Trump reçoit cinq dirigeants africains : partenariat équitable ou jeu stratégique ?
- Le président américain Donald Trump reçoit à la Maison-Blanche les dirigeants du Gabon, de la Guinée-Bissau, du Liberia, de la Mauritanie et du Sénégal pour discuter de relations commerciales

Istanbul
AA / Istanbul / Mevlut Ozkan
Le président américain Donald Trump accueille mercredi à la Maison-Blanche les dirigeants de cinq pays d’Afrique de l’Ouest, dans le cadre d’une initiative visant à renforcer les partenariats économiques des États-Unis sur le continent africain, sur fond de rivalités géopolitiques croissantes.
Les chefs d’État du Gabon, de la Guinée-Bissau, du Liberia, de la Mauritanie et du Sénégal participent à ce sommet, organisé à un moment où Washington manifeste un regain d’intérêt pour l’Afrique.
Fin juin, les États-Unis ont joué un rôle de médiateur dans l’accord de paix conclu entre la République démocratique du Congo et le Rwanda – une avancée que des observateurs considèrent comme un signal fort en faveur d’une implication économique accrue.
Contrairement aux approches fondées sur l’aide au développement, l’administration Trump privilégie les partenariats reposant sur les investissements privés.
Les cinq pays invités, situés le long de la côte atlantique et dotés d’importantes ressources naturelles, sont perçus comme des relais potentiels pour les entreprises américaines souhaitant diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et accéder à de nouveaux marchés émergents.
"Bien que l’Afrique reste peu prioritaire dans les agendas américain et international, cette rencontre s’inscrit probablement dans la volonté de Washington de sécuriser des relations commercialement avantageuses pour les opérateurs américains, ou de leur garantir un accès préférentiel à des secteurs et ressources stratégiques.", a expliqué à l’Agence Anadolu Beverly Ochieng, analyste principale au sein du cabinet de conseil britannique Control Risks.
- Les atouts stratégiques des cinq pays africains invités à Washington
Alors que la Chine domine actuellement les marchés des minerais stratégiques en Afrique et au-delà, les restrictions croissantes à l’exportation et les tensions commerciales avec Pékin incitent Washington à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’Afrique de l’Ouest émerge ainsi comme une nouvelle frontière stratégique pour les ambitions économiques américaines.
Les cinq pays représentés lors de la réunion de mercredi occupent tous des positions côtières de premier plan. Bien que la région soit confrontée à divers défis – insécurité maritime dans le golfe de Guinée, migration irrégulière, menaces liées à des groupes armés –, elle présente également des opportunités pour raccourcir les chaînes d’approvisionnement mondiales et sécuriser de nouveaux flux de ressources.
À l’exception de la Guinée-Bissau, qui traverse une impasse politique à l’approche des élections et d’un processus de transition, la Mauritanie, le Sénégal, le Gabon et le Liberia bénéficient d’une stabilité politique "relativement large", estime Beverly Ochieng, analyste principale chez Control Risks.
Le Gabon, connu pour ses vastes forêts tropicales et ses gisements pétroliers offshore, est également un important exportateur de manganèse, de fer et de bois. Bien que l’exploitation de l’uranium ait cessé en 1999, le secteur reste porteur de potentiel inexploité. Selon Ochieng, le Gabon cherche activement à attirer les investissements étrangers comme une "bouée de sauvetage financière".
La Guinée-Bissau, dont le secteur minier est encore peu développé, dispose de réserves de bauxite, de phosphates, d’or, de diamants, de calcaire et de pétrole.
Le Liberia, historiquement connu pour sa production de caoutchouc, de bois et de minerai de fer, a récemment identifié des gisements d’uranium, de lithium, de cobalt, de manganèse et de néodyme. Le président Joseph Boakai a déclaré plus tôt cette année que le pays ambitionnait d’attirer 3 milliards de dollars d’investissements dans le secteur minier.
La Mauritanie fonde son économie sur l’exportation de minerai de fer, de cuivre et d’or. Le pays dispose également de réserves émergentes de pétrole et de gaz, ainsi que de gisements de terres rares.
Le Sénégal, pour sa part, a intensifié l’exploitation de ses ressources en phosphates, or, fer et zircon. Il développe en parallèle des réserves offshore de pétrole et de gaz, tandis que son littoral atlantique permet l’extraction de sables minéralisés riches en ilménite, rutile et leucoxène.
- Tensions et arbitrages
Les États-Unis ont historiquement entretenu une coopération sécuritaire et des programmes diplomatiques en Afrique de l’Ouest, en soutenant notamment les opérations de contre-insurrection au Sahel et en offrant des avantages commerciaux via des dispositifs tels que l’African Growth and Opportunity Act (AGOA).
Mais selon l’analyste Beverly Ochieng, les priorités de Washington pourraient être en train d’évoluer.
"Trump envisage, par exemple, un élargissement de l’interdiction de visa visant davantage de pays africains, ce qui limite leur accès. L’AGOA, qui a longtemps constitué un levier vital pour le commerce, est également menacée d’effondrement", a-t-elle déclaré.
Lors du "Jour de la libération", appellation utilisée par Donald Trump pour désigner la journée où il a imposé des droits de douane à la quasi-totalité des partenaires commerciaux des États-Unis, les cinq pays conviés au sommet ont été placés dans la tranche la plus basse, avec un taux tarifaire de 10 %. Toutefois, même à ce niveau, ces droits de douane pourraient fragiliser certains secteurs sensibles.
Des analystes estiment que le président américain pourrait profiter de cette rencontre pour proposer des concessions commerciales en échange d’opportunités d’investissement favorables aux entreprises américaines.
Selon Ochieng, bien que ces pays soient désireux de renforcer leurs liens avec les États-Unis, "perçus comme une référence en matière de normes industrielles et d’expertise", des résistances locales pourraient émerger si les investissements sont jugés déséquilibrés.
"Si les investissements américains sont perçus comme prédateurs ou insuffisamment concertés avec les acteurs locaux, il pourrait y avoir des tensions dans l’application des réglementations nationales, ainsi qu’un maintien du sous-développement dans certains secteurs stratégiques ou industriels", a-t-elle averti.
Elle a également souligné que les allègements fiscaux ou les assouplissements réglementaires exigés dans le cadre de ces projets pourraient poser problème à des gouvernements africains engagés dans des politiques à forte teneur nationaliste.
- Entre Washington et Pékin : une diplomatie d'équilibre
Face aux tensions croissantes entre les grandes puissances, les gouvernements africains privilégient de plus en plus une approche stratégique consistant à naviguer entre les États-Unis et la Chine, plutôt que de s’aligner clairement sur un camp.
"Les pays que les États-Unis ont conviés à cette réunion entretiennent déjà des partenariats diversifiés", a souligné Beverly Ochieng, analyste principale chez Control Risks. "Dans un contexte d’incertitude géopolitique, ils n’ont pas nécessairement manifesté de préférence nette pour un partenaire plutôt qu’un autre."
L’experte précise que dans certains cas exceptionnels – comme observé récemment dans la région du Sahel – un choix explicite en faveur d’un partenaire au détriment d’un autre peut émerger. Toutefois, selon elle, les pays invités ont jusqu’à présent fait preuve d’une diplomatie "modérée et pragmatique".
Elle cite le retrait récent des troupes françaises du Sénégal comme exemple d’un glissement d’une coopération sécuritaire vers une relation davantage axée sur les échanges économiques, sans pour autant rompre les liens diplomatiques existants.
En ce qui concerne le Liberia, Ochieng note que l’expansion de la Chine dans le secteur des médias ne devrait pas éclipser la présence d’autres acteurs internationaux.
Selon l’analyste, les pays africains pourraient même tirer parti de la rivalité entre grandes puissances.
"Les rivalités géopolitiques vont continuer à se jouer sur le continent", a-t-elle affirmé. "Et les pays africains sont susceptibles d’en profiter pour maintenir un engagement stratégique."
* traduit de l'anglais par Ayse Betul Akcesme
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