Pays d’origine et Pays tiers « sûrs » : l’UE durcit les règles d’asile et facilite les retours vers les pays de transit
- L’Union européenne amorce un durcissement de son système d’asile, visant à accélérer les procédures et à faciliter les retours, au risque de raviver les critiques sur une externalisation de la protection internationale
Istanbul
AA / Istanbul / Mariem Njeh
Le Parlement européen et les négociateurs du Conseil de l'UE ont franchi, jeudi, une étape décisive dans la refonte du système d'asile européen. Ces dispositions visent, selon les institutions européennes, à « harmoniser les procédures au niveau continental et de réduire les délais de traitement des demandes ».
- Un accord clé sur le « pays tiers sûr »
Les négociateurs du Parlement européen et du Conseil sont parvenus, jeudi, à un accord final sur la révision du règlement relatif aux « pays tiers sûrs ». Ce mécanisme ne vise pas les ressortissants du pays de transit, mais les demandeurs d’asile arrivés dans l’UE après avoir traversé un État tiers considéré comme sûr.
Selon les termes de l’accord, une demande d’asile pourra être déclarée « irrecevable », c’est-à-dire rejetée sans examen au fond, si les autorités estiment que le demandeur peut être renvoyé vers un pays tiers sûr. Trois critères alternatifs permettent d’établir un lien suffisant avec ce pays :
– Le fait que le demandeur y ait transité et aurait pu y solliciter une protection ;
– L’existence de liens familiaux, linguistiques ou culturels ;
– L’existence d’un accord bilatéral, multilatéral ou européen de réadmission avec ce pays.
Un durcissement procédural majeur accompagne ce dispositif : le recours contre une décision d’irrecevabilité n’aura plus d’effet suspensif automatique. En pratique, un demandeur pourra être renvoyé avant que la justice ne statue définitivement sur son appel, sauf décision contraire d’un tribunal. Les mineurs non accompagnés sont exemptés de ces règles, hors cas liés à la sécurité publique, selon le communiqué du Parlement européen.
- Vers une première liste européenne de « pays d’origine sûrs »
Parallèlement, le Parlement européen a approuvé, par 384 voix pour, 237 contre et 31 abstentions, son mandat de négociation en vue de l’établissement de la première liste commune de l’UE des pays d’origine dits « sûrs ». Le texte inclut sept États : la Tunisie, l’Égypte, le Maroc, l’Inde, le Bangladesh, la Colombie et le Kosovo.
L’inscription sur cette liste entraîne des conséquences juridiques immédiates pour les ressortissants concernés. Leurs demandes d’asile seront traitées selon des procédures accélérées, souvent à la frontière, et la présomption de sécurité s’appliquera par défaut. Il reviendra dès lors au demandeur de démontrer que sa situation personnelle justifie une protection internationale, malgré le classement de son pays comme sûr.
Le texte précise que les pays candidats à l’adhésion à l’UE, comme le Kosovo, sont présumés sûrs, sauf circonstances exceptionnelles telles qu’un conflit armé ou de graves atteintes aux droits fondamentaux.
Selon le communiqué publié par le Parlement européen, la Commission européenne conservera un pouvoir de surveillance et pourra proposer la suspension d’un pays de la liste en cas de dégradation de la situation. Les États membres garderont par ailleurs la possibilité de maintenir ou d’adapter leurs listes nationales.
- Une architecture orientée vers des retours plus rapides
Pour les partisans de la réforme, ces deux textes apportent la « cohérence nécessaire » au système d’asile européen. La rapportrice Lena Dupont (PPE) estime qu’ils offrent aux États membres la « flexibilité requise » pour rendre les procédures de retour « plus rapides et plus claires », dans un contexte de lutte contre la migration irrégulière, elle ajoute qu'il s'agit de « la pièce manquante » pour rendre la politique migratoire « crédible et opérationnelle » et « augmenter les retours ».
Cette approche suscite toutefois de vives critiques au sein de l’hémicycle. L’eurodéputée Fabienne Keller dénonce une logique d’« externalisation » de la politique d’asile. Selon elle, les nouvelles règles permettront de renvoyer des personnes vers des pays avec lesquels elles n’ont « aucun lien réel », sans examen approfondi de leur demande, une voie qu’elle qualifie de « dangereuse » et contraire aux principes du droit d’asile. « Nous allons renvoyer des personnes vers des pays avec lesquels elles n’ont aucun lien, sans examiner leur demande d’asile. Nous fuyons nos responsabilités et délocalisons nos valeurs », affirme Keller.
- Vers des rejets « précoces »
Sur le plan opérationnel, des experts estiment que la combinaison de ces deux mécanismes pourrait modifier en profondeur le traitement des flux migratoires. Pour Majdi Karbai, expert des questions migratoires et ancien parlementaire tunisien, récemment invité au Parlement européen pour débattre de ces directives, prévient que la combinaison de ces deux mécanismes risque de modifier en profondeur le traitement des flux. La classification de pays comme « sûrs » induit des procédures « moins détaillées », souvent menées dans des zones de transit, affirme Karbai.
Selon lui, la présomption de sécurité, combinée à la clause de transit, augmente la probabilité de « rejets précoces », les administrations nationales étant en mesure d’écarter plus rapidement les demandes, sans analyse approfondie des circonstances individuelles en Europe. Dans une publication sur la plateforme Facebook, basée aux États-Unis, datant de quelques jours avant l’adoption des textes, Majdi Karbai avait alerté sur les conséquences potentielles de ces révisions, estimant qu’elles pourraient « ouvrir la voie à des expulsions collectives » et marquer un « recul grave » des principes européens en matière de droits humains, de dignité et de solidarité.
Ce cadre juridique permettrait ainsi de déclarer irrecevables à la fois les demandes de ressortissants des pays inscrits sur la liste commune et celles de migrants ayant transité par ces mêmes États avant leur arrivée dans l’UE.
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