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Témoignages : les destins brisés de Khodjaly

29 ans après les faits, les victimes du massacre de Khodjaly (Azerbaïdjan), sont encore hantées par cette nuit effroyable du 25 au 26 février 1992. Efsane Alekberova et Shahsuvar Mirzayev, alors deux enfants, témoignent de ces heures atroces.

25.02.2021 - Mıse À Jour : 26.02.2021
Témoignages : les destins brisés de Khodjaly

AA / Paris / Ümit Dönmez

Dans la nuit du 25 au 26 février 1992, au moins 613 civils azéris ont été massacrés par les forces armées arméniennes dans la petite ville azerbaïdjanaise de Khodjaly. 83 enfants, 106 femmes et 70 personnes âgées ont été tuées en l'espace de quelques heures. Alors que la ville de Khodjaly qui comptait 7000 âmes, était complètement sans défense, les forces armées arméniennes sont entrées dans la ville après l'avoir encerclée de trois côtés.

Outre les 613 innocents civils massacrés, les forces d'invasion ont également blessé 1 000 civils et pris 1 275 personnes en otage.
56 personnes ont été tuées avec acharnement sur leurs corps. 8 familles ont été totalement exterminées. 25 enfants ont perdu leurs deux parents et 130 enfants ont perdu au moins un de leurs parents dans ce génocide.

À ce jour, 150 personnes de Khodjaly sont toujours portées disparues.

Outre les organisations de défense des droits de l'homme telle que Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, ces dernières années, les parlements de plusieurs pays ont officiellement décrit cet événement de la première guerre du Haut-Karabagh, comme un massacre ou un génocide.

Divers événements commémoratifs de victimes du génocide de Khodjaly ont également été organisées par les autorités Étatiques de nombreux autres pays.

L'occupation de la ville stratégique située de Khodjaly, disposant également du seul aéroport de la région, allait ouvrir la voie aux forces arméniennes d'invasion de poursuivre leurs crimes de guerre dans le reste du Karabagh et de sept autres régions azerbaïdjanaises qu'elles allaient occuper.

Le 8 mai 1992, les forces armées arméniennes envahissaient la ville de Choucha, et le 18 mai, c'était au tour de la ville de Latchine. Le 2 avril 1993, Kalbajar était occupée, puis Agdere le 28 juin, suivie de Aghdam le 23 juillet, de Fuzuli et Djebrail le 23 août, puis Kubatli 8 jours plus tard, et ensuite arrivait le tour de Zengilan et Horadiz, le 30 octobre 1993.

Afin de porter la lumière sur les souffrances qui perdurent 29 ans plus tard, l'Agence Anadolu (AA) a donné la parole à deux victimes du génocide de Khodjaly, qui étaient âgées de 10 ans et de 14 ans respectivement lors des faits tragiques, Madame Efsane Huseynova Alekberova et Monsieur Shahsuvar Mirzayev.

- Efsane Huseynova Alekberova, orpheline à 10 ans

Photographie : Tofiq Hüseynov et Mekhmer Huseynova, les parents d'Efsane Huseynova Alekberova (Archive personnelle)

« Je m'appelle Efsane Huseynova Alekberova, fille de Tofiq Hüseynov. Je suis originaire de Khojaly. J'ai été témoin du massacre et du martyre de ma ville natale. Je suis née le 20 septembre 1981 dans une famille très heureuse et bienveillante. J'étais en première année de collège. Ma passion était de jouer du piano à l'école de musique. Notre famille se composait de 5 personnes: mon père Tofiq (1954), fils de Mirsiyab, ma mère- Mekhmer Huseynova (1949), fille de Gurban, ma sœur Yasemen (1980), moi (1981) et mon frère Murad (1983). Nous étions heureux. Nous avions une famille, un gagne-pain, l'air frais, des terres fertiles, et la nature environnante de Khojaly. Jusqu'en 1989.

L'histoire nous indique la ville de Khodjaly a été envahie à plusieurs reprises par les Arméniens. En 1905-1906, 1917-1918, Khojaly a été incendiée, pillée et détruite à la suite de l'attaque arménienne, mais elle a été reconstruite et a continué à vivre. En février 1992 Khojaly comptait 7 000 habitants, plus de 3 000 hectares de terres arables et de jardins, une école, une bibliothèque et une maison de la culture.

Au cours de l'attaque à Khodjaly, des cartouches de calibre 5,45 et des armes chimiques, dont l'utilisation a été interdite, ont été utilisées. Tout cela confirme que l'Arménie a violé les protocoles de la Convention de Genève et commis un génocide contre des civils en violation des règles de la guerre. »

- La violence quotidienne dont a témoigné Efsane pendant 4 ans


« Lorsque le conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut-Karabakh a éclaté en février en 1988, l'un de ses premiers coups a frappé Khojaly. La population azerbaïdjanaise travaillant à la base militaire de la ville a été licenciée. 130 familles azerbaïdjanaises expulsées d'Arménie, de terres historiquement azerbaïdjanaises, et 40 familles turques meskhètes expulsées de Fergana ont également trouvé refuge à Khodjaly. On leur a donné des terres à Khodjaly ; des maisons ont été construites et les conditions ont été créées pour que ces gens puisent poursuivre dignement leurs vies.


Pendant l'escalade du conflit en 1989-1990, les Arméniens ont brûlé les voitures appartenant à des Azerbaïdjanais, ils ont pris des otages, lapidé, tué, massacré des gens, partout sur les routes menant au Haut-Karabakh à Choucha, y compris à Khodjaly. Du haut de mes 10 ans, j'ai été un témoin vivant de tous ces événements. J'ai vécu cette tragédie, ces malheurs. La douleur ne m'a toujours pas quitté, ça fait 29 ans aujourd’hui.

Nous avons vécu sous le siège arménien pendant 4 ans. Khodjaly était encerclé de villages arméniens sur 4 côtés. La ville était totalement sous blocus. Khodjaly était régulièrement la cible du matériel lourd, de l'artillerie, des lance-grenades, des mitrailleuses. Pendant 4 ans, nous avons passé la nuit à dormir dans les sous-sols, dans les caves. Nous allions à l'école quand nous pouvions, notre communauté ne disposait de rien pour se défendre ; nous n'avions pas de munitions, juste quelques fusils de chasse.

Le seul aéroport stratégiquement important du Haut-Karabakh se trouvait à Khodjaly. Le seul moyen de s'y rendre était par hélicoptère, les Arméniens bloquant la route entre Askeran et Agdam. Le dernier hélicoptère arrivé à Khodjaly était venu en janvier 1992. Un hélicoptère civil s'était écrasé au-dessus de Choucha, tuant 40 personnes. Khodjaly n'était plus alimentée en électricité depuis le 2 janvier. Cependant, les habitants de la ville avaient survécu grâce à leur héroïsme et à leur courage. Malgré toutes ces souffrances, les habitants de Khojaly ne voulaient pas quitter leur patrie. »

- La nuit tragique du 25 au 26 février 1992


« Dans la tragédie de Khodjaly, j'ai perdu 49 membres de ma famille proche en une nuit. J'ai perdu mon père, ma mère, mon oncle, ma tante, mes 4 grands-parents, ma tante et ses deux jeunes enfants âgés de 5 ans et 10 ans, cruellement torturés et massacrés eux aussi. Et tant d'autres encore. C'est très difficile pour une fillette de 10 ans, c'est impossible à exprimer même avec des mots... Partout, il y avait la mort, il y avait les persécutions, la cruauté envers les habitants de Khojaly. Et je pense que, même si je veux oublier, je ne pourrai pas oublier quoi que ce soit de mon vivant. Mon père s'est battu contre les Arméniens jusqu'à la dernière goutte de sang. Finalement, il s'est fait exploser avec une grenade pour éviter d'être capturé par les Arméniens.

Dans la nuit du 25 au 26 février 1992, les soldats arméniens et le 366e Régiment de la CEI sont entrés dans la ville avec des armes et des équipements lourds. Soudain, la population de la ville a été saisie par la peur. Les balles ne cessaient de nous pleuvoir dessus. D'une part, la neige et le froid, d'autre part, la peur de l'ennemi ... On entendait des mères, des sœurs et des enfants pleurer et hurler. Les corps gisaient partout ... Les civils survivants pensaient trouver une sortie dans les bois. Mais l'ennemi nous y avait tendu une embuscade. À ce moment-là, ma sœur, mon frère et moi étions dans le soussol de la maison de ma tante. Sans nouvelles de nos parents, nous avons décidé de fuir dans les bois. Soudainement, nous nous sommes retrouvés piégés dans une embuscade des Arméniens qui ont tué les civils qui couraient devant.

La neige blanche était tachée de sang le long du chemin. Les personnes âgées sont restées là-bas parce qu'elles ne pouvaient pas grimper les montagnes enneigées de la forêt. Les Arméniens ont capturé la plupart des villageois dans cette forêt-même. Le seul moyen, par conséquent, pour nous de survivre était de se cacher dans les profondeurs de la forêt. Lorsque nous entendions le bruit des soldats arméniens, nous gardions notre silence après nous être cachés. Parce que quiconque aurait été vu par les Arméniens, malgré son âge, aurait été tué ou fait prisonnier. Nous avons été témoins de cette cruauté, de cette horreur indescriptible, innommable. Nous n'avons mangé que de la neige pour ne plus avoir soif. Nous avons rejoint ma tante et sommes allés à Agdam par la forêt. »

- L'espoir de retrouver notre maman

« Le corps de mon père a été récupéré des Arméniens le 19 mars (le jour d'anniversaire de ma mère) et nous l'avons enterré à l'Allée des Martyrs à Bakou. Il était commandant dans l'armée, Capitaine plus précisément. Il a été reconnu comme Héros national devenu Martyr pour sa Nation. Mon père est le seul des membres de ma famille, que nous avons pu enterrer. Personne n'avait vu notre mère. Avec mon frère et ma sœur, nous étions désespérés de la retrouver. Nous avions perdu notre père. Nous avons, pendant des années, attendu avec impatience les retrouvailles avec maman. Peut-être qu'elle était vivante, peut-être qu'elle serait parmi les otages qui nous seraient rendus. Orphelins de notre père, nous attendions le retour de notre mère.

Notre dernier espoir a été brisé au 19e anniversaire de la tragédie. La journaliste ukrainienne Victoria Ivleva avait pris des photos des corps après le génocide de Khodjaly. Elle avait enfin pu les publier après diverses pressions et menaces qu’elle avait subies. Malheureusement, [les corps] de ma mère, ma tante et [de] ses deux jeunes enfants étaient sur ces photos. Nous avons longtemps pleuré, car notre seul rêve, notre ultime espoir était de retrouver ma mère. Malgré tout cela, nos parents sont morts plutôt que d'être capturés par les Arméniens. Nous savions que les Arméniens étaient cruels envers les captifs et qu'ils les torturaient. Quand l'enfant est reconnaissant pour la mort de sa mère, je pense que cela reflète l'indescriptible cruauté de la situation. Ils avaient tué ma mère devant notre maison, sans aucune pitié. Tous nos espoirs s'étaient évaporés.

Nous n'avions jamais eu de nouvelles de ma mère depuis cette nuit. Pendant des années, avec l'espoir de peut-être la retrouver un jour, saine et sauve, sans relâche, nous l'avons recherchée ; nous avons recherché son corps, la moindre trace d'elle, un infime indice... »

- Un cauchemar qui dure depuis 29 ans

« Cela fait 29 ans que ce cauchemar hante mon esprit : je n'ai jamais pu en sortir. Pas un jour ne passe sans revivre cette période effroyable, Nous, trois enfants, trois frères et sœurs, nous sommes devenus orphelins en une nuit. Nous avons perdu l'immense majorité de notre grande famille : 49 membres de ma famille sont devenus victimes du massacre de Khojaly, Je me souviens de tout, de chaque instant horrible ; ça fait 29 ans et je n'arrive toujours pas à sortir de ce cauchemar. »

« Durant le massacre de Khodjaly, nous avons souffert des douleurs atroces, des actes indignes de toute humanité ; la guerre aussi doit avoir ses règles. Les Arméniens ont tué tout le monde, sans pitié ! Comment peut-on faire subir des souffrances atroces à des enfants, à des fillettes innocentes !!! »

« Depuis 29 ans, ce cauchemar ne m'a jamais quitté, ni moi, ni mon frère et ma sœur. Tous les jours je continue encore de rêver qu'un miracle se réalise, que nous retrouvions un instant notre famille, nos parents, ils me manquent tellement ! »

« Ils ont été dignes et honorables jusqu'au bout, ils voulaient un monde meilleur pour leurs enfants. Nous nous sommes efforcés d'être à la hauteur de leurs rêves. J'ai fait des études, notamment à l'Université de Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. J'enseigne à l'école Khodjaly de Bakou.

- Un combat pour un avenir meilleur

« J'essaie également de faire connaître cette tragédie vécue par des milliers de personnes, ce génocide, cet acte impitoyable de vouloir décimer un autre peuple. J'ai participé à différents événements afin d'informer le public et je continuerai de faire vivre la mémoire de tous ces Martyrs, tous ces gens honorables vivant une vie paisible, sans haine pour quiconque ».

« J'ai pu connaître le bonheur d'avoir pu constituer ma petite famille. Je suis mariée et nous avons deux filles magnifiques. Notre plus grande fille, Mekhmer porte le prénom de ma mère. Et mon neveu porte le prénom de mon père (Tofiq). Mekhmer vient d'être reçue à la Faculté de Droit. Nos enfants font notre bonheur, et je crois que mes parents aussi, doivent partager ce bonheur avec nous, depuis là-haut, ça nous réconforte un tant soit peu ».

« Nous n'avions même pas de photos de Khojaly, de notre enfance, de nos parents, rien comme souvenir de ce passé meilleur, de nos racines. Avec le temps, nous avons pu trouver quelques photos nous permettant de replonger dans les jours plus doux de notre enfance ».

« Oui, bien sûr, nous voudrions retourner un jour à Khojaly, mais nous avons encore très peur de la cruauté des Arméniens. Nous étions mariés entre peuples ; c'était le cas dans ma propre famille dont une partie était arménienne. Ils nous ont massacré malgré cela. Khojaly porte encore les traces de toutes ces tortures, de toutes ces souffrances, de tous ces cris. Je voudrais que la ville soit transformée en un musée pour l'humanité, pour qu'elle ait connaissance et conscience des crimes horribles perpétrés par des humains contre d'autres humains. En moins de deux siècles, les Arméniens ont brûlé quatre fois la ville de Khodjaly. Mais, oui, bien sûr que je voudrais retourner à Khodjaly, poser une fleur sur les tombes de mes proches ».

« Ce qui m'offense aussi, est de savoir que les Arméniens ont commis ce génocide et bien d'autres massacres encore, mais ils ne cessent de se présenter comme les victimes, notamment dans l'arène internationale. C'est de l'indécence pure, de la tromperie de bout en bout. Nous ne demandons sûrement pas de vengeance et même si je leur en veux et qu'ils m'inspirent la peur, je ne leur veux aucun mal, je demande juste la paix, la fin de ces cycles incessants de violence. Assez ! »

« En Azerbaïdjan, nous avons préservé une culture humaniste, nous oublions et pardonnons vite les torts qui nous ont été faits, malheureusement les Arméniens enseignent la haine à leurs enfants, c'est vraiment dommage ».

Photographie : Shahsuvar Mirzayev, alors qu'il avait 7 ou 8 ans (Archive personnelle)

- Le témoignage d'un adolescent de 14 ans ciblé par les tirs

« Je m'appelle Shahsuvar Mirzayev. Je suis né en 1978. Lorsque la guerre a éclaté, j'ai dû quitter ma maison et ma terre, suite à l'occupation arménienne revendiquant un État sur notre terre. Je suis devenu réfugié de guerre dans mon propre pays et cela dure depuis 29 ans malheureusement

« Le 25/02/1992, j'avais 14 ans. J'étais chez des membres de ma famille à Khodjaly, Peu avant 21h, la ville a été attaquée, des coups de feux provenaient de partout, et s'intensifiaient à chaque instant.

« Il y avait des explosions partout, les maisons étaient incendiées. On nous disait de quitter les maisons afin de pouvoir se protéger en lieu sûr.

« On pensait qu'on pourrait revenir quand la situation se serait calmée. Malheureusement, nous ne sommes jamais revenus. Dans la ville, les habitants couraient dans toutes les directions, on entendait des cris, des hurlements, tout le monde était terrorisé et désorienté, c'était le chaos.

« Nous avons croisé le maire de la ville, avec une radio à la main qui tentait demander de l'aide au gouvernement. »

- La fuite de Khodjaly

« Finalement, on nous a dit de quitter la ville qui était désormais assiégée. Les tirs continuaient de s'intensifier. Nous devions nous rendre vers Aqdam... La situation géographique de Khodjaly était de plus en plus désespérante, car elle était encerclée par les soldats arméniens.

« Nous devions aller vers le sud et traverser le fleuve glacé. Nous étions tous trempés, peu habillés et nous avions froids, nous étions une vingtaine de personnes lorsque nous nous sommes dirigés vers une petite forêt vallonnée peu épaisse. Par-dessus nos têtes, il y avait des tirs de mitrailleuses qui nous prenaient pour cible et ça tirait sans arrêt. Nous nous sommes tous éparpillés, et j’ai été séparé des membres de ma famille, je me suis retrouvé seul, j'ai vu des gens blessés et tués, il y avait des cadavres partout. Il fallait courir, mais où aller et surtout comment ?

« Je ne connaissais pas l'endroit, j'étais fatigué, à cause du froid. Je ne sentais plus mes pieds, j'étais épuisé, et surtout tétanisé. J'avais l'impression d'être dans un cauchemar et cela dure depuis 29 ans. »

- Un bébé qui tétait le sein de sa mère morte

« J'ai vu un homme qui était blessé au sol, je tentais de l’aider, il m'a dit de courir pour aller chercher de l'aide. J'ai couru, mais j'avais le sentiment que cela n'en finissait plus. J'ai prié Dieu pour que cela ne soit qu'un cauchemar et que je me réveille. Mais malheureusement ce cauchemar continue.

« Au petit matin juste avant d'être recueilli par des civils azéris, j'ai vu une femme qui était au sol, morte depuis un moment, avec dans ses bras un bébé qui tétait au sein de sa mère, comme s'il voulait s'accrocher à la vie. Je me demandais comment l'aider, car moimême j'étais perdu. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion de croiser ce bébé quelques années plus tard, c'est devenu une magnifique adolescente, et marche déjà dans les pas de ses parents. »

- Bilan de la haine

« Cette tragique nuit laisse derrière elle une plaie béante dans notre cœur, avec pour conséquence 613 morts, dont 83 enfants, 74 femmes, 1275 otages, trois de ces personnes étaient de ma famille avec qui j'étais quelques heures avant.

« Mon témoignage n'a aucun caractère de haine, ni de vengeance envers qui que ce soit, c'est un témoignage parmi tant d'autres. Mais j'ai un profond sentiment d'injustice au fond de moi. Je suis réfugié de guerre dans mon propre pays, j'ai vécu des massacres et des atrocités, nous avons perdu tout ce que nous possédions : nos terres, nos maisons, tout ce que nous avions construit. Et cela au nom de qui, au nom de quoi ?

« Les personnes qui ont perpétré ce massacre, devront être traduites devant la justice et condamnées pour leur crime contre la population civile et vulnérable.

« Je voudrais passer ce message : un message de paix, nous devons tous nous unir pour ne pas permettre que de tels massacres se reproduisent, non seulement dans notre pays, mais aussi dans le monde entier, mais n'oublions pas notre passé, préservons notre présent et construisons notre futur, qu'il soit beau ! ».

- Le contexte général du massacre de Khodjaly

Interrogé par AA sur la situation politique dans la région au moment du massacre de Khodjaly, le président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy rappelle notamment la récente imposion de l'Union des Républiques Socialistes Sociétiques (URSS).

"Au début des années 1990, un conflit armé ayant ravagé la région du Caucase du Sud, notamment les nouvelles républiques extérieures de l'ex-Union soviétique, lorsque l'Arménie a lancé une action militaire agressive contre l'Azerbaïdjan dans le but de mettre en œuvre son plan d'occupation des territoires azerbaïdjanais. La sécession unilatérale du Haut-Karabakh de l'Azerbaïdjan et son annexion à l'Arménie constituaient le cœur de ce plan", estime Dupuy.

"L'Arménie a, ainsi, occupé cette région et sept autres districts de l'Azerbaïdjan, y compris Khojaly, à la suite d’un bombardement d’artillerie massif des forces armées et des unités paramilitaires arméniennes avec le soutien du 366e régiment d’infanterie motorisé de l’ancienne URSS ayant assiégé la ville", poursuit le président de l'IPSE.

"Une fois l'assaut commencé, environ 2 500 habitants de la ville ont tenté de quitter ce qui était alors la deuxième plus grande ville du Karabakh, dans l'espoir d'atteindre la zone la plus proche sous contrôle azerbaïdjanais. Malheureusement, ils avaient espéré en vain!", note Dupuy.

"Les personnes tentant de fuir ont été prises en embuscade et ont été soit tuées par des coups de feu provenant de postes militaires arméniens, soit capturées. D'autres, principalement des femmes et des enfants, sont morts de froid en errant dans les montagnes. Seules quelques personnes ont pu atteindre la ville d'Aghdam, contrôlée par l'Azerbaïdjan", ajoute le président du think tank européen.

"La guerre qui a suivi cette agression a fait 30 000 morts, et près d'un million d'Azerbaïdjanais sont devenus des réfugiés et des déplacés internes, tandis que des milliers de personnes ont disparu sans qu'on ne puisse en retrouver de trace", déplore le chercheur français.

"La situation en février 1992 et  celle d’aujourd’hui semblent diamétralement différentes : à l’époque, c’est l’Arménie qui était militairement, diplomatiquement et politiquement en position de force. Désormais, les 44 jours de conflits qui ont amené l’Azerbaïdjan à récupérer une grande partie des 7 districts et une partie du Karabakh confortent l’idée que Bakou s’est inscrit davantage dans la configuration stratégique en cours au Caucase du Sud", conclut Dupuy.

- La Justice pour Khojaly, un rêve impossible ?

Maxime Gauin, historien, interrogé par AA sur les obstacles à des avancées judiciaires concernant le massacre de Khodjaly, souligne tout d'abord la responsabilité de Moscou :

« Le massacre de Khodjaly a eu lieu en 1992, c’est-à-dire quand la Russie soutenait totalement l’agression de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan. C’est à partir de 1993 que le gouvernement russe a considéré que l’Arménie allait trop loin, et a fait voter, par son représentant à l’ONU, les quatre fameuses résolutions du conseil de sécurité de l’ONU. Par ailleurs, des Arméniens de nationalité russe sont impliqués dans ce massacre. Dès lors, un tribunal international, comme pour l’ex-Yougoslavie, n’était même pas concevable, car la Russie y aurait mis son veto », estime Gauin.

« Sur les réactions internationales à cette tragédie : l’instrumentalisation cynique de la tragédie de 1915-1916, notamment l'usage injustifié de la qualification de « génocide » ainsi que la négation de presque tous les massacres de musulmans et de juifs anatoliens par les nationalistes arméniens, est systématiquement utilisée pour cacher les crimes des forces arméniennes, notamment Khodjaly, et pour tenter de dissuader les États de prendre position en faveur des victimes », note encore l'historien déplorant la lenteur de la justice internationale.

Gunel Safarova, Présidente de l'Association Scientifique ALİM, fait partie de ces jeunes azéris en quête de Justice pour Khojaly. Interrogée par AA, elle déplore notamment la sourde oreille des médias français aux souffrances des Azerbaïdjanais :

« S'agissant des efforts pour faire entendre les voix des victimes, en France, nous avons eu de réelles difficultés. Cela s'est notamment remarqué durant la deuxième guerre du Karabagh du 27 septembre au 9 novembre derniers. Il n'y a eu qu'une petite poignée de journalistes qui ont osé faire entendre les souffrances des Azerbaïdjanais, et notamment de rapporter les attaques des forces arméniennes contre les civils. Les nationalistes arméniens de la diaspora présente en France n'ont pas cessé d'exercer des pressions sur ces rares journalistes courageux et sur les médias voulant faire entendre le point de vue azerbaïdjanais également. Nombre des interviews réalisés avec notamment la communauté franco-azerbaïdjanaise n'ont pas pu être diffusés du fait de ces pressions. Malheureusement durant cette guerre de 44 jours, nous n'avons pas pu témoigner d'une liberté de la presse en France sur le conflit du Haut-Karabagh. Nous le déplorons fortement », a déclaré Safarova

La présidente d'ALIM souligne l'importance des activités entreprises par son association pour porter les faits à la connaissance du grand public, mais également les violences exercées par les nationalistes arméniens de France :

« Concernant le génocide de Khodjaly, nous essayons d'organiser régulièrement divers événements culturels pour commémorer les victimes, notamment des concerts, des expositions. Mais systématiquement nous devenons la cible d'attaques perpétrées par les nationalistes arméniens de France, mais aussi de leurs actes de vandalisme », déplore Safarova.

« Cette année, du fait du contexte sanitaire lié à la pandémie du coronavirus, nous n'avons pas pu organiser les événements à l'accoutumée. Nous avons, comme beaucoup d'autres, opté pour une meilleure utilisation des outils Web de communication, notamment une série de webinaires sur le génocide de Khodjaly, pour tenter d'apporter des analyses approfondies sur le sujet, des analyses historiques. Nous avons également partagé les témoignages de survivants du massacre tels que Monsieur Shahsuvar Mirzayev que l'Agence Anadolu a également interrogé. Notre but étant d'apporter les témoignages sur cette nuit sanglante », souligne la présidente d'ALIM.

« Bien sûr, il y a encore tout un combat à mener sur le plan juridique, afin qu'un jour la Justice puisse être faite alors que nous approchons désormais du trentième anniversaire. Cela permettrait peut-être qu'aucun autre peuple ne subisse plus jamais de tels exactions et d'atroces souffrances qui persistent malgré le temps passé. Les personnes coupables doivent être pénalisés pour leurs actes odieux, et la communauté internationale doit connaître la vérité concernant le génocide de Khojaly. », conclut Gunel Safarova.

Aytan Mouradova, Vice-Présidente de l'Association Dialogue France-Azerbaïdjan,

interrogée par AA, déplore la surdité de la communauté internationale face à des crimes de guerre commis au cours des décennies passées :

« Quand il s'agit de la guerre de Karabakh, la communauté internationale devient sourde et aveugle. Les exils forcés en Azerbaïdjan dans les années 1990, on peut dire, qu'ils ont établi les bases pour la généralisation des déplacements forcés des populations dans l’indifférence totale de la majeure partie de l'humanité. Tout est devenu possible après cette guerre : tuer et rester impunis, envahir ses voisins et rester impunis, perpétuer les vandalismes et des barbaries et se cacher derrière l’appellation du premier peuple chrétien, s'agissant des Arméniens», constate la présidente de l'Association Dialogue France-Azerbaïdjan.

Interrogée sur l'attitude de la France face aux souffrances des Azerbaïdjanais, Mouradova déplore l'absence de compassion et d'objectivité de Paris :

« Malheureusement la France n'a pas su faire preuve de compassion pour les Azerbaïdjanais victimes des incessantes violences arméniennes, ni de neutralité objective concernant le conflit du Haut-Karabagh. Le comportement de la France a été perçu comme une profonde injustice envers la population de l'Azerbaïdjan. Avant ça les gens avaient une grande opinion sur la France et ses valeurs. Les décisions de la France ont entièrement détruit cette image. Comment on va réparer ça ? Je ne sais pas. », déclare Mouradova avant de souligner les efforts entrepris par son association :

« Avec l'Association Dialogue France-Azerbaïdjan, nous nous efforçons de développer une conscience des faits, de provoquer une prise de conscience de l'atrocité des actes commis, des souffrances infligées à des innocents. Cela ne doit plus jamais se reproduire, nulle part sur Terre. Vive la Paix, vive l'Amitié entre les Peuples ! », conclut la viceprésidente de l'Association Dialogue France-Azerbaïdjan.

Notes :
[1] MISE EN GARDE : PHOTOGRAPHIES CHOQUANTES
https://justiceforkhojaly.org/content/victoria-ivleva

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