Tensions Éthiopie - Érythrée : « Le dialogue est la seule issue face au risque de conflit »
- Alors que la Corne de l'Afrique craint un nouveau conflit, l'universitaire Michael Woldemariam analyse pour Anadolu les ressorts de cette crise
Istanbul
AA / Istanbul / Mevlut Ozkan
Les tensions entre l'Éthiopie et l'Érythrée, deux pays de la Corne de l'Afrique qui sont au bord de la guerre, continuent de menacer les espoirs fragiles de paix dans la région, après des semaines d'échanges de déclarations virulentes.
Ancienne colonie italienne, l'Érythrée a été rattachée à l'Éthiopie en 1952, ce qui a déclenché une lutte pour l'indépendance qui a duré 30 ans et s'est terminée en 1991.
La première période de rapprochement, marquée par l'utilisation commune des ports d'Assab et de Massawa sur la mer Rouge et par des perspectives prometteuses en matière de commerce frontalier, s'est rapidement transformée en suspicion et en tension.
Les problèmes accumulés entre les deux pays ont déclenché une guerre en 1998. Cette guerre, qui a duré deux ans, a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes et déplacé des centaines de milliers d'autres. Elle a également entraîné une tension irrésolue qui a duré près de 20 ans.
En 2018, l'acceptation par le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed de la décision d'arbitrage frontalier qui faisait l'objet d'un différend depuis des années et le processus qui a conduit à l'attribution du prix Nobel de la paix, ont fait naître un espoir de paix, même s'il était fragile.
Cependant, deux ans plus tard, l'attaque des bases militaires du nord de l'Éthiopie par le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) a déclenché une nouvelle guerre entre les forces fédérales et les rebelles du Tigré.
Acteur dominant de la politique éthiopienne pendant près de 30 ans, le TPLF a déposé les armes en novembre 2022, à la suite de deux années de violents combats, avec la signature de l'accord de Pretoria.
L'accord a mis fin au conflit, mais les profondes tensions qui règnent dans le nord du pays persistent.
« Lutte pour la suprématie et le pouvoir »
Michael Woldemariam, professeur à l'École de politique publique de l'Université du Maryland, qui mène des recherches sur la Corne de l'Afrique, a affirmé à Anadolu que l'accord de Pretoria, qui a mis fin au conflit, a également marqué le début d'une nouvelle période de tensions entre l'Éthiopie et l'Érythrée.
L'académicien a qualifié la situation actuelle de « course à la domination entre les deux pays les plus influents de la région ».
Expliquant que les forces érythréennes ont agi conjointement avec les forces fédérales éthiopiennes pour remporter une victoire décisive contre le TPLF dans la guerre du Tigré, Woldemariam a noté que le gouvernement d'Addis-Abeba a signé l'accord qui a mis fin à la guerre avec le TPLF sans inclure l'Érythrée dans les négociations, ce qui a suscité le mécontentement à Asmara.
Woldemariam a expliqué que les autorités érythréennes considéraient que le TPLF avait été « sauvé par l'accord de Pretoria » et que les divergences de vues sur la stratégie militaire et politique tout au long de la guerre continuaient de peser sur les relations.
Soulignant que le regain de puissance du TPLF et ses attaques contre les régions d'Amhara et d'Afar ont mis fin à ce partenariat, le spécialiste a également ajouté que les efforts de l'Éthiopie pour accéder à la mer Rouge, en particulier son intérêt pour le port d'Assab en Érythrée, constituaient un sujet critique qui exacerbait les tensions entre les deux pays.
Michael Woldemariam a rappelé que le Premier ministre Abiy Ahmed avait qualifié l'accès à la mer Rouge de « question existentielle » pour le pays en octobre 2023 et déclaré que l'Éthiopie « pourrait recourir à la force pour se libérer de sa prison géographique ».
« Alors que l'Éthiopie voit l'absence d'accès aux ports comme un risque économique et sécuritaire majeur, l'Erythrée craint depuis toujours que l'Éthiopie ne prenne le contrôle du pays », analyse Michael Woldemariam.
L'expert ajoute que « les allégations selon lesquelles Asmara s'immiscerait dans la politique intérieure éthiopienne contribuent également à la tension ».
« La seule option réaliste est la médiation »
Woldemariam a rappelé qu'en janvier 2024, l'Éthiopie, qui compte environ 120 millions d'habitants et n'a pas d'accès à la mer depuis l'indépendance de l'Érythrée, a conclu un accord avec le Somaliland pour utiliser le port de Berbera, mais que le gouvernement de Mogadiscio a qualifié cet accord de violation de sa souveraineté.
Woldemariam a indiqué que, grâce à la médiation de la Türkiye, la Somalie et l'Éthiopie avaient accepté, dans la déclaration d'Ankara de décembre 2024, de travailler sur des arrangements qui leur permettraient d'accéder à la mer, et a ajouté qu'Addis-Abeba avait recommencé à mettre en avant l'objectif du port d'Assab.
« À ce stade, la seule façon réaliste de réduire les tensions est la médiation. Il est difficile pour les deux gouvernements et les groupes armés du Tigré, de l'Amhara et de l'Afar de réduire les tensions par eux-mêmes. »
Soulignant que les États-Unis continuent de jouer un rôle important en tant que puissance la plus influente et la plus critique dans la région, Woldemariam a également attiré l'attention sur le fait que l'Égypte, les pays du Golfe et la Türkiye sont également des acteurs clés dans ce processus.
L'Union africaine et les principaux États africains de la région doivent également intervenir, a-t-il affirmé. Il a ajouté que « La stabilité à long terme du continent nécessite un rôle fort de l'Afrique. »
Notant qu'un mécanisme de médiation coordonné réunissant tous les acteurs, similaire à celui testé au Soudan, pourrait offrir les meilleures chances de progrès, Woldemariam a souligné que l'option de la guerre était extrêmement risquée pour les deux parties.
« Il semble peu probable que les parties atteignent leurs objectifs stratégiques par la voie du conflit », a déclaré Woldemariam, ajoutant qu'un éventuel conflit aurait de graves conséquences pour les deux pays.
« La meilleure voie à suivre pour les deux pays est de résoudre tous les problèmes par le dialogue, y compris la demande d'Éthiopie concernant le port », affirme le professeur.
« Je pense que dans ce processus, il est nécessaire de respecter la souveraineté de l'Erythrée et d'aborder les allégations selon lesquelles l'Erythrée serait liée à des groupes opposés au gouvernement éthiopien », a ajouté Woldemariam
* Traduit du turc par Mariem Njeh
