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"Une fracture au sein de l’UE" : Trump pourrait-il rapprocher l’Europe et la Chine ?

- Plusieurs nations de l’Union européenne réévaluent leurs relations avec Pékin en raison du fossé grandissant entre les États-Unis et l’Europe, affirme l’analyste chinois Sari Arto Havren.

Ahmet Gençtürk  | 20.03.2025 - Mıse À Jour : 21.03.2025
"Une fracture au sein de l’UE" : Trump pourrait-il rapprocher l’Europe et la Chine ?

Atina

AA / Athènes / Ahmet Gencturk

Les politiques antagonistes de Washington sous la présidence de Donald Trump influenceront profondément les relations de l’Europe avec la Chine, pouvant redessiner les équilibres géopolitiques et les partenariats économiques, selon des experts de haut niveau.

Sari Arho Havren, analyste de la Chine et chercheuse associée à l’Institut Royal des Services Unis (RUSI), souligne que, malgré les turbulences apparentes provoquées par les actions de l’administration Trump, les transformations majeures des relations Europe-Chine émanent avant tout de l’Union européenne elle-même.

"Le changement que nous observons vis-à-vis de la Chine provient de la Commission européenne, comme en témoigne l’adoucissement du discours de sa présidente Ursula von der Leyen, ainsi que l’initiative de l’Espagne, soutenue par l’Italie, en faveur d’un engagement accru avec Pékin", a déclaré Havren à Anadolu.

Elle a par ailleurs expliqué que les États membres de l’UE géographiquement éloignés de la Russie et de l’Ukraine ont historiquement affiché une plus grande ouverture envers la Chine que ceux directement impactés par le conflit.

Ces derniers perçoivent plus distinctement les liens stratégiques sous-jacents entre Moscou et Pékin, ainsi que "le rôle de la Chine en tant que facilitateur de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine", a-t-elle ajouté.

Concernant la réaction de Pékin face à ces évolutions au sein de l’UE, Havren s’est montrée sceptique, estimant que la Chine ne propose rien de concret en dehors de « discours creux » et d’un ton plus conciliant.

"Compte tenu de la grave crise économique et sécuritaire que traverse l’UE, Pékin a probablement estimé qu’il n’avait rien à offrir", a-t-elle avancé.

Elle estime que la Chine doit impérativement maintenir et même renforcer son accès aux marchés européens en raison de ses difficultés économiques internes et de sa surcapacité industrielle croissante.

Toutefois, l’experte a ajouté que l’UE reste légitimement préoccupée par la concurrence des industries chinoises massivement subventionnées, qui pourraient menacer les entreprises européennes.

Ces inquiétudes, selon elle, constituent des obstacles majeurs à l’amélioration des relations bilatérales.


  • Des perspectives divergentes au sein de l’UE et le triangle États-Unis-Russie-Chine

Havren a souligné que les nations européennes ont des perspectives variées sur leur engagement avec la Chine, souvent influencées par des intérêts commerciaux distincts et des orientations politiques internes.

Elle a indiqué que ces différences persistent entre les États membres malgré la stratégie de l’UE visant à « réduire les risques » liés à la dépendance économique à la Chine, notamment dans des secteurs clés comme la technologie, l’industrie pharmaceutique et les énergies renouvelables.

« Cette dynamique crée souvent une fracture au sein de l’UE, alors que ces nations tentent d’équilibrer engagement économique et objectifs stratégiques communs », a-t-elle déclaré.

« Par ailleurs, alors que plusieurs pays de l’UE réévaluent leurs relations en raison des fractures croissantes de l’alliance transatlantique après Trump, la Chine cherchera à tirer parti de cette situation. »

Évoquant le rapprochement entre Washington et Moscou sous Trump, Havren s’est montrée sceptique quant à la possibilité pour les États-Unis de provoquer une rupture entre la Russie et la Chine.

« Je pense que Poutine cherchera à utiliser Trump pour renforcer sa position et équilibrer ses relations avec Pékin, mais à l’heure actuelle, le partenariat sino-russe est bien plus avantageux pour les deux parties, en raison de leur vision commune de l’ordre mondial, que tout ce que les États-Unis pourraient offrir à la Russie », a-t-elle ajouté.


  • Perspectives d’un renforcement des relations UE-Chine

George Tzogopoulos, expert senior de la Chine et enseignant à l’Institut Européen de Nice (CIFE), a adopté une approche légèrement différente, estimant que le climat actuel offre une base solide pour que l’Union européenne et la Chine renforcent leur relation indépendamment de l’influence des États-Unis.

« Dans les circonstances actuelles, je m’attends à ce que l’UE et la Chine cherchent à avancer ensemble parce qu’elles ont besoin l’une de l’autre, et non en raison de la présidence de Trump », a déclaré Tzogopoulos à Anadolu.

« Dans la première partie de la présidence de Joe Biden, l’UE a durci sa position vis-à-vis de la Chine sans obtenir de résultats concrets. Dans la seconde partie, notamment après la réouverture de la Chine à la fin de la pandémie, l’UE a tenté de renouer le dialogue avec Pékin – non seulement en tant qu’entité, mais aussi à travers certains États membres comme l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. »

Cette tendance, a-t-il poursuivi, devrait se « renforcer » sous une deuxième présidence Trump, mais des questions plus complexes, comme l’implication accrue des entreprises européennes en Chine et la politique de réduction des risques de l’UE, « resteront non résolues ».

Selon Tzogopoulos, la fin du conflit en Ukraine pourrait encore favoriser les relations UE-Chine, en supprimant un obstacle majeur lié à leurs positions divergentes sur la guerre.

« En plus d’être la principale destination des importations chinoises, Pékin considère l’UE comme un partenaire historiquement essentiel dans la construction d’un monde multilatéral », a-t-il souligné.

« Quant à l’UE, elle ne peut relever les défis mondiaux actuels sans coopérer avec la Chine. Par exemple, il est impossible d’atteindre les objectifs climatiques sans tirer parti des avancées technologiques chinoises. »

Interrogé sur la réaction de Washington et Moscou face à un renforcement des relations UE-Chine, il a répondu : « Sous Trump, les États-Unis devraient gérer leurs relations avec la Chine indépendamment de ce que pense ou fait l’UE, tandis que la Russie devrait continuer à s’appuyer sur son partenariat avec Pékin, faute de confiance envers les États-Unis – même sous Trump – et ce, quel que soit le positionnement de l’UE. »

Cependant, a-t-il poursuivi, l’administration Trump pourrait tenter d’exploiter la dépendance de l’UE à la Chine pour exercer une pression sur Bruxelles.

À l’inverse, la Russie pourrait voir d’un bon œil un rapprochement entre l’UE et la Chine si cela permettait un allègement des sanctions et de nouvelles opportunités commerciales pour Moscou, a-t-il conclu.


* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba

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