Ventes et transferts d'armes vers Israël : Paris accusé de complicité des souffrances à Gaza
– Dans des interviews exclusives à Anadolu, David Adler, Bastien Lachaud et Sophia Chikirou dénoncent les exportations françaises de matériel militaire vers Israël, en dépit des alertes sur le risque de génocide à Gaza.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
“Le gouvernement de Macron parle avec deux bouches.” Interrogé en exclusivité par Anadolu, David Adler, représentant de Progressive International, accuse la France d’adopter un double discours : “D’un côté, il parle de paix, de reconnaissance de l’État palestinien, et de l’autre, il alimente l’effort de guerre israélien par ses ports et ses aéroports.” Il affirme que “la France est systématiquement complice de cette souffrance” et s’appuie sur un rapport co-signé par neuf ONG, présenté ce mardi 10 juin à l’Assemblée nationale.
Ce document révèle que depuis octobre 2023, la France a exporté vers Israël plus de 15 millions d’articles militaires, pour une valeur estimée à plus de 9 millions d’euros. “Certaines de ces armes ne sont pas simplement défensives, mais sont utilisées de manière offensive contre les Palestiniens”, déclare Adler, citant les composants livrés pour les avions F-35. “Ce que nous montrons, c’est à quel point nous savons peu. Et ce peu, ce que nous avons, est déjà accablant.”
- Responsabilité directe de l'Exécutif
Bastien Lachaud, député La France insoumise, rappelle que ces exportations ne peuvent se faire sans validation politique. “Le commerce des armes est réglementé. Il est interdit pour une entreprise de vendre des armes, sauf autorisation expresse et justifiée du gouvernement, par le biais d’une commission présidée par le Premier ministre.” Il affirme que l’exécutif ne peut se défausser de sa responsabilité : “Si aujourd'hui des entreprises françaises vendent des armes à Israël, c’est la responsabilité pleine et entière du gouvernement.”
En effet, la commission chargée d’examiner les demandes d’exportation d’armes et de matériels militaires en France est la CIEEMG — Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre. Elle est présidée par le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), et réunit les ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Économie, ainsi que des représentants du Secrétariat général du Premier ministre. La CIEEMG se réunit régulièrement pour formuler un avis consultatif sur les demandes d’autorisation d’exportation. Cet avis est transmis au Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, qui, par délégation du Premier ministre, délivre ou refuse l'agrément.
- Violation des engagements internationaux
Selon lui, la France viole ses engagements : “La France a signé et ratifié un traité qui interdit de vendre des armes à un pays suspecté de commettre un crime de guerre, un crime contre l’humanité, un crime de génocide. La Cour internationale de justice a évoqué une suspicion de génocide concernant Gaza. Donc il est interdit pour la France, même au nom des principes, de vendre des armes à Israël”, rappelle également Bastien Lachaud.
Sophia Chikirou, également députée LFI, explique avoir été saisie par Progressive International à l’origine de cette initiative. “Ils nous ont transmis des éléments qui démontrent que le gouvernement nous ment sur l’ampleur du commerce d’armes et de munitions en direction d’Israël, en pleine période de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et même de crimes de génocide.” Elle annonce vouloir porter l’affaire sur le terrain institutionnel : “Nous allons demander une commission d’enquête parlementaire sur ces livraisons d’armes. Ce rapport démontre un continuum depuis octobre 2023. Jamais le gouvernement n’a cessé ou ralenti ces exportations.” Elle appelle également à lever le “secret défense”, dénonçant le manque de contrôle parlementaire sur ces décisions. “Le gouvernement a menti sur la qualité des armes qu’il livrait en prétendant qu’il s’agissait de composants défensifs. Or, ce n’est pas de la défense.”
Le rapport présenté ce mardi repose notamment sur des données de l’administration fiscale israélienne, des documents de navigation et des analyses douanières. Il retrace les expéditions effectuées par des cargos comme le Contship Era, des vols FedEx opérés par ASL Airlines, et même un vol de l’armée française. Les auteurs exigent un embargo immédiat sur les exportations françaises à destination d’Israël.
Alors que plusieurs syndicats, ONG et élus appellent à une suspension des ventes d’armes, ces révélations interviennent dans un moment où la France est sommée d’expliquer son rôle dans un conflit où la Cour internationale de Justice a évoqué un risque plausible de génocide.
- Situation humanitaire à Gaza
Depuis la reprise des hostilités le 18 mars 2025, les attaques israéliennes ont causé la mort de près de 5 000 Palestiniens, portant le bilan total à Gaza à plus de 55 000 morts, depuis le début du conflit en octobre 2023, suite à une attaque du Hamas. La majorité des victimes palestiniennes sont des civils, notamment des enfants et des femmes. Malgré l'annonce de cessez-le-feu, les violations persistent, aggravant la situation humanitaire déjà critique.
Pour rappel, la Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné à Israël, le 26 janvier 2024, de prévenir tout acte de génocide à l'encontre des Palestiniens à Gaza et de permettre l'accès à l'aide humanitaire. De son côté, la Cour pénale internationale (CPI) a émis, le 21 novembre 2024, plusieurs mandats d'arrêt, notamment contre le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis dans la bande de Gaza.
Par ailleurs, Israël bloque, depuis le 2 mars, l’entrée de toute aide humanitaire dans la bande de Gaza, invoquant des raisons de sécurité. Quelques autorisations minimes de passage de l'aide humanitaire ont été accordées, mais celles-ci demeurent largement insuffisantes pour répondre aux besoins de la population gazaouie.
Ce blocus a été condamné par plusieurs ONG, dont Médecins du monde, Oxfam et le Norwegian Refugee Council, qui alertent sur un "effondrement total" de l’aide humanitaire et dénoncent "l’un des pires échecs humanitaires de notre génération". Dans ce contexte, le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, a réaffirmé qu’"aucune aide humanitaire n’entrera à Gaza".