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Violations du cessez-le-feu à Gaza : des experts juridiques dénoncent des crimes de guerre israéliens

- Les experts en droit international avertissent que les actions d'Israël pourraient constituer des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et potentiellement un génocide.

Rabia Ali  | 07.03.2025 - Mıse À Jour : 07.03.2025
Violations du cessez-le-feu à Gaza : des experts juridiques dénoncent des crimes de guerre israéliens

Istanbul

AA / Istanbul / Rabia Ali

Alors qu'Israël réimpose un siège sur Gaza et poursuit ses attaques malgré un cessez-le-feu, des experts juridiques tirent la sonnette d'alarme concernant les violations flagrantes du droit international, avertissant que ces actions pourraient constituer des crimes de guerre et bien plus encore.

Le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, entré en vigueur à la mi-janvier après 15 mois de bombardements israéliens incessants, n'a pas permis d'améliorer significativement les conditions sur le terrain. Plus de 48 500 Palestiniens ont été tués dans l'assaut israélien et près de 112 000 autres blessés, tandis que presque toute la bande de Gaza est réduite en ruines.

Israël a violé à plusieurs reprises l'accord de cessez-le-feu, aggravant ainsi la crise humanitaire. Le 11 février, Munir al-Barsh, directeur général du ministère de la Santé de Gaza, a déclaré qu'Israël avait tué 92 Palestiniens et blessé 822 autres lors d'attaques directes depuis le début de la trêve, tandis que le bureau des médias du gouvernement de Gaza a annoncé le 21 février que plus de 350 violations du cessez-le-feu avaient été enregistrées.

Les incursions israéliennes dans les zones frontalières à l'est de la bande de Gaza, ainsi que les mouvements militaires signalés dans le centre et l'ouest de Rafah, ont également suscité des inquiétudes. De plus, Israël a entravé le retour des Palestiniens déplacés vers le nord de Gaza, bloqué l'entrée de fournitures de refuge et retardé l'arrivée des nécessités médicales.

La situation s'est aggravée depuis dimanche dernier, lorsque le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a totalement suspendu l'aide humanitaire à Gaza, tout en refusant d'entamer des négociations sur la deuxième phase de l'accord.


  • Blocage de l'aide humanitaire

Malgré les appels internationaux généralisés en faveur de l'accès humanitaire, Israël continue d'entraver l'acheminement de l'aide vers Gaza.

Saeed Bagheri, enseignant et professeur adjoint en droit international à l'Université de Reading, a souligné qu'en vertu du droit international humanitaire (DIH), fournir une aide humanitaire aux populations civiles constitue une obligation coutumière.

« Israël a l'obligation, en vertu du DIH coutumier, de permettre et de faciliter le passage rapide, libre et sans entrave de l'aide humanitaire aux Palestiniens à Gaza », a-t-il déclaré à Anadolu.

Bagheri a également évoqué l'article 23 de la quatrième Convention de Genève de 1949, qui s'applique aux territoires occupés et exige explicitement qu'Israël autorise l'aide humanitaire.

« Retarder l'aide humanitaire et les secours constitue une violation directe et un manquement aux obligations du DIH de la part d'Israël », a-t-il affirmé.

Marco Longobardo, maître de conférences en droit international à l'Université de Westminster, a exprimé une analyse similaire.

« En vertu de la quatrième Convention de Genève, Israël doit consentir à la livraison de l'aide humanitaire et faciliter la distribution de l'aide », a expliqué Longobardo.

Luigi Daniele, expert en droit international et maître de conférences senior à l'Université Nottingham Trent, a souligné les conséquences potentielles de cet obstacle.

Refuser aux civils les moyens de subsistance, si cela perdure, peut détruire une entité nationale entière, a-t-il averti.

Il a également évoqué les trois mesures provisoires prises par la Cour internationale de justice (CIJ), qui exhortent Israël à lever les obstacles à l'aide humanitaire, avertissant que les restrictions continues pourraient constituer une violation de la Convention pour la prévention et la répression du génocide, notamment en ce qui concerne l'interdiction du génocide par l'imposition de conditions de vie destructrices à un groupe ciblé.


  • La famine comme arme de guerre

Les organisations de défense des droits de l'homme ont vigoureusement condamné l'obstruction de l'aide par Israël et l'ont accusé de continuer à utiliser la famine comme arme de guerre.

Longobardo a déclaré que les restrictions israéliennes pouvaient constituer à la fois un crime de guerre de la famine et un crime de guerre consistant à priver intentionnellement la population civile de Gaza des objets indispensables à sa survie.

Ces deux accusations se trouvent au cœur des mandats d'arrêt délivrés par la Cour pénale internationale (CPI) contre Netanyahu et l'ex-ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, a-t-il ajouté.

De plus, la CIJ a ordonné à Israël de permettre la livraison de l'aide humanitaire, si bien que « toute entrave à cela viole l'ordre de la cour et peut renforcer les allégations de génocide », a-t-il ajouté.

Comme Longobardo, Bagheri a également fait référence à l'article 8(2)(b)(xxv) du Statut de Rome de la CPI, qui stipule « l'utilisation délibérée de la famine des civils comme méthode de guerre en les privant des objets indispensables à leur survie, y compris l'entrave délibérée aux approvisionnements en secours tels que prévus par les Conventions de Genève. »

« Dans ce sens, le blocus de l'aide humanitaire par Israël, s'il est utilisé dans le but et avec l'intention de provoquer la famine de la population civile à Gaza, constituerait un crime de guerre en vertu du Statut de Rome », a-t-il précisé.

Daniele, expert en droit international humanitaire (DIH) et en droit pénal international (DPI), a fourni un contexte historique, soulignant que la famine était autrefois considérée comme une tactique militaire légitime.

Le dernier document juridique considérant la famine comme un moyen légitime de guerre était le Code Lieber de 1863, utilisé pendant la guerre civile américaine, a-t-il rappelé.

Cependant, le droit international humanitaire a évolué depuis lors, éliminant toute justification de l'utilisation de la famine comme stratégie militaire.

Les exceptions juridiques permettant les tactiques de famine ont été systématiquement supprimées au fil des ans, a souligné Daniele.


  • Les attaques systématiques d'Israël contre les civils palestiniens

Les actions délibérées d'Israël – y compris l'admission publique de Netanyahu selon laquelle la famine est utilisée comme levier contre le Hamas – font partie d'une stratégie plus large et organisée, selon les experts.

« Les actions israéliennes ont été systématiquement dirigées contre la population civile, en sachant qu'elles causeraient de grandes souffrances et des blessures graves au corps ou à la santé mentale ou physique des civils à Gaza », a déclaré Bagheri.

Ces actions, a-t-il ajouté, pourraient constituer des crimes contre l'humanité en vertu de l'article 7(1)(k) du Statut de Rome – « d'autres actes inhumains de nature similaire causant intentionnellement de grandes souffrances ou des blessures graves au corps ou à la santé mentale ou physique. »


  • Empêcher le retour des Palestiniens déplacés

Peu après l'établissement du cessez-le-feu, le Hamas a accusé Israël de violer l'accord en empêchant les civils déplacés de retourner dans le nord de Gaza.

Bagheri a souligné que le droit au retour est un principe fondamental du droit international.

« Le retour des personnes déplacées dans leurs foyers ou lieux de résidence habituels dès que les raisons de leur déplacement cessent d'exister est régi par l'article 49(2) de la quatrième Convention de Genève, qui est également une règle coutumière du DIH », a-t-il déclaré.

Cela a également été fréquemment reconnu dans les accords de cessez-le-feu ou de paix, comme c'est le cas actuellement entre Israël et le Hamas, a-t-il ajouté.

« Retarder ou empêcher le retour des Palestiniens déplacés dans le nord de Gaza en toute sécurité constituerait une violation à la fois du DIH coutumier et des obligations contractuelles d'Israël », a déclaré Bagheri.


  • Déplacement forcé

Les experts juridiques ont également abordé les rapports faisant état d'un plan israélo-américain visant à expulser définitivement les Palestiniens de Gaza, avertissant qu'une telle action constituerait un crime de guerre.

Longobardo a précisé que le déplacement permanent des Palestiniens est interdit par le DIH et « entraînerait la commission de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. »

« Un tel déplacement permanent serait également illégal en vertu du principe de l'autodétermination des peuples », a-t-il ajouté.

La CIJ a également déclaré l'année dernière que tous les États du monde « doivent s'abstenir de reconnaître comme légales les violations israéliennes de l'autodétermination palestinienne ; doivent s'abstenir d'offrir toute aide à Israël en ce qui concerne les violations de l'autodétermination palestinienne ; et doivent coopérer par des moyens légaux pour mettre fin à ces violations », a ajouté Longobardo.

Daniele a souligné que le déplacement des civils est « au cœur des politiques militaires illégales d'Israël. »

L'éloignement forcé des individus constitue à la fois une violation du DIH, ou un crime de guerre, et un crime contre l'humanité, a-t-il déclaré.

Daniele a également abordé une idée reçue courante, notamment en Europe, selon laquelle pour être tenu responsable de génocide, « il faut éliminer l'intégralité du groupe victime, membre par membre. »

« Ce n'est pas le cas. Même déplacer de force les survivants et les disperser en tant que communautés séparées dans d'autres pays constitue également une manière d'éliminer un groupe national », a-t-il expliqué.


  • Refus de libérer les prisonniers palestiniens

Suite à une série d'échanges réussis dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu, Israël a retardé la libération de 620 prisonniers palestiniens, suscitant des condamnations et des préoccupations concernant l'avenir de la trêve.

Bagheri a expliqué que puisque la prise d'otages est un crime de guerre en vertu des articles 8(2)(a)(viii) et 8(2)(c)(iii) du Statut de Rome, la « détention arbitraire des prisonniers palestiniens comme monnaie d'échange » par Israël pourrait être classée comme un crime de guerre.

« Le refus d'Israël de libérer ces civils qui avaient été pris en otage ou détenus arbitrairement, conformément à l'accord de cessez-le-feu, constituerait en soi une violation des dispositions pertinentes du Statut de Rome et serait qualifié de crime de guerre », a-t-il conclu.


* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba

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