Secret des sources menacé : 132 organisations interpellent le gouvernement français
- 132 médias, syndicats et associations demandent des mesures immédiates pour protéger le secret des sources et la liberté de la presse
Istanbul
AA / Istanbul / Seyma Erkul Dayanc
De nombreux syndicats et associations regroupant des médias et des journalistes, comme le Syndicat national des journalistes (SNJ), la CFDT-Journalistes, Reporters sans frontières (RSF), le Fonds pour une presse libre (FPL), Sherpa, l’Association de la presse judiciaire, rejoints par 132 médias, sociétés de journalistes et autres organisations, ont appelé jeudi le gouvernement français à renforcer d’urgence la protection du secret des sources, dans une tribune rendue publique le même jour. Les signataires affirment que les atteintes visant ce principe fondamental de la liberté de la presse se multiplient, en raison d’un cadre juridique jugé insuffisant depuis l’adoption de la loi de 2010.
Ils rappellent qu’au moins 27 journalistes ont été convoqués ou placés en garde à vue par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), selon un décompte du magazine Télérama. Ces organisations estiment que les intimidations à l’égard de la presse se sont intensifiées depuis un an, malgré la condamnation en 2023 de l’État français pour l’arrestation illégale d’un journaliste couvrant une action écologiste. Elles citent notamment l’interpellation et la garde à vue, le 1er juillet, du journaliste Enzo Rabouy après qu’il a documenté une action militante en marge du Salon du Bourget.
La tribune évoque également le cas d’Ariane Lavrilleux, journaliste, visée par un nouvel appel du parquet général contre une décision de non-lieu, alors même que la justice a reconnu « l’intérêt public » de ses révélations sur une opération militaire secrète menée par la France au bénéfice du régime égyptien. Plus de deux ans après sa garde à vue, la perquisition de son domicile et des mesures de surveillance jugées disproportionnées, elle pourrait de nouveau être renvoyée devant un tribunal. Les signataires s’inquiètent aussi de la procédure engagée contre le journaliste Philippe Miller, dont le matériel professionnel a été saisi malgré l’opposition du secret des sources, la juge estimant que la simple existence d’une enquête pénale relevait d’un « impératif prépondérant d’intérêt public ». Ils soulignent que si une telle justification suffit à lever la protection des sources, alors « ce dernier n’existe plus ».
Les organisations dénoncent par ailleurs des violences policières survenues lors de manifestations. Des vidéos révélées par Libération et Mediapart montrent, selon elles, que les forces de l’ordre déployées à Sainte-Soline ont multiplié les tirs illégaux et visé sciemment des journalistes qualifiés de « pue-la-pisse ». RSF affirme avoir recensé sept cas de reporters entravés physiquement, certains blessés par des éclats de grenade, lors des mobilisations du 10 septembre. Le 17 novembre, plusieurs journalistes de Reporterre, Blast et Libération auraient été violentés et gazés à bout portant alors qu’ils couvraient une action de désobéissance civile menée par plusieurs ONG sur un site du groupe chimique BASF en Normandie.
Pour les signataires, cette situation résulte d’« une année d’immobilisme » du gouvernement, alors que la ministre de la Culture Rachida Dati s’était engagée, lors des États généraux de l’information, à présenter un projet de loi garantissant le droit à l’information. Ils affirment que ce texte est « gardé secret » à ce stade. Les organisations appellent à clarifier strictement les conditions dans lesquelles le secret des sources peut être levé, à rendre obligatoire l’autorisation d’un juge indépendant avant toute atteinte à ce principe, à étendre cette protection aux collaborateurs de médias ainsi qu’aux auteurs et réalisateurs de documentaires ou de livres, à offrir aux journalistes une voie de recours en cas de violation du secret de leurs sources et à renforcer les sanctions en cas d’atteinte.
Selon le texte, « la protection des sources n’est pas une coquetterie corporatiste », mais « la pierre angulaire de la liberté de la presse » et la condition indispensable à l’exercice effectif du droit à l’information. Les signataires demandent que le projet de réforme soit soumis rapidement à un débat public et parlementaire. Ils appellent également les ministères de la Justice et de l’Intérieur à diffuser des instructions écrites à l’attention des forces de l’ordre et des services concernés, afin de garantir le respect du cadre posé par la loi de 1881 et par la jurisprudence française et européenne.
L’appel est porté par un groupe de travail composé de Sherpa, du Fonds pour une presse libre, de RSF, de l’Association de la presse judiciaire, du SNJ et de la CFDT-Journalistes, et soutenu par 132 signataires issus de médias indépendants, de rédactions nationales ou régionales, de collectifs de journalistes et d’organisations professionnelles.
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