Politique

« France-Algérie 50 ans d’histoires secrètes »: Un livre qui ébranle nombre de certitudes

- L’auteur, Naoufel Brahimi El Mili, enseignant à l’IPE de Paris, estime que «Les relations entre la France et l’Algérie sont particulièrement bonnes quand elles sont secrètes et beaucoup plus heurtées quand elles sont publiques»

Hatem Kattou  | 11.04.2017 - Mıse À Jour : 11.04.2017
« France-Algérie 50 ans d’histoires secrètes »: Un livre qui ébranle nombre de certitudes

Alger

AA / Alger / Khédidja Baba-Ahmed

« France-Algérie 50 ans d’histoires secrètes » est le titre d’un ouvrage de l’algérien Naoufel Brahimi El Mili, (Editions Fayard), docteur en sciences politiques, enseignant à l’institut des Sciences politiques à Paris.

Après avoir publié en 2012, chez Max Milo, un premier ouvrage : « Le Printemps arabe : une manipulation ? » qui donne une autre version que celle de la bien-pensante des pays occidentaux, l’auteur s’attaque, cette fois-ci, aux relations d’Alger avec son ancien colonisateur, non dans ce qui se donne à voir, mais dans ce que les coulisses de la diplomatie ont tu et sciemment gardé secret pour des considérations que l’auteur a pris tout le loisir de développer.

Cet ouvrage, qui traite des années 1962 à 1992 (un 2ème tome est à venir) s’appuie sur un matériau considérable écrit et audio-visuel : procès verbaux, témoignages d’acteurs encore vivants ; échanges de lettres tenues secrètes; livres traitant de la période ; notes des ambassades…une somme de documents divers qui donnent à l’ouvrage sa richesse et sa crédibilité. Tout le récit est construit sur le double langage entretenu de part et d’autre sur les illusions d’indépendance vis-à-vis de l’ancienne colonie.

«Les relations entre la France et l’Algérie sont particulièrement bonnes quand elles sont secrètes et beaucoup plus heurtées quand elles sont publiques ». Cette affirmation constitue le socle de l’ouvrage et les événements ou faits développés tout au long des 403 pages du livre par l’auteur sont là pour argumenter cette thèse.

Alors que le peuple algérien fait face, en ce début de l’année 1962, au terrorisme sanguinaire de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète), les dirigeants de la guerre de libération nationale s’entredéchirent déjà sur la nécessité ou non d’ouvrir des négociations avec cette organisation criminelle.

Et c’est alors qu’avec de menus détails que le lecteur apprend que les négociations ont bien eu lieu entre l’exécutif provisoire et l’OAS, y compris avec Jean Jacques Susini, chef de cette organisation tristement célèbre. L’auteur explique que ces négociations ont permis d’éviter le pire, la mise à feu et à sang de l’Algérie entière.

Quant aux accords d’Evian, présentés à l’opinion publique algérienne comme étant l’acte de libération totale du pays et comme la conquête de la souveraineté nationale, Naoufel Brahimi, les qualifie lui, « d’accord de dupes ».

A lire les dispositions qu’il révèle de cet accord, les arguments de l’auteur ne manquent pas, la France ayant conclu ces accords, avant tout pour s’assurer une présence pérenne sur le territoire algérien et surtout pour se préserver l’exclusivité de l’exploitation du pétrole et gaz algériens.

Avec la signature des accords d’Evian et le cessez- le- feu, la « guerre avec la France est finie » dit l’auteur qui ajoute, toutefois (page 44) : « mais celle qui oppose des algériens avides de pouvoir va s’accentuer au grand jour, sous l’œil attentif de Paris… ».

Plus qu’une surveillance, on le découvrira tout au long du livre, c’est à un pied français bien planté dans l’étrier que nous convie l’auteur. C’est ainsi que l’implication de la France est présente dans les grandes décisions du pouvoir algérien.

Alger n'a jamais menacé les intérêts stratégiques de la France

Après avoir rappelé que Boumediene ne rencontrera finalement jamais le général De Gaulle l’auteur corrige toutefois (page 101) : « à aucun moment Alger n’a véritablement menacé les intérêts stratégiques de la France : pétrole et essais nucléaires. Les deux chefs d’Etat établissent des réseaux de communication discrets, contrairement au bouillonnant premier président algérien. La présence des déserteurs de l’armée française dans l’entourage immédiat de Boumediene n’y est pas étrangère ».

A propos de Boumediene, justement, qui est passé dans l’opinion publique comme celui qui s’est toujours opposé à la France, au fil des lectures de l’ouvrage, l’on relève que cela n’est pas aussi tranché et qu’une nuance s’impose.

Lorsque les intérêts de l’Etat le commandent et lorsqu’il ne détient pas tous les atouts en main, l’ancien président cède. C’est notamment ce qu’il a fait, et le lecteur l’apprendra, (en page 124) avec stupéfaction, lorsqu’il signa en 1972 un accord ultra secret avec la France, autorisant l’armée de cette dernière à demeurer encore jusqu’en 1978, à Reggane pour continuer ses essais nucléaires dans la base militaire secrète appelée B12.

Cet accord, précise l’auteur, a été conclu sans que l’armée ne soit mise au courant, en dehors de quelques officiers déserteurs de l’armée française. Beaucoup plus tard d’ailleurs, en février 1986, la France déclenche l’opération Epervier au Tchad et demande à l’Algérie l’autorisation de faire passer ses avions par une base secrète qu’elle détient alors que l’opinion publique ignorait jusqu’à son existence en Algérie, à la frontière libyenne. L’autorisation requise a été donnée.

La connivence des services des deux pays

Même si la nationalisation des hydrocarbures par Boumediene le 24 février 1971 a constitué pour l’opinion publique algérienne, jusqu’à ce jour, comme une première volonté forte d’indépendance économique, l’on découvrira plus loin dans l’ouvrage que le chef de l’Etat algérien, a déclaré à la veille de la visite de Giscard d’Estaing (à Alger le 10 et 11 avril 1975) : « A conditions égales je donne la préférence à la France pour les grands marchés soumis à des appels d’offres ». Ce n’est pas là le premier paradoxe !

Les services secrets de part et d’autre travaillent depuis de longue date dans le secret le plus total et en bonne entente selon l’auteur. De nombreuses affaires sont traitées dans une véritable collaboration. Il en est ainsi de l’affaire du libanais Georges Ibrahim Abdallah, que l’auteur développe longuement ou encore de l’affaire de l’opposant Ali Mecili assassiné à Paris en avril 1987 sans que les assassins ne soient poursuivis. Cela n’empêche évidemment pas chaque service, de travailler pour le compte et dans l’intérêt bien compris de son pays.

Alger et Paris s’entendent parfaitement, mais il ne faut pas que cela se sache trop martèle l’auteur tout au long de son récit. Un livre qui fera sans aucun doute, ébranler bien des certitudes.

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