Pablo Escobar, le narcotrafiquant devenu icône de la pop culture
- Derrière l’image “glamour“ de Pablo Escobar, se cache un monde de conceptions ambiguës où les limites du bien et du mal sont, au mieux décalées, au pire effacées, au profit d’une figure romancée qui fascine. Décryptage

Tunis
AA / Mounir Bennour
Pablo Emilio Escobar Gaviria est non seulement l’un des criminels les plus célèbres et les plus violents de tous les temps, mais aussi une figure iconique concentrant divers aspects contradictoires, où les limites du bien et du mal se chevauchent en une peinture certes aberrante, parfois grotesque, mais tout aussi fascinante qui a valu sa place dans le panthéon de la pop culture.
En ce 29e anniversaire de la mort d’Escobar, et au-delà de l’ascension du chef du cartel de Medellin, qui était l’un des plus puissants au monde à son époque, retour sur l’ascension du mythe d’“El Patrón“ et de la fascination qu’il exerce encore.
- Escobar, cet antihéros
Selon Gabriel Garcia Marquez, Nobel de littérature en 1982, qui n’était pas complaisant avec le narcotrafiquant, “au sommet de sa splendeur, les gens dressaient des autels avec son image et lui allumaient des bougies dans les bidonvilles de Medellín. On croyait qu’il pouvait faire des miracles“. Ces termes, tirés du registre religieux, dénotent de l’essence même des contradictions qui caractérisent Pablo Escobar, situé quelque part entre “l’ange“ bienfaiteur de Medellin et de la Colombie, et le “démon“ sanguinaire qui a fait trembler le pays sous le joug du narcoterrorisme.
S’il n’hésitait pas à commanditer des meurtres de sang-froid et à commander des légions de “Sicarios“ (terme espagnol désignant ses principaux lieutenants et hommes de main, destinés à exécuter des meurtres et des basses besognes), estimés selon certaines sources à plus de 3 000 criminels, les actes d’Escobar passent, dans un certain imaginaire en Colombie et ailleurs, pour des preuves de “courage“ et de “respectabilité“.
Ce mélange improbable des opposés renvoie à un autre mythe suggestif : le “Robin des Bois“ qui détrousse les riches, en l’occurrence les riches Etats-Unis (plus grand pays consommateur de cocaïne au monde), au profit des pauvres, la Colombie en général et plus particulièrement les habitants de la ville de Medellin.
Mécène, bienfaiteur des pauvres, symbole d’une “success story“, Escobar, l’homme aux origines modestes est un l’exemple parfait de la réussite du modèle de l’ascenseur social. A tout juste 35 ans, le trafiquant colombien trônait sur un empire pesant des milliards de dollars et occupait une place dans le club, très fermé des hommes les plus riches de la planète, en décrochant même la septième place du classement du magazine américain Forbes, avec une fortune estimée à 3 milliards de dollars, obtenus grâce à son quasi-monopole du marché de la cocaïne aux Etats-Unis (80 % du marché était contrôlé par le cartel de Medellin), et à un retour sur investissement faramineux de 20 000% (pour un dollar investi, Escobar en gagnait 200), le tout sans tenir compte de la violence, du sang et des crimes commis pour entretenir cet empire.
- Fascination, pouvoir et culture pop
Cette image romancée du narcotrafiquant, a longuement été explorée par les productions de films, de séries, voire d’ouvrages dont les trames reprennent ou s’inspirent de la vie d'Escobar. Cet engouement pour la figure du “héros“ ennemi public, a fait le succès de la célèbre série “Narcos“, une des productions les plus appréciées de la plateforme Netflix, ou encore le film “Escobar“ (intitulé Loving Pablo en anglais) du réalisateur, Fernando Leon de Aranoa.
Les réalisations audiovisuelles autour du thème exercent une sorte de fascination, parfois morbide, surtout auprès d’une audience plutôt jeune, séduite par le succès et la richesse de l’homme, son plein succès, selon les standards capitalistes du moment, son train de vie tapageur et luxueux et son pouvoir qui fascine, dans la mesure où il dépasse, par certains aspects, celui de l’Etat colombien lui-même. Escobar usait de menace, de liquidation des opposants, des journalistes, des juges, ou encore des forces de l’ordre pour arriver à ses fins. Or, paradoxalement, cela ne fera que nourrir son aura dans l’iconographie populaire, et pour la petite histoire, certains foyers à Medellin, arborent même aujourd’hui une icône d'un “Escobar sanctifié“.
Selon certains universitaires, les grands bandits et criminels jouissent d’une certaine sympathie et dégagent un certain charisme qui les fait passer pour des individus “brillants“ et “dignes de respect“. Les attributs du pouvoir : richesse, conquêtes féminines, violence et impunité, sont affichés à outrance par Escobar, et nourrissent cette ambiguïté qui caractérise son image dans l’imaginaire collectif. Malgré ses crimes atroces, la plupart des gens n’en tiennent pas rigueur tant que cela au narcotrafiquant, et certains “comprennent“ même ses méthodes ultraviolentes, quand grâce à ces actions, la classe pauvre de Medellin a pu jouir de maisons, d’infrastructures et de services éducatifs, culturels et médicaux, le tout aux frais du “bandit au grand cœur“.
Dans une autre perspective, la défiance qui caractérise, aujourd’hui, l’attitude générale envers l'État et ses organes (institutions, partis politiques, médias…), nourrit en quelque sorte l’image de l’“outsider“, le rebelle, l’opposant anti establishment, qui épouse en somme la figure d’un héros “socialiste“ qui use parfaitement des outils de l'ordre (capitaliste) établi, pour “contourner le système“ en utilisant ses propres outils contre le système lui-même, un concept largement populaire dans certaines franges sociales en ce moment.
- Escobar, les dessous d’un marketing d’image
Erigé en icône de la pop culture, Pablo Escobar séduit si bien qu’un circuit touristique et un musée lui ont été dédiés dans la ville de Medellín. Marketing oblige, plusieurs articles de consommation à son effigie se vendent toujours aux quatre coins du monde.
La “glamourisation“ du personnage et du narcotrafic en général s’est emparée des productions sur le petit et le grand écran, et même de la musique, et a fondé des genres nouveaux tels que le “narco-cinéma“ et le “narcocorridos“ (des chanteurs mexicains composant des chansons à la gloire des boss de cartels), qui séduisent un auditoire grandissant. Ce “concept vendeur“ fait évidemment body_abstraction des dérives morales et éthiques de Pablo Escobar au profit d’une image plus “cool“ et “bienveillante“.
Ce glissement de sens se doit selon certaines analyses psychologiques à une certaine fascination envers ce “héros“, et les crimes auxquels il renvoie. À la fois, “bon et méchant“, “héros et vilain“, ces dualités plongent par procuration ses admirateurs dans leurs désirs (souvent mortifères) de transgression, ce qui n’empêche pas aussi l’exercice d’une certaine critique morale de la conduite d’Escobar.
Face à la déferlante de productions liées à la figure du narcotrafiquant, certaines voix s’élèvent aujourd’hui, dans plusieurs pays, pour intégrer la figure d’Escobar dans certains cours afin de discerner ses dérives et contextualiser sa vie et ses actions et ses représentations, pour mieux discerner les répercussions, souvent terribles, du trafic de drogue et des crimes des cartels tant sur le plan social qu’économique et politique dans les Amériques et à travers tout le globe.
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