Palestine et "apologie du terrorisme": Me Rafik Chekkat pointe la fragilité des dossiers pénaux
- Après François Burgat et Abdourahmane Ridouane, c’était au tour de Yamine Makri d’être jugé ce mercredi 10 décembre.
Provence-Alpes-Cote d Azur
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Depuis plus d’un an, les tribunaux français sont le théâtre d’une série de poursuites visant des militants, intellectuels ou responsables associatifs engagés en faveur de la cause palestinienne. En toile de fond, une qualification pénale particulièrement lourde : « apologie du terrorisme ». Pour Me Rafik Chekkat, avocat au barreau de Marseille, cette judiciarisation croissante du débat politique pose de sérieuses questions juridiques. En 2025, il a obtenu cinq décisions de relaxe dans ce type de dossiers, qu’il estime marqués par une fragilité procédurale manifeste.
« Plus un dossier est politique, et moins c’est rigoureux sur le plan juridique », affirme-t-il sans détour. Une critique sévère, nourrie par une pratique intensive de ces contentieux sensibles, où la frontière entre expression politique, liberté d’opinion et infraction pénale apparaît de plus en plus floue.
Une année marquée par la multiplication des poursuites
L’année 2025 a été marquée par une nette augmentation des procédures engagées par les pouvoirs publics contre des personnes accusées d’avoir notamment tenu ou relayé des propos jugés favorables au Hamas.. Dans la majorité des cas, les faits reprochés concernent des publications sur les réseaux sociaux, des prises de position publiques ou des symboles de soutien à la Palestine, dans le contexte de la guerre à Gaza.
Si ces affaires ont émergé dans de nombreuses juridictions à travers le pays, Me Rafik Chekkat s’est imposé comme l’un des principaux avocats à intervenir dans ce champ. Parmi les dossiers emblématiques qu’il a défendus figure celui du politologue François Burgat, relaxé en première instance mais dont l’affaire sera rejugée en appel début janvier 2026. Une autre relaxe notable concerne Abdourahmane Ridouane, président de la mosquée de Pessac, également poursuivi pour apologie du terrorisme.
Pour l’avocat marseillais, ces décisions illustrent une tendance de fond : des poursuites engagées sur des bases juridiques fragiles, parfois imprécises, et insuffisamment étayées.
Le procès de Yamine Makri à Lyon
Mercredi 10 décembre, c’est devant le tribunal correctionnel de Lyon que Me Chekkat s’est de nouveau illustré, en assurant la défense de Yamine Makri, fondateur de la maison d’édition Tawhid. Âgé de 62 ans, cet acteur bien connu des sphères associatives musulmanes lyonnaises était poursuivi pour incitation à la haine et apologie du terrorisme, à la suite de publications diffusées en ligne.
À l’audience, une partie des poursuites s’est toutefois effondrée. Les faits qualifiés d’incitation à la haine ont été écartés pour cause de prescription, laissant subsister le seul volet relatif à l’apologie du terrorisme. Un point que la défense considère comme central, tant il met en lumière les failles du dossier.
Rafik Chekkat rappelle le parcours de son client, décrit comme un militant associatif respecté, au casier judiciaire vierge, longtemps en lien avec différentes institutions locales. Pour lui, « les bases juridiques des poursuites sont très faibles ».
L’avocat pointe notamment l’imprécision de l’accusation : « Pour l’incitation les faits sont prescrits et pour l’apologie on ne sait pas quels sont les posts poursuivis. Il y avait des dizaines de publications sur 400 pages et c’était à nous de deviner ceux sur lesquelles portaient l’accusation ».
Une défense entravée par le manque de précision
Cette absence de qualification précise des faits reprochés a profondément conditionné la stratégie de défense. Me Chekkat explique avoir été contraint d’adopter une approche globale, faute de pouvoir répondre point par point à des éléments clairement identifiés par l’accusation.
Selon lui, cette situation n’est pas isolée, mais symptomatique de dossiers montés dans l’urgence, sous pression politique et médiatique. Elle pose, à ses yeux, un problème fondamental de respect des droits de la défense, qui suppose une information claire et détaillée des charges pesant sur l’accusé.
L’audience a néanmoins permis à l’avocat de déplacer le débat sur un terrain plus large, en rappelant les principes du droit international et les positions d’instances telles que l’ONU ou la Cour pénale internationale (CPI) concernant la situation à Gaza. Une manière de replacer les propos incriminés dans un contexte juridique et politique international, plutôt que de les réduire à une lecture strictement pénale.
Perquisitions, gardes à vue et symboles saisis
Dans le détail, l’affaire Yamine Makri s’inscrit dans une succession de mesures coercitives. Le 5 décembre 2024, l’éditeur a fait l’objet d’une perquisition à son domicile, dans le cadre d’une procédure incluant également des poursuites pour « affichage sauvage ». Lors de cette « visite domiciliaire », les autorités ont saisi un drapeau palestinien ainsi que deux écharpes aux couleurs de la Palestine.
Des éléments symboliques, dont la valeur pénale interroge, mais qui ont été intégrés au dossier d’instruction. Le 16 juin 2025, Yamine Makri a de nouveau été placé en garde à vue. Selon le procès-verbal d’audition consulté par Anadolu, il a alors choisi de garder le silence, considérant que les poursuites engagées à son encontre relevaient d’« une aberration ».
Face aux enquêteurs, il avait néanmoins tenu à rappeler le sens de son engagement : « Ma seule démarche c’est que le droit international qui nous rassemble et auquel nous sommes tous soumis, soit respecté et surtout soit défendu ».
Un verdict très attendu
Pour Me Chekkat, cette affaire illustre un glissement préoccupant : celui d’un droit pénal utilisé comme outil de régulation du débat politique, au risque d’en affaiblir la crédibilité juridique. Si la justice se montre parfois réticente à suivre l’accusation, comme en témoignent les relaxes obtenues en 2025, l’impact humain et symbolique de ces procédures demeure considérable pour les personnes mises en cause.
Le tribunal correctionnel de Lyon rendra son verdict le 5 janvier 2026. D’ici là, cette affaire continuera d’alimenter un débat plus large sur les limites de la répression pénale, la liberté d’expression et la place du droit international dans les juridictions nationales françaises.
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