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Mise en examen de Nicolas Sarkozy : La revanche de Kadhafi ?

Esma Ben Said  | 22.03.2018 - Mıse À Jour : 22.03.2018
Mise en examen de Nicolas Sarkozy : La revanche de Kadhafi ?

Tunisia

AA/Tunis/Slah Grichi

Quand on a été pendant près dix ans aux premiers postes -puis au suprême- du pouvoir et du pouvoir de décision, se sachant exposé aux feux des projecteurs, on sait qu'on ne peut invoquer à l'envie un malheureux et équivoque concours de circonstances ou une concertation de volontés cherchant un supposé discrédit, lorsqu'on se retrouve soupçonné, impliqué ou accusé dans au moins dix affaires judiciaires, notamment de corruption.

Surtout pas lorsqu'on se nomme Nicolas Sarkozy, qu'on a été président de la France et qu'on est désormais celui par qui l'ombrage à cette mission et à cet honneur est porté, même si l'on échappe à la prison.

-Lourdes charges

Au terme de deux jours de garde à vue et d'interrogatoires menés par la police anti-corruption de Nanterre (Paris), les trois juges d'instruction en charge de l'affaire baptisée "Kadhafi" se sont prononcés : Sarkozy est bel et bien accusé. Mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, il doit répondre devant la justice de trois chefs d'inculpation : corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens.

Pour avoir pris cette décision aux lourdes conséquences pour l'avenir politique et même de simple citoyen de l'ancien président, les magistrats ont dû réunir assez d'indices pour l'envoyer devant un tribunal où il encourt jusqu'à dix ans d'emprisonnement pour le seul grief -s'il en est confondu- de corruption.

Il faut dire son rejet en bloc des trois accusations et l'inaliénable présomption d'innocence sont contre balancés par les témoignages et les déclarations à charge. Leur convergence avec la note signée par Moussa Koussa (patron des services spéciaux et ministre des Affaires étrangères de Kadhafi) et Béchir Salah (directeur du cabinet du Colonel et "banquier" de son régime) -à l'origine de l'affaire- est déconcertante.

Cette note dont l'authenticité est niée par ces derniers et par Sarkozy qui affirme qu'elle a été fabriquée pour le discréditer lors de la campagne présidentielle de 2012 perdue face à François Hollande, révèle un "don" libyen de 50 millions d'Euros consenti au profit de la campagne de 2007 du candidat RPR (Rassemblement pour la République, Droite) à la présidence face à la socialiste Ségolène Royal. Elle a été confortée par le sulfureux homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, spécialisé dans la médiation internationale, notamment la vente d'armes, qui affirme avoir remis en 2007, sur trois fois et soit à l'intéressé soit à son conseiller, directeur de campagne, la somme de cinq millions d'Euros cash.

Au-delà de ce témoignage clé et de la crédibilité d'un personnage impliqué dans des combines frauduleuses et louches pour lesquelles il a été condamné, la thèse d'un financement illégal de campagne électorale est corroborée par des déclarations de proches de l'ex dirigeant libyen par des présomptions plus que solides, ainsi que par la nature même de la personnalité de Sarkozy dont les sympathisants admettent le caractère vif, fonceur, spontané et téméraire.

Pour ses adversaires, ces traits prennent une autre teinte et Sarko devient aventurier, opportuniste, emporté et que les scrupules n'étouffent pas. Ils évoquent comme preuve les dix affaires -révélées- qui lui a déjà valu deux mises en examen et dans lesquelles il a été au moins soupçonné de corruption active, trafic d'influence, recel, abus de faiblesse...

On se souviendra, longtemps et entre autres, de ce qui a été appelé l'"affaire Karachi" où en 1994, sur la vente de frégates à l'Arabie Saoudite et de sous-marins au Pakistan, par l'intermédiaire de Takieddine -encore lui-, des rétrocommissions ont été perçues pour financer la campagne de 1995 d'Edouard Balladur. Sarkozy, ministre du Budget à l'époque, y a été impliqué, entendu par la justice en tant que témoin, puis mis en examen après son mandat (2007 - 2012). Trop pour quelqu'un qui veut convaincre de son innocence et que tout et tous se liguent contre lui, y compris Seïf El Islam, le fils de Mouammar Kadhafi, qui a déclaré que la campagne de Sarkozy de 2007 a effectivement été financée par des fonds libyens.

Des propos réitérés par le réservé Mustapha Zaydi, l'ex vice-ministre libyen des Affaires étrangères, qui va encore plus loin en écrivant : "Sarkozy est le point noir qui ne s'effacera jamais de l'histoire du peuple libyen... Il doit être questionné non pas seulement pour le financement de sa campagne présidentielle, mais pour tout le dossier libyen.Il a impliqué la France dans une guerre absurde pour se débarrasser de Kadhafi.

Les plus hauts responsables européens ont admis qu'il les a entraînés dans une guerre dont les résultats n'étaient pas réfléchis..." Un réquisitoire qui converge avec la "collusion amoureuse" Sarko - Kadhafi qui a abouti, comme dans un drame Shakespearien, à l'assassinat -par procuration- de ce dernier par celui qui l'a tant "aimé".

En effet, les juges n'ont sûrement pas manqué de s'interroger sur le revirement total et spectaculaire de l'ancien président vis à vis de celui qu'il a, un tant soit peu, sorti de son isolement international lorsqu'en 2005, il lui a rendu visite lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Celui-là même qu'il gratifiait publiquement, une fois élu président, de propos flatteurs, sinon élogieux, contrairement à la plupart de ses homologues, surtout européens.

Celui-là même qu'il a accueilli avec les meilleurs honneurs possibles à Paris, autorisant qu'il dressât sa réputée tente en face de l'Elysée. Ils sont sans aucun doute revenus sur son acharnement à mener cette guerre de 2011, une guerre davantage pour détruire et pour tuer -nous en avons vu les traces, notamment les gigantesques cratères provoqués par des bombardements soutenus et souvent aveugles- plutôt que pour "aider" au changement d'un régime que Sarkozy "découvrait" subitement totalitaire.

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