Journée des droits de l’Homme : la France sous le feu des condamnations et des mises en garde internationales
- À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, la France est visée par des condamnations de la CEDH et des critiques de l’ONU et d’ONG sur les libertés, la non-discrimination et les pratiques policières, migratoires et sociales
Istanbul
AA / Istanbul / Serap Dogansoy
À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, la France se présente avec un bilan marqué par une série de condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de critiques répétées d’organes de l’ONU et d’ONG, qui pointent des atteintes à des droits fondamentaux sur son territoire comme dans le cadre de sa politique étrangère.
De la prison aux contrôles de police, de la protection de l’enfance à la politique migratoire, sociale, sanitaire et universitaire, ces décisions et prises de position mettent en cause le respect par l’État français de ses engagements internationaux en matière de droit à la vie, d’interdiction des traitements inhumains, de non-discrimination, de droit à la vie privée, de droits de l’enfant, de droits sociaux, de liberté d’expression et de liberté académique.
- Atteintes à l’intégrité et à la dignité : articles 2 et 3 de la CEDH
Le respect de l’intégrité physique et de la dignité humaine, garanti par les articles 2 et 3 de la CEDH, constitue un axe majeur du contentieux visant la France.
Le 4 décembre 2025, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour absence de soins adaptés à Juan Ibon Fernandez Iradi, ancien cadre de l’ETA atteint de sclérose en plaques, estimant que sa prise en charge en détention violait l’article 3.
Dans l’affaire Rémi Fraisse, décédé en 2014 lors d’une opération de maintien de l’ordre à Sivens, la Cour a reconnu le 27 février 2025 la responsabilité de l’État au titre de l’article 2, pointant des lacunes juridiques et opérationnelles et l’usage par la France de grenades d’une dangerosité exceptionnelle.
La France a également été condamnée pour ne pas avoir protégé trois mineures victimes de viols, les autorités n’ayant ni pris en compte leur particulière vulnérabilité ni mené les enquêtes avec la diligence requise (violation des articles 3 et 8).
En parallèle, plusieurs enquêtes indépendantes publiées en 2025 décrivent des violences policières persistantes, comme l'utilisation de LBD à courte distance, blessures graves, taser, contraintes physiques, touchant manifestants, mineurs, femmes, personnes handicapées, observateurs et justiciables. Elles relèvent des classements sans suite, des délais importants, des sanctions jugées symboliques et des difficultés d’identification des auteurs malgré des vidéos, nourrissant un sentiment d’impunité et des doutes sur le respect effectif du droit à l’intégrité, à la dignité et aux libertés de manifester et d’expression.
- Contrôles d’identité discriminatoires : article 14 combiné à l’article 8
Autre champ emblématique : les contrôles d’identité. Pour la première fois, le 26 juin 2025, la CEDH a condamné la France pour un contrôle d’identité jugé discriminatoire.
La Cour a considéré que les contrôles subis par un jeune homme de 21 ans, Karim Touil, à Besançon, avaient été discriminatoires au sens de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné à l’article 8 (droit au respect de la vie privée). Les juges ont relevé l’absence de justification suffisante, objective et non discriminatoire pour ces contrôles répétés en quelques jours. Cinq autres requêtes ont, en revanche, été rejetées faute d’éléments probants suffisants.
Cette décision intervient dans un contexte où les études du Défenseur des droits montrent que les jeunes hommes perçus comme arabes, noirs ou maghrébins sont beaucoup plus exposés aux contrôles, voire jusqu’à quatre fois plus que le reste de la population, et douze fois plus à des contrôles approfondis (fouille, palpation). Si la CEDH n’a pas reconnu l’existence d’un problème structurel dans les pratiques françaises, cette première condamnation ouvre un précédent et alimente les appels à réformer les contrôles d’identité pour les rendre pleinement conformes aux principes de non-discrimination.
- Mineurs non accompagnés : droit à la vie privée et droits de l’enfant
La prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) a conduit à plusieurs condamnations et mises en cause de la France devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et les Nations unies.
Le 16 janvier 2025, la CEDH a condamné la France pour défaut de protection d’un ressortissant guinéen se déclarant mineur, jugeant la procédure d’évaluation de l’âge insuffisamment encadrée et attentatoire au droit au respect de la vie privée (article 8). La Cour a pointé un manque de « diligence raisonnable » dans la protection effective des droits liés au statut de mineur, tout en reconnaissant l’existence de recours effectifs (article 13).
Dans un rapport publié le 16 octobre 2025, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a, de son côté, dénoncé des violations « graves et systématiques » des droits des enfants migrants non accompagnés en France. Il met en cause des évaluations d’âge peu fiables, l’insuffisance de la présomption de minorité et l’exclusion de nombreux jeunes du dispositif de protection de l’enfance, les laissant sans hébergement, parfois dans des camps informels, sans accès suffisant à l’alimentation, aux soins et à la scolarisation.
Le Comité relève également des placements en rétention ou en zones d’attente qualifiés de privations de liberté « disproportionnées et arbitraires ». Selon les experts, ces défaillances portent atteinte à de nombreux droits fondamentaux et exposent les enfants à des risques accrus de traite, d’abus, de maltraitance et de violences policières, sur l’ensemble du territoire.
- Politique migratoire et droit au séjour : précarité et discriminations indirectes
Au-delà des mineurs, plusieurs enquêtes associatives dénoncent un système qui « fabrique l’irrégularité » pour les travailleurs et travailleuses étrangers, pris dans un enchevêtrement de titres de séjour précaires, de démarches dématérialisées et de délais administratifs.
Si ces travaux n’ont pas, à ce stade, donné lieu à une condamnation spécifique de la CEDH, les ONG et les défenseurs des droits y voient des atteintes au droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), au droit à un recours effectif (article 13) et au principe de non-discrimination. L’accumulation de cartes de séjour d’un ou deux ans, les retards dans les renouvellements, la difficulté à obtenir un rendez-vous en préfecture ou un récépissé peuvent entraîner la perte de l’emploi, du logement et du revenu, basculant des personnes en situation irrégulière alors même qu’elles travaillent et résident de longue date en France.
Les récits de jeunes anciens mineurs isolés ou de salariés précaires, contraints d’interrompre leur activité faute de titre de séjour renouvelé à temps, voire de recevoir une carte déjà entamée à sa délivrance, illustrent une précarité prolongée qui limite l’accès aux droits fondamentaux et renforce la vulnérabilité à l’exploitation. Pour les ONG, ces mécanismes interrogent la conformité de la politique migratoire française avec les engagements internationaux en matière de respect de la dignité, de stabilité du séjour et de protection contre la pauvreté extrême.
- Discriminations, racisme et application de la laïcité : liberté de religion et égalité
Sur le terrain des libertés publiques, plusieurs organisations internationales ont critiqué la France pour des mesures perçues comme visant de manière indirecte les musulmans, notamment au nom de la laïcité.
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, mais aussi Amnesty International, ont exprimé leurs préoccupations face à certaines lois et pratiques (interdiction du voile à l’école, restrictions dans certains services publics) considérées comme susceptibles de porter atteinte à la liberté de religion et au principe de non-discrimination. Ces critiques renvoient aux protections garanties par l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et l’article 14 (interdiction de la discrimination) de la CEDH.
Parallèlement, plusieurs affaires récentes de violences mortelles visant des personnes musulmanes ou perçues comme telles, comme le meurtre d’Aboubakar dans une mosquée du Gard ou celui de Djamel Bendjaballah à Cappelle-la-Grande, ont ravivé les interrogations sur la capacité des autorités à reconnaître et combattre les crimes racistes. Les associations de défense des droits humains y voient un enjeu central de respect du droit à la vie et de l’obligation de l’État de prévenir et de sanctionner les violences motivées par la haine raciste ou antimusulmane.
- Liberté d’expression et libertés académiques mises à l’épreuve
La liberté d’expression et la liberté académique, pourtant centrales au débat démocratique, connaissent des tensions croissantes. À l’automne 2025, l’annulation du colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines » au Collège de France, au nom de la sécurité, a suscité de vives réactions de la LDH, de la FSU et du SNESUP-FSU, qui y voient une atteinte aux libertés académiques et rappellent que l’ordre public ne peut, à lui seul, justifier la restriction d’un événement scientifique respectant les règles du débat universitaire.
Les critiques portent également sur les interventions de responsables politiques dans la vie universitaire et la mise en cause de certaines approches en sciences humaines, accusées de « dérives » idéologiques. Pour les défenseurs des droits, ces dynamiques fragilisent la liberté d’enseigner, de rechercher et de débattre, protégée par l’article 10 de la CEDH et par les textes organisant la liberté de la recherche.
Un rapport remis en octobre 2025 par la chercheuse Stéphanie Balme dresse un état des lieux préoccupant : multiplication des pressions extérieures, procédures-bâillons, retraits de financements, sanctions disciplinaires visant des travaux jugés « sensibles », et autocensure croissante d’universitaires face aux limites perçues de ce qu’ils peuvent dire ou écrire.
Le rapport appelle à renforcer les garanties : inscription de la liberté académique dans la Constitution, protection autonome des sources des chercheurs, sanctions dissuasives contre les procédures-bâillons et création d’outils européens de suivi — indice de liberté académique, observatoire dédié. Des propositions qui soulignent la nécessité de protéger l’espace scientifique des ingérences et de garantir le pluralisme des idées..
- Responsabilité internationale et exportations d’armes : risque de complicité de violations graves
Au-delà du territoire national, la France est aussi interpellée sur sa responsabilité dans le cadre d’exportations d’armes vers des pays impliqués dans des conflits marqués par de graves violations des droits humains.
Des ONG, dont Amnesty International France, estiment que certaines livraisons de matériel militaire à Israël, révélées par des médias d’investigation, pourraient contrevenir aux obligations de la France au regard du droit international humanitaire, de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide et des instruments régissant le commerce des armes. Elles alertent sur un risque de « complicité » de crimes de guerre, voire de génocide, si des équipements français étaient utilisés dans des opérations menées à Gaza ou en Cisjordanie.
Les autorités françaises affirment, de leur côté, ne pas exporter d’armes pouvant être employées dans ces territoires. Mais les défenseurs des droits humains dénoncent l’opacité entourant les transferts d’armes et demandent un embargo sur les ventes vers les pays impliqués dans des violations massives des droits fondamentaux, au nom de l’obligation de prévenir les crimes les plus graves et de ne pas y contribuer.
- Accès aux soins et protection sociale : droit à la santé, à une existence digne et non-discrimination
Des organisations médico-sociales et humanitaires alertent sur plusieurs réformes susceptibles de restreindre l’accès aux soins et de fragiliser les publics vulnérables. Le doublement des franchises médicales, la remise en cause des dispositifs liés aux affections de longue durée (ALD) et le durcissement envisagé de l’aide médicale d’État (AME) sont dénoncés comme pénalisant les personnes malades, âgées, handicapées ou en situation irrégulière, en contradiction avec le principe d’égalité d’accès aux soins et en renforçant les discriminations, notamment envers les étrangers et les plus précaires.
La réforme du revenu de solidarité active (RSA) suscite également des critiques : depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, les bénéficiaires doivent être inscrits à France Travail et accomplir 15 à 20 heures d’activité hebdomadaire sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à la suspension de l’allocation.
Dans une déclaration du 19 décembre 2024, la CNCDH estime que cette généralisation « porte atteinte aux droits humains ». Elle rappelle que la Constitution de 1946 garantit des « moyens convenables d’existence » à toute personne incapable de travailler, juge qu’assortir un minimum de subsistance d’une contrepartie remet en cause ce principe et alerte sur des intrusions disproportionnées dans la vie privée, notamment via l’inscription automatique du conjoint et le contrôle des heures.
Le 21 août 2025, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, a exprimé des préoccupations similaires : effets incertains du dispositif, risque de priver les plus vulnérables de leurs moyens d’existence, sévérité des sanctions, garanties procédurales insuffisantes, activités pouvant s’apparenter à du travail non rémunéré et risque accru de non-recours.
Enfin, plusieurs associations et syndicats (CGT, CFDT, Emmaüs, LDH, ATD Quart Monde) ont saisi le Conseil d’État contre le décret du 30 mai 2025 dit « Sanctions », qu’ils jugent trop répressif. Ils invoquent le droit à un niveau de vie suffisant, à la protection sociale, au respect de la vie privée et le principe de non-discrimination entre usagers d’un même service public social.
Alors que le 10 décembre marque l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ces décisions de justice, avis d’organes onusiens et rapports d’ONG rappellent que la France, pourtant engagée de longue date dans la promotion internationale des droits humains, demeure régulièrement mise en cause pour le respect de ses propres obligations.
Les instances européennes et internationales appellent l’État à tirer toutes les conséquences de ces constats. Notamment de renforcer les garanties contre les violences policières, assurer une protection effective des mineurs et des victimes de violences sexuelles, lutter contre les discriminations raciales et religieuses, sécuriser les parcours des personnes migrantes et des travailleurs étrangers, encadrer plus strictement les exportations d’armes, garantir un accès équitable aux soins et à la protection sociale, et protéger la liberté d’expression comme les libertés académiques.
Pour ces acteurs, le respect des droits de l’homme ne se joue pas seulement dans les discours et commémorations, mais dans la réforme des pratiques policières, judiciaires, administratives, sociales et universitaires, et dans la mise en conformité des politiques publiques avec les standards européens et internationaux que la France a elle-même contribué à élaborer.
Plus de soixante-quinze ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les institutions internationales rappellent une chose simple : « les droits humains ne vivent pas seulement dans les textes. Ils se mesurent, chaque jour, dans les pratiques concrètes d’un État envers celles et ceux qu’il gouverne. »
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