Opinion - La nouvelle loi indienne vise à priver les musulmans de leurs droits
- Lourd et fastidieux exercice pour détecter et expulser les soi-disant étrangers

Ankara
AA - Ankara - Iftikhar Gilani
Il y a quelques mois, lorsque l'Inde a achevé ses sept ans d'efforts pour trouver des immigrants illégaux dans l'État d'Assam, dans le nord-est du pays, les résultats ont été difficiles à digérer pour le parti au pouvoir Bharatiya Janata (BJP).
Le parti soutenu par les nationalistes hindous a fait de l'élimination et de l'expulsion des étrangers, grâce à la mise en œuvre du Registre national des citoyens (NRC), l'un de ses fondamentaux depuis sa création en 1980.
Les dirigeants du parti ont affirmé que des millions de ressortissants bangladais s'étaient infiltrés dans la région, faisant des hindous une minorité dans divers districts. Mais le recensement mené sous le contrôle de la Cour suprême a dévoilé que 1,9 million de personnes ont des soucis pour prouver leur citoyenneté, faute de documents, sur une population de 39,9 millions d'habitants en Assam. Mieux encore, sur 1,9 million de personnes, 1,1 million étaient hindous et seulement 800 000 musulmans.
Pour inverser l'embarras, le gouvernement du BJP, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, a apporté des modifications à la loi sur la citoyenneté pour accorder la citoyenneté aux réfugiés non musulmans, à savoir les hindous, les sikhs, les bouddhistes, les jaïns et les parsis du Pakistan, d'Afghanistan et du Bangladesh, arrivés en Inde jusqu'en 2014. La loi a récemment été adoptée par le Parlement indien.
L'effet immédiat de la nouvelle loi a été que 1,9 million d'hindous précédemment déclarés citoyens douteux en Assam sont automatiquement devenus citoyens, alors que 800 000 musulmans, exclus de la liste du NRC faute de documents ou d'une erreur dans leur nom, continuent de contester le NRC devant la justice.
Si la Haute Cour les déclare également citoyens douteux, ils deviendront apatrides et une procédure d'expulsion sera engagée. Cependant, personne ne sait jusqu'ici où ils seront expulsés. Le Bangladesh a déjà déclaré qu'il n'accepterait personne.
Les dirigeants musulmans disent qu'ils n'ont aucun problème avec la loi qui accorde la citoyenneté aux minorités persécutées des pays voisins. Mais leur inquiétude vient du fait que la nouvelle loi sur la citoyenneté est liée à l'exercice national du NRC. Le gouvernement central a déjà approuvé le registre national de la population (NPR) au niveau national au coût de 83 milliards de roupies (1,16 milliard de dollars). Après des protestations massives, même si Modi a assuré qu'il n'y aurait pas de NRC à l'échelle nationale, le document du NPR a déclaré qu'il serait suivi d'un exercice de mise à jour du registre des citoyens.
L'éminent dirigeant musulman Asaduddin Owaisi a affirmé que des officiers subalternes faisant du porte-à-porte pour effectuer un recensement étaient autorisés à déclarer quiconque citoyen douteux s'il n'était pas en mesure de produire une preuve documentée de citoyenneté.
"Dans un pays aussi vaste que l'Inde, rempli de tant de personnes illettrées et sans terre, cet exercice est la recette d'une catastrophe", a-t-il averti.
- Un exercice lourd et coûteux
Selon le recensement de 2011, l'Inde compte 172,2 millions de musulmans, soit 14,2% de la population. Et Owaisi de déclarer que "Si un hindou n'est pas en mesure de produire des documents, il sera couvert par la nouvelle loi. Mais un musulman deviendra un citoyen apatride".
Lorsque l'exercice n'a pas atteint son objectif en Assam, le chef du BJP, Himant Biswa Sarma, a déclaré que le NRC ne pouvait pas trouver beaucoup d'étrangers en Assam car un grand nombre de Bangladais ont émigré vers d'autres parties du pays. En d'autres termes, il était désormais nécessaire de les chasser dans le reste de l'Inde.
Il a estimé qu'un NRC national est devenu impératif pour éliminer les "infiltrés".
À Assam, ni les passeports, ni les cartes d'identité nationales, ni les permis de conduire, ni les cartes d'électeur n'ont été acceptés comme documents prouvant la citoyenneté. Une personne devait d'abord prouver la citoyenneté de ses grands-parents en soumettant des déclarations de revenus ou des documents prouvant la propriété d'un terrain.
"C'était un exercice lourd", a déclaré Abdul Bari Masoud, un éminent journaliste qui a couvert l'exercice à Assam. Il a mentionné des cas où des personnes ont été déclarées "citoyens douteux" et confinées dans des centres de détention simplement parce que deux documents ont des orthographes différentes de leurs noms. Il se souvient d'une personne en prison parce que les autorités scolaires et fiscales ont entré son nom Mohammad avec deux orthographes différentes, une avec un U et une avec un O.
Même la famille de l’ancien Président indien Fakhruddin Ali Ahmed a été exclue du projet du NRC. L'officier de l'armée à la retraite Mohammad Sanaullah a non seulement été déclaré "citoyen douteux", mais a également été arrêté pour avoir été un immigrant illégal.
Dans l'exercice NPR, les gens ont été invités à présenter des passeports pour vérification. Le gouvernement affirme que seulement 5% de la population indienne a obtenu un passeport et que 50% seulement ont un certificat de naissance.
De plus, l'exercice du NRC en Assam a coûté environ 16 milliards de roupies (224 millions de dollars) sur sept ans et a employé 52 000 personnes. Selon le comptable agréé Rahul Pandey, 500 milliards de roupies (7 milliards de dollars) seront nécessaires juste en frais administratifs pour couvrir une population de 1,3 milliard. Il a estimé que les autres dépenses seraient beaucoup plus élevées.
- Vengeance contre les musulmans
Taslem Rahmani, membre d’organisations de la société civile qui mènent des manifestations contre la nouvelle loi sur la citoyenneté, estime que les nationalistes hindous se vengent des musulmans indiens, qui ont été une pierre d'achoppement majeure sur leur chemin pour revendiquer le pouvoir au cours des 70 dernières années.
Sur un total de 543 sièges parlementaires en Inde, 125 sièges sont occupés par des musulmans et représentent 15% ou plus des électeurs, de quoi faire pencher la balance électorale dans de nombreuses élections.
En Assam, les musulmans représentent 33,4% de l’ensemble de la population, la plus importante après le Jammu-et-Cachemire. Dans neuf districts de cet État, les musulmans sont majoritaires.
"Depuis longtemps, les nationalistes hindous font campagne contre eux et demandent que cette population soit privée de ses droits. La population musulmane a joué un rôle important en empêchant les nationalistes hindous d’arriver au pouvoir jusqu’en 2014", déclare Rahmani, se référant à la première fois que le leadership charismatique de Modi a conduit à une consolidation des votes hindous.
Avec l'économie en lambeaux et d'autres facteurs conduisant à la désillusion ressentie par une section des électeurs hindous contre le BJP, ses dirigeants ont élaboré un plan pour déclarer une grande partie de la population musulmane apatride, afin d'empêcher l'alignement avec les hindous laïques pour les déloger du pouvoir.
Au cours de trois élections législatives tenues ces derniers mois, à savoir dans le Maharashtra, l'Haryana et récemment le Jharkhand, le BJP a obtenu de mauvais résultats, même s'il a obtenu une majorité écrasante aux élections parlementaires il y a à peine sept mois. Même la mise en œuvre de ses promesses électorales controversées comme la révocation de l'autonomie du Jammu-et-Cachemire, la division de l'État à majorité musulmane en deux unités administrées centralement et l'ouverture de la voie à la construction du grand temple Ram, sur le site de la mosquée Babri démolie, n’ont manifestement pas impressionné les électeurs.
- Les minorités au Sri Lanka et au Népal sont exclues
Présentant la nouvelle loi au Parlement, le ministre de l'Intérieur, Amit Shah, a mentionné la persécution des minorités dans les pays voisins à majorité musulmane comme l'une des principales raisons de la loi. S’agissant du Pakistan, le ministre de l'Intérieur indien a déclaré qu’au moment de la partition en 1947, la population des minorités au Pakistan était de 23%, mais elle est maintenant tombée à seulement 3,7%. Il a dit que cette population a été convertie de force à l'islam ou a été éliminée.
Mais selon les documents de recensement pakistanais, la population des minorités au Pakistan n'a jamais été de 23%, contrairement aux affirmations du ministre de l'Intérieur.
Selon le recensement de 1961, la population non musulmane enregistrée était de 2,83%. Une décennie plus tard, en 1972, le recensement a enregistré une population non musulmane représentant 3,25% de la population totale.
Cela signifie qu'il y a eu une augmentation de 0,42%. Au recensement de 1981, la population non musulmane était de 3,3%. Lors du recensement suivant, effectué en 1998, le chiffre a grimpé à 3,7% de la population totale. Le leader du Conseil hindou du Pakistan, Raja Manglani, estime que les hindous représentent 4% des 210 millions d'habitants.
Alors que le BJP a présenté la loi sur la citoyenneté en grande partie pour barrer la route aux musulmans, cette loi est sévèrement opposée dans sept États du nord-est.
Les dirigeants de ces États limitrophes du Bangladesh estiment qu'il s'agit d'une violation de l'Accord d'Assam. L'accord était un protocole d'accord (Memorandum of Settlement) signé entre le premier ministre d'alors, Rajiv Gandhi, et les dirigeants du mouvement Assam en 1985. Aux termes de l'accord, les étrangers qui se sont installés en Assam avant 1971 ont obtenu la citoyenneté indienne. Mais la nouvelle loi a fixé une autre date butoir pour 2014, ce qui, selon les manifestants, est inacceptable.
À l'approche de l'indépendance du Bangladesh en 1971, un grand nombre de personnes se sont installées en Assam, craignant la répression. L'Inde a ouvert ses frontières au cours de cette période.
La nouvelle loi s’attire d’autres critiques puisqu’elle n'inclue pas les minorités hindoues tamoules du Sri Lanka, qui étaient à l'origine de la direction d'un mouvement séparatiste dans le pays.
De même qu’elle a négligé la population hindoue Madhesis d'origine indienne du Népal habitant la région sud, qui se plaignent souvent de préjugés.
(L'auteur est correspondant en chef au bureau anglais de l'agence Anadolu, spécialiste des affaires sud-asiatiques).
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