation des renseignements à été engagée et a touché plusieurs services qui ont été rattachées au commandement de l’armée», a-t-il fait remarquer.
Pour le journaliste algérien Faouzi Bouallem, spécialiste des dossiers sécuritaires, la décision du président Bouteflika était attendue. «Les grands journaux algériens et les sites d’information électroniques n’ont cessé, au cours des deux dernières années, de rapporter les différents qui opposent les deux hommes, au point que le commandement de l’armée ait dû démentir à plusieurs reprises ces informations sur le magazine des armées, porte-parole officiel des Forces armées algériennes ».
«De hauts responsables algériens ont également démenti, plus d’une fois, qu’un différend existe entre la présidence et les renseignements. Le chef de cabinet de Bouteflika, Ahmed Ouyahya, a même insisté là-dessus quelques heures avant le limogeage du général Mediène», a-t-il indiqué.
«La logique des faits prouve cependant le contraire», affirme le journaliste, rappelant que «le président Bouteflika a déclaré, au début de son premier mandat en 1999, qu’il refusait d’être les trois quarts d’un président. Il évoquait, vraisemblablement, le grand pouvoir exercé par les sept généraux qui étaient alors tous en poste ou en vie. Les seize années passées par Bouteflika à la tête du pays ont cependant vu le décès ou le départ à la retraite des généraux politiques».
Selon l'expert sécuritaire Mohamed Taouti, «les médias algériens ont exagéré leur évaluation des pouvoirs des sept généraux qui ont contribué, il y a 23 ans, à changer le processus politique du pays».
«L’armée est intervenue en 1992 non pas pour prendre le pouvoir, mais par crainte des conséquences des élections de l’époque [remportées par le Front Islamique du Salut/FIS, interdit] sur la sécurité nationale», a-t-il avancé.
Et d’enchainer: «Les dirigeants de l’armée ont confirmé, sous l’ère du président Liamine Zéroual (1994-1999), lui-même ancien général à la retraite, que l’armée était alors le garant des valeurs de la République».
«Aujourd’hui, le retrait des généraux de la première ligne du pouvoir et de la vie politique s’explique principalement par le changement de conjoncture et par la stabilité qui règne dans le pays après la décennie noire», a-t-il conclu.
L’Algérie a connu une décennie sanglante de combats entre les autorités, disposant de l’armée, et les groupes islamistes armés après l’annulation des résultats des élections législatives reportées par les Islamistes du FIS fin décembre 1991.
On estime que ce conflit coûta la vie à plus de 60 000 personnes; d'autres sources avancent le chiffre de 150 000 personnes (avec des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d'exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts). Le conflit armé se termina par la victoire du gouvernement, suivi de la reddition de l'armée islamique du salut et la défaite en 2002 du groupe islamique armé (GIA).
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