Un passager de la Flottille de la Liberté : « La France n'a vraiment rien fait pour nous »
- Mustapha Karmim revient sur les conditions de son enlèvement, et appelle à poursuivre les actions pacifiques pour dénoncer le blocus imposé à la bande de Gaza par Israël

Istanbul
AA / Istanbul / Seyma Erkul Dayanc
Mustapha Karmim, passager français de la Flottille de la Liberté, enlevé par l’armée israélienne alors qu’il tentait de briser le blocus de Gaza, raconte à Anadolu les conditions de son enlèvement et de sa détention en Israël. Il dénonce des traitements “inhumains” et appelle à poursuivre les actions pacifiques contre le blocus imposé à Gaza.
Le 8 octobre, à l’aube, Mustapha était de garde sur le pont pour son tour de surveillance. « Ça s’est passé entre 4 h et 6 h. Il y avait le capitaine et moi, on était de garde, mes camarades dormaient, ça s’est fait très rapidement. »
Mustapha rapporte que la connectivité a été supprimée : « On se rend compte qu’ils étaient équipés de brouilleurs parce que le wifi fonctionnait très bien deux minutes avant qu’ils arrivent puis, impossible à se connecter » Face à l’arrivée d’un zodiac qui fonçait droit sur leur bateau, le groupe a pris la décision de se débarrasser des téléphones « à la dernière minute ».
À l’abordage, les soldats ont ciblé les dispositifs d’enregistrement et de communication : « La première chose qu’ils font c’est qu’ils vont s’attaquer aux caméras à coup de crosse de leur mitraillette. Ils frappent, ils la cassent. Selon Mustapha, un militaire a sorti un couteau et coupé les câbles : « Ils ont coupé tout ce qui est câblage pour éviter qu’on puisse avoir la scène en visuel. »
Les soldats cagoulés sont montés à bord en criant « hands up, hands up » (mains en l’air, mains en l’air). Ils ont demandé qui était le capitaine ; celui‑ci s’est identifié et a expliqué que le pilote automatique était inopérant à cause des câbles sectionnés. Un militaire a tenté de prendre les commandes. Les passagers ont été fouillés « en palpation », sommés de s’agenouiller à l’avant, et des contrôles corporels approfondis ont été effectués : « Ils nous font vider nos poches, ils nous fouillent en palpation. »
Les activistes ont été transférés vers un grand navire qu’il décrit comme « pratiquement de la taille d’un porte‑avions ». À l’approche, « toutes les personnes qui étaient sur ce bateau, sur le pont étaient tous cagoulés, ils ne voulaient pas montrer leur visage. Il y en a un qui n’était pas cagoulé. Qui avait le menton bien en haut, bien fier de lui et qui nous attendait mains croisées. »
Sur le vaisseau, ils ont été alignés, enregistrés et marqués par des serflex numérotés appliqués aux poignets et sur les sacs.
- Cabines, hygiène, matériel et approvisionnement
Placés en cabine, les activistes ont trouvé des espaces restreints : quatre couchettes superposées, un matelas posé par terre, une douche sans tuyau et des bouteilles d’eau en pack. Mustapha signale la présence d’un pack de 32 petites bouteilles et de deux paquets de pains au lait périmés. Il a tenté d’organiser un minimum d’assistance médicale et de confort : « Je suis medics, j’ai pris des petites bouteilles que j’ai vidées, que j’ai remplies d’eau bouillante. Et on s’est réchauffé avec des bouillottes. »
La traversée jusqu’à Ashdod a duré, selon lui, environ douze heures ; pendant ce temps certains passagers ont souffert (il cite une femme sud‑coréenne en période de règles) et le petit stock de médicaments anti-douleurs qui avait a été partagé.
- Arrivée à Ashdod, fouilles et procédures
À l’arrivée au port d’Ashdod, Mustapha décrit une descente sur le quai « très encadrée » : « On avait un officier à gauche, un officier à droite qui nous a pris par les mains, qui nous levait les bras, on avait le visage qui regardait le sol et il nous faisait marcher accroupi. » Il relate des fouilles systématiques : retrait des chaussures, des élastiques, passage au scanner, fouilles corporelles approfondies (y compris des parties intimes), vérification des empreintes digitales — opérations répétées et parfois violentes en raison de difficultés techniques sur certaines empreintes. Mustapha rapporte des gestes humiliants de la part du personnel, ainsi que des confiscations d’effets personnels.
Il a observé que certains activistes ont été frappés au moment de la traversée des contrôles ; il raconte en particulier l’agression subie par Antoine, un skipper de la délégation : « Antoine était attaché avec des vraies menottes, derrière, avec une chaîne qui descend, et des menottes aux pieds, les yeux bandés, on l’a frappé, plus d’une dizaine de coups. » Antoine a été mis à l’isolement.
- Cellules, conditions nocturnes et pressions psychologiques
Placés ensuite dans des cellules collectives, les activistes ont vécu une série de privations et d’interruptions du sommeil : lumières allumées en permanence, réveils fréquents par les gardiens, entrées répétées dans les cellules, bruits, aboiements de chiens, haut‑parleurs et voix en hébreu et en arabe. Mustapha précise : « Ils allumaient les lumières, ils nous disaient levez‑vous, ils repartaient, on a passé une nuit horrible. »
Il décrit aussi une scène où un agent a pulvérisé une substance inconnue dans une cellule ; les activistes ont pensé qu’il s’agissait d’un produit destiné à les perturber : « On a mis des tissus sur nos visages pour éviter de sentir. »
Les vivres et l’hygiène étaient limitées : un sac plastique contenant deux tranches de pain de mie et de la confiture, une petite trousse hygiénique, une culotte taille XL, une brosse à dents minuscule et une micro‑serviette. Il signale l’absence de couverture acceptable et des conditions d’insalubrité sur certains matelas.
Malgré les conditions, la solidarité s’organise. Mustapha a partagé des anti-douleurs et distribué des petits paquets de biscuits (qu’il avait reçus de représentants consulaires) aux activistes de la délégation Sumud ; un gardien est intervenu pour reprendre les paquets.
- Représentants consulaires et différences de prise en charge
Les activistes ont été reçus par des représentants consulaires selon leur nationalité. Mustapha rapporte des différences notables entre pays : « Les Espagnols ont été rapatriés les premiers. Leur gouvernement a affrété un avion et payé leur retour. La France, elle, n’a rien fait. On nous a laissés partir seuls. »
Il raconte la présence des représentants consulaires à Istanbul lors de leur arrivée et déplore le faible soutien perçu de la France : « La France, ce que j’ai eu moi de la France, c’est un stylo France consulaire, deux cigarettes, un petit paquet de gâteaux et le droit de passer un appel via WhatsApp. » En revanche, il attribue à la Türkiye un rôle actif : hébergement, prise en charge et facilitation des retours pour ceux qui n’avaient pas les moyens.
- Transferts et embarquement
Après des formalités, plusieurs groupes ont été conduits vers des cars, puis vers un vol Turkish Airlines, la compagnie aérienne nationale turque. Lors de l’embarquement, Mustapha a perçu un changement d’ambiance : le vol a offert des conditions de prise en charge (plateaux repas, trousses de toilette) et une remise de certains passeports et médicaments — bien que certains traitements vitaux n’aient pas été retrouvés pour certains activistes. À l’atterrissage à Istanbul, il relate un accueil marqué : remise d’écharpes Palestine-Türkiye, présence de ministres et députés, salons VIP, prise en charge hôtelière pour ceux qui en avaient besoin.
Mustapha insiste sur l’appui turc : selon son récit, la Türkiye a pris en charge l’accueil, l’hébergement et, pour certains, les billets de retour. « La Türkiye, elle nous a vraiment pris sous son aile. C’est le seul pays au monde qui a traité un avion pour récupérer tous les ressortissants du monde. Ils auraient pu récupérer que leurs ressortissants, et ils nous ont tous pris. » Il ajoute que Turkish Airlines a pris en charge des retours et qu’ils ont été logés en hôtels 4–5 étoiles dans certains cas.
Il a souligné que grâce à la Türkiye, des personnes sans moyens ont pu rentrer ; lui‑même a ensuite pris un vol pour Paris « par ses propres moyens », tandis que d’autres ont bénéficié d’un billet payé par la Türkiye.
À l’arrivée à Paris‑Charles‑de‑Gaulle, Mustapha a décrit une arrivée sous contrôle policier : remise des passeports, escortes et une courte attente dans un commissariat avant d’être informés de leur liberté. Il relate des attitudes hostiles de la part de certains passagers présents à l’aéroport, mais dit avoir maintenu son calme.
- Le cessez‑le‑feu et la suite des flottilles
Sur le cessez‑le‑feu, Mustapha a déclaré : « Ce cessez‑le‑feu a été violé plus de cinquante fois. Ils ont récupéré leurs otages, il n’y a plus d’otages à Gaza. Maintenant, ils vont reprendre leur activité génocidaire. » Il considère que ces violations rendent la trêve insuffisante et plaide pour la poursuite des actions de pression pacifiques et symboliques. Selon lui, les flottilles sont une manière de maintenir la visibilité internationale sur la situation : « Pendant que la marine s’occupait des bateaux, des pêcheurs de Gaza ont pu sortir pêcher. C’est une lueur d’espoir au milieu des ruines. »
Il a également pointé l’effet mobilisateur de ces flottilles sur l’opinion et les gouvernements : « On a fait bouger les gouvernements. Le Quai d’Orsay a été harcelé au téléphone, le ministère des Affaires étrangères aussi. L’Espagne a récupéré ses ressortissants et a payé leur retour. L’Italie a vu plus de deux millions de manifestants dans les rues. Les ports ont été bloqués. »
Mustapha a indiqué qu’une nouvelle flottille était en préparation : « La semaine dernière, à Paris, place de la République, on a annoncé la préparation d’une future vague, encore plus puissante que la première et la deuxième. On aura encore plus de bateaux. Et si j’ai une place sur ces bateaux, soyez sûr que j’y retournerai. Je ne baisserai pas les bras. » Il conclut : « Tant que Gaza sera sous blocus, je ferai tout pour qu’on envoie d’autres flottilles. Tant qu’il le faudra, on reprendra la mer. »