Affaire Samuel Paty: À 2 mois du procès en appel, la défense d’Abdelhakim Sefrioui se mobilise en France et au Maroc
« Nous avons un certain nombre d’éléments objectifs qui nous permettent de démontrer qu’il n’avait aucun lien de responsabilité, aucun lien de causalité avec l’attentat et l’assassinat de Samuel Paty » explique Maître Vincent Brengarth
Provence-Alpes-Cote d Azur
AA / Nice / Feïza Ben Mohamed
Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’Histoire-géographie au collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, était sauvagement assassiné par Abdoullakh Anzorov, un jeune réfugié tchétchène de 18 ans. La mort de l’enseignant a suscité une onde de choc nationale, ravivant le traumatisme des attentats qui ont marqué la France les années précédentes. Très vite, l’attention de l’enquête s’est portée non seulement sur le parcours du tueur, mais aussi sur les soutiens directs et indirects qu’il aurait pu recevoir, ainsi que sur les discours qui ont pu contribuer à créer un climat hostile autour du professeur, pointé du doigt pour avoir montré à ses élèves, des caricatures du Prophète Mohammed.
En décembre 2024, après plusieurs mois d’audience devant la Cour d’assises spécialement composée, huit accusés ont été jugés pour leur implication présumée dans l’attentat. Les verdicts ont été lourds et parfois inédits. Quatre d’entre eux ont décidé d’interjeter appel. Il s’agit de Brahim Chnina, le père de l’élève à l’origine de la polémique, condamné à 13 ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs terroriste, du militant pro-palestinien Abdelhakim Sefrioui, condamné à 15 ans de réclusion pour la même infraction, ainsi que de Naïm Boudaoud et d’Azim Epsirkhanov, deux jeunes issus de l’entourage du tueur, condamnés chacun à 16 ans de réclusion pour complicité d’assassinat terroriste alors même qu’aucun élément n’a permis d’établir qu’ils avaient eu connaissance du projet d’assassinat. Leur procès en appel, qui s’ouvrira début 2026, sera scruté comme une ultime étape judiciaire dans ce dossier hors norme.
Parmi les accusés, Abdelhakim Sefrioui a particulièrement retenu l’attention des médias et du grand public. Figure militante, ancien responsable du collectif pro-palestinien Cheikh Yassine, il a été accusé d’avoir contribué, par ses prises de parole et la diffusion d’une vidéo dénonçant Samuel Paty, à nourrir le climat ayant conduit à son assassinat.
Pour l’un de ses avocats, Me Vincent Brengarth, la condamnation de son client relève d’une construction artificielle, voire politique et « le grand public doit aujourd’hui comprendre qu’on a condamné une personne à 15 ans de réclusion criminelle alors même qu’elle n’a aucun lien avec l’auteur de l’attentat ».
« C’est une création de la part de la justice, qui est parfaitement inédite et qui est largement supérieure à des peines prononcées à l’encontre de personnes qui étaient en contact direct avec Anzorov et pour lesquelles la radicalité avait été établie par les éléments de la procédure » clame le conseil.
Une condamnation vécue comme un « coup de tonnerre »
Pour la défense, la peine infligée à Abdelhakim Sefrioui a eu l’effet d’une déflagration. « Ça a été un véritable coup de tonnerre, parce que nous nous sommes préparés pendant des mois à cette audience, qu’elle a elle-même duré plusieurs mois, et que pendant ces mois, une chose était certaine, c’était la détermination d’Abdelhakim Sefrioui à démontrer son innocence comme il la clame depuis le début de cette procédure » explique Me Brengarth.
Selon l’avocat, de nombreux éléments matériels auraient dû convaincre la Cour qu’aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre la vidéo de son client et le passage à l’acte d’Anzorov. « Nous avions un certain nombre d’éléments objectifs qui nous permettaient de démontrer qu’il n’avait aucun lien de responsabilité, aucun lien de causalité avec l’attentat et l’assassinat de Samuel Paty. Et en dépit de ces éléments matériels, nous n’avons pas été entendus par la Cour d’assises » déplore-t-il.
La sévérité de la peine a renforcé ce sentiment d’injustice. « Non seulement nous n’avons pas été entendus, mais Abdelhakim Sefrioui a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle. Une peine largement supérieure à celles prononcées contre des personnes en contact effectif avec l’auteur de l’attentat, et guère inférieure à celles infligées à des accusés considérés comme complices » grince le conseil parisien, pourtant habitué des grands procès et des dossiers de terrorisme.
Au cœur de l’argumentaire , l’absence de lien de causalité
Tout au long de sa prise de parole, Me Brengarth revient sur un argument qu’il juge central et affirme que la chaîne de responsabilité entre son client et l’assassinat ne tient pas.
« Le point le plus éloquent de ce dossier, c’est de dire : est-ce que si Abdelhakim Sefrioui est retiré de l’équation, l’assassinat a lieu ou non ? Le fait est qu’il a lieu, puisque toutes les informations étaient déjà en possession d’Anzorov, qu’il était déjà déterminé à passer à l’acte, qu’à aucun moment il ne va voir la vidéo d’Abdelhakim Sefrioui et qu’à aucun moment il ne va être en contact avec ce dernier » argumente l’avocat.
Pour ce dernier, la mécanique de la condamnation repose sur une confusion volontaire entre climat politique et responsabilité pénale. Il relève qu’il est « reproché à Abdelhakim Sefrioui d’avoir contribué à un climat de haine à l’encontre de Samuel Paty » mais souligne que « quand on examine les éléments de façon minutieuse, on voit qu’à aucun moment il ne se trouve associé à cette chaîne de responsabilité ».
Et de préciser: « Lorsqu’il intervient, les informations relatives à l’enseignant et au collège sont déjà publiques. Et l’auteur de l’assassinat est en réalité à la recherche d’une cible depuis le mois de septembre ».
Les deux facteurs qui expliqueraient la condamnation
Pour Vincent Brengarth, il ne fait aucun doute que deux éléments ont pesé dans le verdict rendu par la Cour.
D’abord, ce qu’il appelle la « projection » liée au passé militant de son client. « Ce qu’on peut penser en lien avec sa condamnation, c’est qu’il y a eu la projection, avec l’idée que l’on se fait d’Abdelhakim Sefrioui, de ses combats passés et de son passé militant », avance-t-il avant de rappeler qu’Abdelhakim Sefrioui « n’a jamais été condamné pour des faits de violence ou pour des faits d’antisémitisme ».
Dans un second temps, l’avocat insiste sur le poids du contexte politique. « Le deuxième élément est plutôt en lien avec cette chape de plomb politique, qui fait qu’en réalité, il y a, derrière la décision, une volonté de créer de nouveaux cas de figure de responsabilité, pour empêcher certaines expressions, voire intimider afin d’empêcher que des expressions de critiques puissent avoir lieu » fait-il valoir. Pour lui, la condamnation d’Abdelhakim Sefrioui tient autant à son rôle de « tête d’affiche » qu’aux faits eux-mêmes. « On a l’impression que, comme il est la figure la plus connue du procès, cela devait valoir double. Voire triple, vu la peine » lâche Me Brengarth.
La question de la vidéo : une « réécriture de l’histoire »
La vidéo diffusée par Abdelhakim Sefrioui quelques jours avant l’attentat s’est naturellement retrouvée au centre des débats. L’accusation en a fait une pièce centrale, présentée comme ayant participé à un climat ayant indirectement nourri la détermination de l’assaillant. Mais pour Me Brengarth, cette interprétation relève d’une « réécriture de l’histoire ».
« Cette vidéo, même si elle existe, est sans incidence sur l’attentat commis par Anzorov. Non seulement elle est sans incidence, mais on sait à travers la procédure qu’elle était connue des enquêteurs. Si cette vidéo avait contenu une incitation, il fallait la judiciariser immédiatement. Cela n’a pas été fait » estime l’avocat pour qui « ce qui est déterminant, c’est de bien comprendre que si cette vidéo n’était pas judiciarisable au moment où elle a été diffusée et vue par les enquêteurs, elle ne peut pas l’être davantage après l’ouverture de l’information judiciaire et au moment du procès ».
Il dénonce une incohérence majeure : « On pourrait nous dire : “nous avons découvert des éléments postérieurs.” Mais manifestement, ce n’est pas le cas. Dès les premiers jours après l’attentat, Abdelhakim Sefrioui est présenté comme radicalisé de longue date. Donc tout était connu ».
Au fil de l’analyse, l’avocat met en lumière ce qu’il estime être une stratégie de déplacement des responsabilité et assure que la condamnation de son client établit « qu’il peut y avoir des personnes qui, par leur intervention même, vont contribuer de façon abstraite à un climat conduisant au passage à l’acte ».
« Mais cette logique déresponsabilise les autorités publiques car en construisant ce schéma contre Abdelhakim Sefrioui, l’État n’a pas à répondre sur les raisons pour lesquelles les signaux concernant Anzorov n’ont pas été identifiés et n’ont donné lieu à aucune réaction judiciaire » avance-t-il.
Le soutien de l’ancien Premier Ministre Marocain, Abdelilah Benkirane
Mercredi 12 juillet, une conférence de presse organisée par la famille d’Abdelhakim Sefrioui avec le soutien et la présence de l’ancien Premier Ministre Marocain, Abdelilah Benkirane, s’est tenue à Rabat, largement relayée par les médias français et marocains.
« Abdelhakim est totalement innocent, n’a aucun lien avec le terrorisme. Il est indigné par cette accusation » et « souhaite prouver son innocence pourvu qu’on l’écoute » a déclaré son épouse, Ikram Houmada, face à la presse.
Dans la même veine, Abdelilah Benkirane, leader du PJD (parti justice et développement) et ami de longue d’Abdelhakim Sefrioui, s’est personnellement impliqué dans la défense de ce dernier.
L’ancien chef du gouvernement a indiqué qu’il avait produit un témoignage écrit destiné à être versé au procès en première instance, dans le cadre d’un soutien qu’il qualifie de « naturel » envers l’accusé emprisonné depuis plus de 5 ans en France.
« Abdelhakim Sefrioui n’a aucun lien avec le terrorisme » a-t-il assuré.
Les enjeux du procès en appel
L’appel interjeté par Abdelhakim Sefrioui s’inscrit dans un cadre particulier. Pour Vincent Brengarth, « il est certain qu’étant donné la position de (son) client et la réalité des éléments exposés, il y avait une évidence qui s’imposait : interjeter appel ».
Il assure qu’il « n’était pas envisageable de laisser une telle décision exister » mais reconnaît « un risque d’aggravation » tout en indiquant que celui-ci est « accepté » pour se placer « du côté de la vérité et du droit ».
Pour l’avocat, l’audience en appel doit recentrer le débat sur la seule question essentielle : le lien de causalité. « Tous ces éléments doivent être au cœur du débat, pour crever cet écran qu’on cherche à dresser : écran de personnalité, écran politique. Il faut s’attarder sur la seule chose qui importe, à savoir la démonstration de la responsabilité dans l’association de malfaiteurs » plaide-t-il.
Le procès en appel qui doit s’ouvrir début 2026 concernera donc quatre accusés aux profils très différents, mais liés par une même volonté de contester leur culpabilité et les lourdes peines prononcées contre eux.
Pour les familles de victimes comme pour les accusés, il représente une étape cruciale.
« C’est le procès de la dernière chance », conclut Vincent Brengarth qui considère qu’il « faut que tout le monde comprenne les enjeux » et affirme que « ce n’est pas parce qu’il y a une émotion extrêmement forte en lien avec la commission de l’attentat que cela doit conduire à une cécité. La justice doit être guidée par une exigence : non seulement de justice, mais aussi de vérité ».
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