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Trump et la fin de la guerre en Ukraine : quelles conditions la Russie pourrait-elle accepter et pourquoi ?

- Le président américain élu affirme que résoudre le conflit Russie-Ukraine sera une priorité majeure, mais des analystes à Moscou soulignent de nombreux points de blocage et questionnent les « motivations et moyens » de Trump

Elena Teslova  | 15.01.2025 - Mıse À Jour : 15.01.2025
Trump et la fin de la guerre en Ukraine : quelles conditions la Russie pourrait-elle accepter et pourquoi ?

Moscow City

AA / Moscou / Elena Teslova

Alors que le président élu des États-Unis, Donald Trump, s’apprête à entrer en fonction le 20 janvier, l’attention mondiale se tourne vers l’une de ses promesses de campagne les plus audacieuses : mettre fin à la guerre en Ukraine.

Selon plusieurs rapports, l’approche de Trump pourrait impliquer une offre audacieuse et controversée à la Russie – bloquer les aspirations de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN et permettre à la Russie de conserver le contrôle de certains territoires ukrainiens. En échange, Trump chercherait à obtenir le retrait des forces russes d’autres régions contestées.

Cette stratégie potentielle suscite un vif débat parmi les décideurs politiques et les analystes, soulevant des questions cruciales sur l’avenir de l’Ukraine, les ambitions géopolitiques de la Russie et l’équilibre global de la sécurité mondiale.

Dans une interview accordée à Anadolu, Sergey Markov, directeur de l’Institut russe des études politiques, basé à Moscou et ancien conseiller du président Vladimir Poutine, a présenté ce qu’il considère comme des conditions non négociables pour la paix du point de vue de la Russie.

« Tout d’abord, il est hors de question que les troupes russes se retirent de ce que nous considérons comme des territoires russes », a affirmé Markov.

Et d'ajouter : « Il est possible que les troupes russes se retirent de certaines parties des régions de Kharkiv, Soumy et Mykolaïv, qu’elles contrôlent partiellement, mais un retrait de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia, Kherson et de la Crimée est totalement exclu. »

Markov a également déclaré que l’Ukraine devra retirer ses forces des régions de Kherson et Zaporijjia, des territoires revendiqués par la Russie mais qu’elle ne contrôle pas entièrement.

Cependant, il a reconnu que certains aspects pourraient faire l’objet de négociations.

« À mon avis, cet aspect pourrait être négociable, étant donné le principe du président Poutine consistant à "prendre en compte les réalités sur le terrain". En d’autres termes, les positions des troupes influenceraient fortement tout accord », a-t-il expliqué.


- Neutralité et démilitarisation : les principales exigences de la Russie

Un pilier central des revendications russes est l’adoption formelle d’une neutralité permanente par l’Ukraine – une position qui a reçu peu d’écho favorable en Occident.

« L’Occident a montré une certaine ouverture en proposant un moratoire sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais cela reste en deçà des attentes de la Russie », a déclaré Markov.

« La Russie insiste pour inscrire la neutralité dans la Constitution ukrainienne et la formaliser à travers des accords avec les principaux acteurs internationaux. Cette approche s’inspire du "modèle autrichien", selon lequel l’Autriche a proclamé sa neutralité après la Seconde Guerre mondiale. »

Une autre exigence clé concerne la démilitarisation de l’Ukraine.

Markov a précisé que cela impliquerait des limites strictes sur le nombre et le type de forces militaires et d’armes que l’Ukraine peut maintenir, ainsi que des restrictions sur la proximité de leur déploiement par rapport aux frontières russes.

« Par exemple, si des systèmes de lance-roquettes multiples ont une portée de 50 kilomètres, ils doivent être stationnés à au moins 60 kilomètres de la frontière. De même, les missiles ayant une portée de 200 kilomètres ne devraient pas être positionnés à moins de 250 kilomètres de la frontière », a-t-il expliqué.

Pour garantir le respect de ces mesures, Markov a souligné l’importance d’une surveillance internationale, incluant des inspections auxquelles participeraient des responsables militaires russes.

« Ce principe de démilitarisation pourrait également s’étendre à un engagement des nations de l’OTAN à cesser de fournir des armes à l’Ukraine, tandis que l’équipement déjà livré pourrait même être retiré », a-t-il ajouté.

Cependant, Markov a reconnu que cette exigence risque de rencontrer une forte opposition :

« Bien que l’Occident soit quelque peu réceptif à l’idée de neutralité et à la reconnaissance de certains territoires comme faisant partie de la Russie, il est totalement opposé aux demandes de démilitarisation. L’idée que l’OTAN cesse tout approvisionnement en armes à l’Ukraine est particulièrement polémique. »


- Exigences non-militaires : « Dénazification » et droits linguistiques

Au-delà des préoccupations militaires, la Russie prévoit de formuler des exigences non-militaires majeures.

Un des piliers de ces demandes est ce que la Russie appelle la « dénazification », que Markov a expliqué comme impliquant le démantèlement de ce que la Russie perçoit comme une glorification par l’Ukraine de figures historiques ayant collaboré avec l’Allemagne nazie.

« Par exemple, Stepan Bandera, figure dominante de l’identité ukrainienne moderne et considéré par la Russie comme le principal fasciste de l’histoire ukrainienne, ne doit plus être célébré. Cela nécessitera de réécrire des manuels scolaires, de démanteler tous les monuments en son honneur, de rebaptiser des rues portant son nom, et rendre hommage à d’autres figures historiques alternatives », a-t-il déclaré.

Markov a également affirmé que la Russie considère l’actuel gouvernement ukrainien comme un « régime terroriste », prétendument installé par les États-Unis et maintenu par la répression et un sentiment anti-russe. La dénazification, selon lui, exigerait le démantèlement de ce système.

Il a souligné la nécessité de dissoudre et d’interdire les unités militaires « affichant ouvertement des symboles nazis et adhérant à des idéologies extrémistes ».

« Tous les groupes néonazis doivent être désarmés, dissous et interdits », a-t-il ajouté, citant Andrei Beletsky, fondateur du Bataillon Azov, comme une figure devant être poursuivie pour des crimes de guerre présumés.

Une autre demande importante concerne le rétablissement des droits de la langue russe en Ukraine.

« Le russe devrait être reconnu comme une deuxième langue officielle, avec des dispositions pour l’éducation et les médias en langue russe », a affirmé Markov.

L'ancien conseiller du président Vladimir Poutine a également critiqué le traitement de l’Église orthodoxe ukrainienne par le gouvernement, affirmant que celui-ci l’a interdite, confisqué ses biens et emprisonné des membres du clergé.

Il a accusé l’Ukraine de promouvoir l’Église orthodoxe d’Ukraine, qu’il a qualifiée de « pseudo-église créée par des agences de renseignement, comparable à une sorte de 'Daech orthodoxe’. »

Enfin, Markov anticipe que Moscou demandera une « démocratisation douce » de l’Ukraine, incluant la levée des interdictions sur les partis politiques et les médias.

« La Russie souhaite que les groupes politiques favorables à des relations amicales avec Moscou puissent opérer librement, et cette question sera probablement à l’ordre du jour des négociations », a-t-il poursuivi.


- Exigences internationales : Levée des sanctions et retrait de l’OTAN

Markov a souligné que les exigences de la Russie dépassent le cadre de l’Ukraine et concernent également les acteurs internationaux, la levée des sanctions étant une condition clé.

« Bien qu’il soit peu probable que ces demandes soient entièrement satisfaites, certains éléments, tels que l’interdiction des communications aériennes et d’autres mesures restrictives, doivent être annulés », a-t-il déclaré.

La Russie pourrait également reformuler des demandes exprimées par Poutine en 2021, connues sous le nom de « ultimatum à l’OTAN », qui incluent le retrait de la présence militaire de l’OTAN à des niveaux antérieurs à 1991 et l’arrêt du déploiement de missiles à moyenne portée près des frontières russes.

Moscou pourrait aussi insister sur le retrait des contingents militaires de l’OTAN déployés près de ses frontières après 2014, ou plus précisément, ceux déployés après 2022, a-t-il ajouté.

« Cela inclut également l’interdiction du déploiement de missiles à moyenne portée à des distances capables de cibler le territoire russe », a expliqué Markov.


- Le rôle de Trump et les obstacles juridiques

Malgré les promesses de Trump de mettre rapidement fin au conflit, nombreux sont ceux qui doutent de sa capacité à tenir ses engagements.

L'analyste et chroniqueur russe Andrei Sitov a exprimé son scepticisme quant à la capacité de Trump à tenir ses promesses de campagne : « Je doute que Trump ait suffisamment d'inspiration et de ressources pour mettre en œuvre tout ce qu'il a promis pendant la campagne électorale, y compris la promesse de mettre fin au conflit en Ukraine ‘en un jour.’ »

Sitov a noté que Trump considère probablement le conflit prolongé comme un échec de l’administration précédente, et non comme un défi à ses capacités personnelles.

Concernant les complexités juridiques de tout futur traité de paix, Markov a argumenté que l’accord doit être signé par les « autorités légitimes » de l’Ukraine, mais la Russie ne reconnaît pas le président Volodymyr Zelensky comme tel.

« Ce n’est pas parce que Poutine n’aime pas personnellement Zelensky. C’est une question juridique – si Zelensky n’est pas le dirigeant légitime, tout accord qu’il signe pourrait être annulé par la Cour constitutionnelle ukrainienne », a expliqué Markov.

Zelensky a été élu pour un mandat de cinq ans en mars 2019, qui a pris fin l’année dernière, mais l’Ukraine n’a pas encore organisé de nouvelles élections en raison de la guerre en cours.

Plus tôt ce mois-ci, Zelensky a réitéré dans une interview télévisée que l’Ukraine ne tiendrait pas d’élections sous la loi martiale – imposée depuis février 2022 – même si Moscou en fait une condition pour les négociations.

Dans ce scénario, Markov a suggéré que le traité devrait soit être signé par le président du parlement ukrainien, soit être validé par une décision de la Cour constitutionnelle affirmant la légitimité de Zelensky.

« La Russie ne demande pas la démission de Zelensky. Il ne s'agit pas de préférences personnelles, mais de garantir la durabilité juridique de l’accord », a-t-il déclaré.

Moscou cherchera également la reconnaissance juridique internationale de ses « nouveaux territoires intégrés », a ajouté Markov.

Reconnaissant qu'une pleine reconnaissance occidentale est peu probable, il a affirmé que Moscou souhaite un accord pratique qui pourrait affirmer le statut de facto de ces régions.

« Cela inclurait des dispositions garantissant que les pays occidentaux s'abstiennent d'imposer des sanctions politiques ou administratives aux citoyens de la Fédération de Russie résidant dans ces zones, en particulier en Crimée et à Sébastopol », a expliqué Markov.


*Traduit de l’Anglais par Adama Bamba

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