Politique

« Sans ces versements, les attentats n’auraient pas eu lieu » : des victimes du 13 novembre s’invitent au procès Lafarge

– Une avocate relie les financements de Lafarge à Daech et aux attentats terroristes qui ont ensanglanté la France en 2015

Ümit Dönmez  | 12.12.2025 - Mıse À Jour : 12.12.2025
« Sans ces versements, les attentats n’auraient pas eu lieu » : des victimes du 13 novembre s’invitent au procès Lafarge

Ile-de-France

AA / Paris / Ümit Dönmez

« Sans ces versements, ces attentats n’auraient tout simplement pas ensanglanté la France et bien d'autres pays, à commencer par la Syrie. »

Dans un entretien accordé à Anadolu, l’avocate Sarah Scialom défend avec force la constitution de plusieurs victimes du 13 novembre comme parties civiles au procès de Lafarge SA, actuellement jugée à Paris pour « financement du terrorisme » en Syrie entre 2012 et 2014. Elle agit aux côtés de ses confrères pour des membres de la BAC 75, premiers policiers entrés dans le Bataclan alors que les terroristes s’y trouvaient encore, ainsi que pour d’autres primo-intervenants présents dès les premières minutes. Elle représente également l’association Galea, qui œuvre pour la reconnaissance des forces d’intervention.

Sarah Scialom explique que ses clients ont toute leur place dans ce procès, car « les personnes à l'origine de cet attentat étaient membres » de l'organisation terroriste Daech, et que Lafarge est jugée pour avoir financé cette organisation. « Sans argent, il n’y aurait pas eu de terrorisme », déclare-t-elle, soulignant que les sommes versées par Lafarge ont alimenté ce que Daech appelait ses « opérations extérieures », notamment les attentats terroristes qui ont tué 130 personnes à Paris le 13 novembre 2015.

Elle précise que l’infraction jugée, bien que présentée comme technique ou comptable, est tout sauf abstraite. « Ce sont nos clients, ce sont les balles qui les ont visés », insiste-t-elle. Dans les débats, elle a rappelé que selon les éléments versés au dossier, un « combattant » de Daech coûtait environ 500 dollars par mois. « On parle ici de 5 millions de dollars versés : cela représente les financements d’une katiba toute entière pour plusieurs années. »

Quant à la nature de la responsabilité des dirigeants du groupe cimentier, elle affirme qu’elle n’est pas indirecte : « Nous, on estime qu’elle est directe. On parle d’indivisibilité », dit-elle, en référence au lien entre les paiements effectués entre 2013 et 2014 et les attentats survenus quelques mois plus tard en France.

Au-delà du cas Lafarge, elle inscrit ce procès dans une tendance plus large à l’international : celle de la reconnaissance croissante de la responsabilité des entreprises dans les conflits armés. « Aujourd’hui, on envisage la responsabilité des entreprises dans les théâtres de crise de manière beaucoup plus concrète », souligne-t-elle.

Les prévenus contestent que les paiements effectués en Syrie aient constitué un financement direct du terrorisme, soulignant qu’ils visaient à maintenir l’activité dans un contexte de guerre. Ils invoquent les contacts avec les services de renseignement français pour relativiser la portée des décisions prises et affirment que la responsabilité des dirigeants n’est pas clairement établie, estimant, par ailleurs, que la qualification pénale de financement du terrorisme est juridiquement contestable.

Les prévenus seront entendus la semaine prochaine à propos des accusations portées par les associations de victimes des attentats terroristes du 13 novembre 2015.

La cour devra se prononcer prochainement sur la recevabilité des constitutions de parties civiles portées par ces primo-intervenants et leur association. L’issue de cette demande pourrait faire date, en établissant un précédent dans la reconnaissance des victimes d’attentats comme parties prenantes dans des procès visant ceux accusés d’avoir financé leurs auteurs.

- Procès Lafarge

Pour rappel, les huit personnes poursuivies dans l’affaire Lafarge sont quatre anciens dirigeants français : Bruno Lafont, ex-PDG, Christian Herrault, ex-directeur général adjoint, ainsi que Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois, anciens directeurs de la filiale syrienne, auxquels l’accusation reproche d’avoir « permis la poursuite de l’activité en Syrie malgré des paiements à des groupes armés ». S’y ajoutent deux intermédiaires syriens, Firas Tlass et Amro Taleb, accusés d’avoir « servi de relais locaux pour négocier ou faciliter ces versements », ainsi que deux responsables de la sécurité, Ahmad al-Jaloudi (Jordanien) et Jacob Waerness (Norvégien), soupçonnés d’avoir « participé aux arrangements opérationnels avec les groupes armés » afin d’assurer la protection du site et le passage des convois, lors de l’exploitation de la cimenterie de Jalabiya en Syrie entre 2012 et 2014.

La société elle-même est jugée en tant que personne morale pour financement du terrorisme et non-respect de sanctions financières internationales liées aux paiements effectués via sa filiale syrienne entre 2012 et 2014. Dans ce procès, les prévenus encourent jusqu’à 10 ans de prison et 225 000 euros (environ 244 000 dollars d’amende. Lafarge, en tant que personne morale, risque une amende d’1,125 million d’euros (environ 1,22 million de dollars), assortie de sanctions complémentaires.

Ce procès ouvert le 4 novembre 2025 à Paris, qualifié d’« historique », car jamais une entreprise d’une telle importance n’a été jugée en France pour avoir financé des organisations terroristes, doit se poursuivre jusqu’au 19 décembre. Les débats mettent en lumière les mécanismes de contournement, les chaînes décisionnelles internes, ainsi que les contradictions entre impératifs économiques et risques humanitaires. De nombreux anciens dirigeants comparaissent, tandis que Lafarge est jugée comme personne morale.

L’affaire s’inscrit dans le prolongement des révélations publiées le 7 septembre 2021 par Anadolu (AA), qui avait mis en lumière des documents prouvant que Lafarge avait financé Daech, en pleine connaissance des services de renseignement français.

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.