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Venezuela: L’échec de l’acheminement de l'aide humanitaire soulève des interrogations

- L'opposition vénézuélienne a annoncé une manifestation pacifique qui a dégénéré en scènes de chaos et actes de violence

Ayvaz Çolakoğlu  | 07.03.2019 - Mıse À Jour : 11.03.2019
Venezuela: L’échec de l’acheminement de l'aide humanitaire soulève des interrogations

Ankara

AA - BOGOTA - Daniel Salgar Antolinez*

Le 23 janvier, le président de l'Assemblée nationale du Venezuela, Juan Guaido, s’est auto-proclamé président par intérim du pays après avoir invoqué les articles 233, 333 et 350 de la Constitution. Il a ensuite mené une stratégie pour faire tomber le gouvernement de Nicolas Maduro, qualifiant le président d'"usurpateur". Un nouveau plan de l'opposition vénézuélienne qui a rassemblé de puissants alliés et attiré l'attention des médias internationaux, mais qui n’a pas encore donné de résultats convaincants.

La première partie de la stratégie a consisté à une lutte afin d’obtenir un soutien international. Guaido a obtenu une importante reconnaissance en tant que président par intérim et ce par au moins 50 États. Une reconnaissance qui est cependant loin d’être majoritaire parmi les 193 États membres de l'ONU. Par ailleurs, des membres influents du Conseil de sécurité de l’ONU, comme la Russie et la Chine, ne le soutiennent toujours pas. Même avec les principales puissances occidentales à ses côtés, le jeune leader de l'opposition vénézuélienne a encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à isoler et délégitimer Maduro au niveau international.

Indépendamment du succès international de Guaido ou de Maduro, il y a le problème fondamental de la légitimité et du pouvoir dans leur propre pays. Outre le pouvoir législatif que dirige Guaido, aucune des quatre branches restantes de l'État ne le reconnaît comme président par intérim : ni les pouvoirs exécutif et judiciaire, ni l’électorat, ni les citoyens, pas plus que les forces armées.

La deuxième partie de la stratégie dirigée par Guaido consistait à envoyer de l'aide humanitaire aux Vénézuéliens par-delà les frontières terrestres avec la Colombie et le Brésil, et par les frontières maritimes avec Porto Rico et Curaçao. L'entrée de plus de 600 tonnes d'aide fournie principalement par les États-Unis et le Chili était prévue pour le 23 février. Il a été annoncé à plusieurs reprises que cette aide entrerait au Venezuela par tous les moyens, malgré le refus du gouvernement de Maduro.

Décalage entre la parole et la réalité

Le 22 février, les députés de l'opposition vénézuélienne ont donné une conférence de presse dans la ville frontalière de Cucuta, en Colombie, au cours de laquelle, ils ont annoncé une "avalanche humanitaire" traversant la frontière pour entrer dans la zone d'aide.

Les députés Gaby Arellano et José Manuel Olivares, ont assuré qu'il s'agira d'une manifestation pacifique où les volontaires s'habilleront en blanc afin d’escorter l'entrée des camions qui transporteront l'aide.

Ils faisaient confiance à la Garde nationale bolivarienne (GNB), qui face à ce type de ‘’révolution non-armée’’, se retirerait et ouvrirait un corridor. Ils ont également expliqué que dans chaque pont frontalier de Cucuta, il y aurait un député de l'opposition qui coordonnerait cette opération historique visant à ouvrir les portes du Venezuela.

Des centaines de journalistes étaient prêts à couvrir cette acheminement d’aide humanitaire pacifique le 23 février, mais la situation sur le terrain s’est avérée bien différente. Au lieu de personnes désarmées vêtues de blanc et dirigées par des figures de l'opposition, il a été vu des groupes de jeunes aux visages dissimulés qui ont lancé des pierres et des cocktails molotov sur la GNB, qui de son côté, a répondu par des tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc.

Il était indéniable que la frontière ne serait pas ouverte comme prévu. Quel pays autoriserait l'entrée d'une aide humanitaire dans de telles circonstances, avec des groupes de civils incontrôlables qui commettent des actes de violence ? Bien que Guaido et ses alliés insistent pour que la GNB réprime les manifestants pacifiques et que de nombreux médias rapportent ce discours, il est possible de dire, après avoir été sur le terrain, que la GNB a répondu par des armes non létales à une agression contre leur territoire, comme le feraient toutes forces armées dans le monde.

Ces groupes de jeunes ont mené une bataille acharnée qui a duré plus de sept heures sur les ponts frontaliers de Simon Bolivar et Francisco de Paula Santander. Pendant ce temps, la police colombienne, chargée de maintenir l'ordre, n'a fait qu'observer les événements et n'est jamais intervenue afin d’empêcher que l’acheminement de l’aide humanitaire ne se transforme en chaos et en violence. Pourquoi les autorités colombiennes ont-elles permis à des jeunes, dont beaucoup sont mineurs, de risquer leur vie et d'attaquer un pays voisin ? Pourquoi sont-ils restés si passifs alors que des manifestants étaient blessés et alors qu'il était utilisé des gaz lacrymogènes sur leur propre territoire ?

Un autre problème est la présence de groupes armés civils vénézuéliens, des "collectifs". Leur existence au Venezuela est connu et ils sont accusés d’avoir commis des homicides, reçu des armes du gouvernement Chavez et défendu la révolution bolivarienne. Lors des manifestations du 23 février, la présence de ces groupes armés du côté vénézuélien de la frontière a été dénoncée à plusieurs reprises.

En fin de compte, aucune aide humanitaire n'est entrée au Venezuela, mais au moins 285 personnes ont été blessées. Sur le pont Francisco de Paula Santander, deux camions transportant de l'aide ont été incendiés et on ne sait toujours pas qui en est responsable. Dans les jours qui ont suivi, les scènes de jeunes lançant des pierres et des cocktails molotov sont devenues récurrentes sur les ponts principaux et l'attitude contemplative des autorités colombiennes a perduré.

Rôle des chefs de l'opposition le 23 février

D'autres questions se posent en analysant le rôle des chefs de l'opposition. Bien qu'ils aient assuré qu'ils coordonneraient l'entrée de l'aide humanitaire, seuls certains d'entre eux sont apparus au milieu de la bataille. D'une part, ils n'ont pas été en mesure de contrôler les civils qui traversaient les ponts pour affronter, avec violence, les gardes vénézuéliens. De l'autre côté, certains organisateurs portant des gilets bleus ont été vus en train d'encourager ces mêmes manifestants, leur fournissant des masques ou du matériel pour attaquer la frontière. N’était-ce pas censé être une manifestation pacifique ?

Pendant ce temps, Guaido, après avoir donné une conférence de presse à midi, grimpe sur l'un des 14 camions exposés à la frontière pour y être photographié par les nombreux journalistes qui le suivent tout autour de Cucuta. Puis il est descendu et a disparu jusqu'à la conférence de presse qu'il a donnée la nuit. On ne l'a jamais vu diriger ‘’l’avalanche de volontaires’’ présents pour escorter l’aide, ni même empêcher que cette manifestation ne devienne un acte de violence.

Il n'y a donc pas eu de leadership clair de la part des principales figures de l'opposition qui ont orchestrées l'opération. Il est impossible de ne pas se demander comment Guaido, essayant de s’afficher comme président par intérim du Venezuela, a permis à un groupe de civils d'attaquer sa propre armée et son propre territoire. Avec autant de médias colombiens et internationaux à ses côtés, n'aurait-il pas dû se présenter pacifiquement devant ses soldats et leur ordonner de permettre l'entrée de l'aide dans son pays ? C'était la photo que beaucoup de personnes attendaient.

Aide humanitaire ?

L'un des principaux débats de cet épisode est de savoir si les tonnes de colis d'aide qui devaient être envoyés au Venezuela peuvent être qualifiés d'aide humanitaire.

Du point de vue du droit international humanitaire, cette aide doit respecter les principes d'indépendance, de neutralité et d'impartialité. Elle devrait avoir un objectif humanitaire exclusif, se faire après une étude des besoins spécifiques et de la manière dont ils seront satisfaits. Ce n'était pas le cas. Même le Comité international de la Croix-Rouge et l'ONU ont refusé de participer à l'opération du 23 février et ont souligné qu'elle ne pouvait être qualifiée d'"humanitaire" en raison de son contenu hautement politisé.

Sur le terrain, l'opération était loin d'être un véritable geste humanitaire visant à aider les personnes les plus vulnérables, mais une performance devant les médias mondiaux visant à humilier et délégitimer Maduro. En fin de compte, Guaido a déclaré sa victoire non pas parce que l'aide humanitaire avait atteint son but, mais parce que le monde avait été témoin du caractère répressif de Maduro. Quel était alors le but réel de cette aide "humanitaire" ?

Si le but était d'aider des millions de Vénézuéliens qui souffrent de la faim à cause des pénuries et de l'hyperinflation, ou les malades qui manquent de médicaments, une opération humanitaire aurait pu être menée d'une autre manière et sans affrontement violent. En fait, bien que Maduro refuse de reconnaître une crise humanitaire dans son pays et ne veut pas ouvrir de couloirs humanitaires, de nombreuses organisations envoient constamment de l'aide au Venezuela de différentes manières, en maintenant l'anonymat et en s'assurant que des produits spécifiques atteignent ceux qui en ont besoin.

Désertion de soldats vénézuéliens

S'il y a un triomphe possible dans ce round contre Maduro, c'est qu'un certain nombre de soldats quittent les forces armées vénézuéliennes, traversent la frontière et demandent la protection des autorités colombiennes. Les dirigeants de l'opposition vénézuélienne ont réitéré l'appel lancé aux soldats vénézuéliens pour qu'ils se placent du "bon côté de l'histoire". Du 23 au 27 février, au moins 570 agents ont quitté leur poste, selon les autorités migratoires colombiennes.

Ce chiffre est pertinent, mais les désertions ne représentent même pas 1 % de la structure militaire des Forces armées nationales bolivariennes, qui comptent "entre 95 000 et 150 000 combattants actifs", selon les informations disponibles sur le site Web du Ministère de la défense. Les décisions individuelles peuvent envoyer des messages à Maduro, mais jusqu'à présent, elles ne remettent pas en question la position institutionnelle des forces armées qui restent de son côté, ni n'ont déclenché le coup d'État militaire et le changement de régime que Guaido et ses alliés attendent.

En outre, la grande majorité des soldats déserteurs ne sont pas de haut rang. Pour l'État colombien, cela implique un effort pour assurer leur protection et leur maintien à l'intérieur du pays, alors qu'il est peu probable qu'ils puissent fournir des renseignements pertinents afin d’obtenir un fort avantage sur Maduro.

* L'auteur est rédacteur en chef du service espagnol d'Anadolu Agency.

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