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L'histoire des musulmans mauriciens et leur intérêt pour l'Empire ottoman, selon l'historien mauricien Assad Bhuglah

- L'historien mauricien Assad Bhuglah a étudié l'importance des musulmans mauriciens dans l'histoire du pays et leurs relations avec les Ottomans.

Faruk Tokat, Faruk Hanedar  | 02.06.2024 - Mıse À Jour : 03.06.2024
L'histoire des musulmans mauriciens et leur intérêt pour l'Empire ottoman, selon l'historien mauricien Assad Bhuglah

Port Louis

AA / Port Louis / Faruk Tokat - Faruk Hanedar

Assad Bhuglah, considéré comme l'un des grands érudits de l’île Maurice, a évoqué pour Anadolu sa perception de l'histoire de ce pays insulaire situé au large du continent africain dans l'océan Indien, la période du colonialisme français et britannique, ainsi que l’impact des musulmans et leurs relations avec les Turcs.

L’historien, auteur d'importantes études sur l'histoire des musulmans mauriciens, a déclaré que l'île Maurice avait été découverte par les Arabes au 10e siècle et utilisée comme un point de ravitaillement pour approvisionner leurs navires en eau potable ou pour stocker leurs marchandises avant de naviguer vers d'autres lieux. L'île qui n'a pas été colonisée par les Arabes, a ensuite été colonisée par les Néerlandais, les Français et les Britanniques.


- La colonisation européenne et l’établissement des premiers musulmans à Maurice


Assad Bhuglah note que les Portugais ont été les premiers Européens à découvrir Maurice en 1507, mais ne sont pas restés longtemps sur l'île. Sont arrivés ensuite les Hollandais qui ont utilisé les ébéniers de l'île pour construire des navires de 1598 à 1710, ils ont exterminé les Drontes de Maurice qu'ils consommaient comme nourriture, et ont rencontré des difficultés à s'installer en raison de l'infestation de rats qui causait le choléra.

"Les Français ont colonisé l'île en 1715. Ils ont fait venir des esclaves d'Afrique pour travailler dans les champs et effectuer d'autres travaux pénibles. Ils ont imposé la culture française, la langue française et la religion catholique aux peuples qu'ils gouvernaient", a affirmé Bhuglah.

L’historien souligne que les Français voulaient initialement cultiver du café ici et ont apporté des graines et des plants de café de Muha, au Yémen, mais ils ont préféré se concentrer sur la culture de la canne à sucre, qui résiste mieux aux vents cycloniques.

Assad Bhuglah explique qu'en 1735, Mahé de la Bourdonnais fut nommé gouverneur de la colonie française connue alors sous le nom d'Ile de France et voulut construire un port pour faire de l'île une base navale, pour laquelle il sollicita l'expertise de marins musulmans appelés « Lascars » (marins indiens).

En précisant que les Lascars se sont installés dans une zone proche de la capitale Port Louis, l'historien a noté que cette zone suburbaine était la Plaine verte, alors connue sous le nom de "Camp des Lascars", et que la population de l'île pendant la période coloniale française était composée de Français, d'esclaves afro et de Lascars (musulmans).

Assad Bhuglah ajoute que les Britanniques, découvrant que l'île était située à un point géographique stratégique où il était pratique de contrôler le mouvement des navires se rendant en Inde, se sont emparés de l'île en 1810 et ont changé son nom d'Ile de France en Ile Maurice, "mais dans un esprit de compromis, ont permis aux descendants des magnats français qui contrôlaient l'économie et le commerce de continuer à utiliser la langue française et les lois françaises".


"Les commerçants musulmans étaient concentrés dans le quartier commercial de Port Louis, où ils ont construit la deuxième mosquée la plus importante de l'île, connue sous le nom de Mosquée du vendredi", a-t-il ajouté en soulignant que les Britanniques avaient fait venir des travailleurs de l'Inde, dont de nombreux musulmans, pour travailler dans les plantations de canne à sucre et que ces musulmans avaient contribué au développement du commerce de l'île.

Pendant la période coloniale française, aucune langue autre que le français et aucune religion autre que le catholicisme n'étaient autorisées. Cependant, grâce à leur travail acharné et à leur lutte, les Lascars musulmans ont réussi à négocier avec les colonialistes français l'autorisation de construire la première mosquée de l'île en 1805. Cette mosquée est connue sous le nom de "Mosquée du camp des Lascars".

Rappelant que la population de l'île est composée d'hindous (50 %), de chrétiens (29 % au total, dont des Africains et environ 1 % de Blancs), de musulmans (20 %) et de Chinois (1 %), il a expliqué : "l'île Maurice étant un pays multiethnique et multiculturel, chaque groupe ethnique conserve sa propre langue culturelle. L'hindi, l'ourdou, le tamoul, le télougou, le marathi, l'arabe et le chinois. Récemment, le dialecte créole (un dialecte dérivé du français), parlé par tous les groupes culturels, est devenu la langue nationale."

Assad Bhuglah a indiqué que l'île Maurice a été découverte par les Arabes et que son premier nom était ‘’Dina Arabi’’, il a ensuite fait le récit de personnages et d’événements historiques importants de l'île :

"Gassy (Gazi) Sobdar, le premier imam de la première mosquée sous le régime français, a joué un rôle de premier plan dans l'établissement des fondements de l'islam à Maurice. Son fils, Najourdine Gassy, a été en contact étroit avec l'Empire ottoman jusque dans les années 1870. Les archives turques contiennent des traces de correspondances entre lui et le Palais Impérial. Le Dr Idrice Goumany a été le premier musulman à obtenir un diplôme de médecin en Écosse en 1886. Bien qu'ayant fait ses études en Europe, il portait toujours une fez ottomane. Il a sacrifié sa vie en soignant des patients atteints de la variole, une maladie mortelle. Des personnalités remarquables telles que le Dr Hassen Sakir, Ghulam Mohammad, Dawjee Atchia et Sir Abdul Razaque Mohamad ont également joué un rôle important dans l'éveil politique des Mauriciens, en particulier des musulmans. Il est un fait que sans le soutien du parti politique de Sir Abdul Razaque Mohamed, il aurait été difficile pour l'île Maurice d'obtenir son indépendance de la domination coloniale britannique en 1968. Malheureusement, ces personnages et événements historiques sont souvent négligés dans les récits des historiens et des écrivains."


- Il était d'usage de demander l'approbation de l'empereur ottoman pour la nomination d’un imam

L'érudit Ebubekir Efendi, envoyé en Afrique du Sud par l'Empire ottoman pour y dispenser un enseignement religieux, a également été chargé de préparer un rapport sur les musulmans de l'île Maurice, a déclaré Bhuglah en expliquant qu’"il était d'usage d'obtenir l'approbation de l'empereur ottoman pour nommer un imam dans une mosquée de l'île Maurice".

Assad Bhuglah a déclaré que la marine ottomane s'intéressait à la sécurité des pèlerins parce que les navires transportant les pèlerins étaient attaqués par des pirates européens et a ajouté : "Les musulmans de l'île Maurice se sont toujours tournés vers l'Empire ottoman pour leur sécurité. Lorsqu'il y avait des soulèvements sociaux à Maurice, les musulmans demandaient l'intervention de la marine ottomane. En 1866, le navire Bursa de la marine ottomane a visité Port Louis".

Indiquant qu'il a consacré un chapitre à la relation ottomane avec l'île Maurice dans son livre "Gazi Sobdar et les Lascars pionniers de l'île Maurice", Bhuglah a affirmé : "Il y avait des relations consulaires entre l'île Maurice et l'Empire ottoman. Dans les archives ottomanes, des documents montrent que les Ottomans ont aidé l'île Maurice, frappée par des ouragans. Les Mauriciens ont également contribué généreusement à aider les victimes de la guerre et des tremblements de terre en Türkiye. Les musulmans de l'île Maurice ont également contribué au fonds pour la construction du chemin de fer du Hejaz".

"L'Empire ottoman était comme un garant de la sécurité, du bien-être et de la sûreté des musulmans de l'île Maurice. Les musulmans locaux n'hésitaient pas à écrire au sultan lorsqu'ils étaient confrontés à un problème. L'imam Najourdine Gassy, par exemple, a écrit au sultan pour l'informer que le gouvernement colonial ne disposait pas de la tenue appropriée qu'il devait porter pour assister aux cérémonies officielles au palais du gouvernement. Le sultan a fait en sorte qu'une tenue appropriée lui soit envoyée afin qu'il puisse être un représentant religieux respecté de l'Empire ottoman. Les autorités ottomanes ont encouragé l'élite musulmane de l'île Maurice à faire campagne en faveur de l'éducation moderne. Dans ce contexte, l'élite musulmane mauricienne a commencé à publier un journal mensuel intitulé "Islamisme", en 1908, dans le but d'instiller des réformes et de nouvelles idées dans l'esprit des musulmans locaux. La première page du journal présentait le symbole de l'Empire ottoman comme logo », a-t-il expliqué, en mettant en avant l'intérêt des Ottomans et des musulmans mauriciens.


- Les relations entre la Türkiye et l'île Maurice

Soulignant qu'il n'y a pas eu de contact entre la Türkiye et Maurice après l'Empire ottoman jusqu'à l'établissement de relations diplomatiques en 1996, Assad Bhuglah a noté que Bashir Currimjee, l'un des principaux hommes d'affaires de Maurice, a été nommé consul honoraire de Türkiye à Port Louis et que les relations sont entrées dans une nouvelle phase en 2010 lorsque la Türkiye a ouvert une ambassade à Madagascar avec l'accréditation de l'île Maurice.

L'historien a déclaré qu’il avait été le négociateur en chef au nom de Maurice dans l'accord de libre-échange qui est entré en vigueur entre Maurice et la Türkiye le 1er juin 2013, et que Turkish Airlines a effectué son premier vol vers l'île en décembre 2015. Ainsi, l'accord commercial et la liaison aérienne ont contribué au développement des relations.

Commentant l'avenir des relations diplomatiques entre Maurice et la Türkiye, il a déclaré : "Les relations se développeront davantage grâce à une interaction accrue entre les peuples. Deuxièmement, Maurice est membre de l'Union africaine, avec laquelle la Türkiye a développé une relation de partenariat. Enfin, le nombre croissant d'étudiants mauriciens inscrits dans des universités turques aura un impact positif sur l'interaction culturelle. De nombreux Mauriciens regardent des séries télévisées turques et les acteurs turcs sont très appréciés des Mauriciens. Les Mauriciens et les Turcs sont des fans de football. Les visites fréquentes de stars du football turc à Maurice donneraient un grand élan aux relations bilatérales."


- Les hommes koknis étaient reconnaissables à leur fez ottoman

Assad Bhuglah a également mentionné les nombreux commerçants musulmans qui sont venus sur l'île en plus des travailleurs indiens, contribuant ainsi au développement du commerce, ainsi que les Koknis qui ont été amenés à travailler dans le port de Port Louis pendant la période coloniale britannique.

"Les Koknis sont un clan vivant dans la région du Konkan, près de Bombay, sur la côte ouest de l'Inde. Leur lignée remonte aux marchands et aux marins arabes qui se sont installés sur la côte ouest de l'Inde", a affirmé Assad Bhuglah, précisant qu'ils passaient la plupart de leur temps en mer.

Assad Bhuglah a annoncé que les Britanniques utilisaient les Koknis pour travailler dans le port de Port Louis afin d'attacher et de détacher les navires, soulignant que ce processus, effectué manuellement à l'époque, était dangereux et entraînait des pertes humaines et matérielles au moindre accident.

"Le port ne pouvait être exploité sans la participation des Koknis. Ils étaient de fervents musulmans et vivaient de manière organisée. Ils étaient très sensibles à la cause ottomane. Lorsqu'ils travaillaient dans le port, ils rencontraient souvent les équipages des navires turco-ottomans qui transitaient par Port Louis. Grâce à ces contacts, ils sont au courant de ce qui se passe dans le monde musulman. Ils ont même créé un fonds à Maurice pour aider leurs frères turcs touchés par le tremblement de terre. Les hommes koknis étaient reconnaissables à leur fez ottoman", a-t-il confié en déclarant qu'il parle de cette communauté dans son livre intitulé "La diaspora kokni à Maurice".


- Les musulmans ont obtenu leurs droits en utilisant leur pouvoir politique

Tout en soulignant que les musulmans ont préservé leur patrimoine culturel et religieux en construisant des institutions telles que des mosquées, des madrasas et des fondations, Bhuglah a dit qu'ils avaient également utilisé leur pouvoir politique pour faire reconnaître leurs droits et que la loi mauricienne reconnaît les droits des musulmans à savoir construire des mosquées, pratiquer leur culte et à célébrer l'Aïd.

"Chaque vendredi, les fonctionnaires musulmans ont droit à une permission de deux heures pour assister à la prière du vendredi. L'arabe et l'ourdou sont enseignés comme matières optionnelles aux élèves musulmans dans les écoles primaires. Les musulmans disposent d'espaces spécifiques pour des programmes religieux spéciaux à la radio et à la télévision nationales. Aucune restriction n'est imposée aux musulmans qui portent leurs vêtements traditionnels. La nourriture halal est disponible sur le marché".

Selon Assad Bhuglah, qui fait remarquer que la société mauricienne était vieillissante, les migrations imposées par les conditions socio-économiques entraînent une détérioration de la structure de la société musulmane dans le pays.

Par ailleurs, il a indiqué que les musulmans mauriciens peuvent améliorer leurs liens avec d'autres musulmans en envoyant des étudiants dans des pays musulmans pour y suivre des études supérieures et en établissant des liens commerciaux avec leurs homologues dans ces pays.


- La contribution des musulmans a été ignorée

Assad Bhuglah a constaté des lacunes dans les livres et les articles consacrés à l'histoire de l'île Maurice.

"Les contributions des musulmans ont été ignorées. Cette situation m'a poussé à écrire sur l'histoire, la culture, les traditions et le folklore des musulmans mauriciens, les histoires non racontées et les héros méconnus", a-t-il évoqué.

En effet, Assad Bhuglah a expliqué que dans ses ouvrages, il se réfère à des documents conservés dans les archives et à la bibliothèque nationale, à des publications étrangères lorsqu'il manque des informations sur les sujets qu'il souhaite traiter, à des recherches effectuées en son nom par des amis vivant à l'étranger dans les archives de Paris, Londres et Istanbul, à des récits oraux, ainsi qu'à des documents précieux et à des photographies conservées par certaines familles.

Précisant qu'il a écrit 11 livres à ce jour et que tous, sauf un, portaient sur l'histoire sociale des musulmans à Maurice, sur des personnalités musulmanes influentes et sur le folklore et les traditions musulmanes, Assad Bhuglah souligne l'importance de transmettre des informations sur les valeurs culturelles des musulmans et sur leurs approches constructives des questions sociales dans une société multiculturelle.

Assad Bhuglah a déclaré que son dernier livre portait sur la présence musulmane à Rodrigues, une île de l'archipel mauricien, et qu'avant ce livre, personne n'avait prêté attention aux musulmans de l'île, alors qu'une poignée de familles musulmanes ont joué un rôle fondamental dans le développement de Rodrigues.

Affirmant que son livre décrit le rôle positif de ces premiers musulmans, Assad Bhuglah a expliqué : "Au cours de mon inspection et de mes recherches à Rodrigues, j'ai découvert la présence d'un canon ottoman devant la porte principale du Bureau régional de Rodrigues. Ce canon a été placé à cet endroit par les colonialistes britanniques et y est resté pendant plus de 100 ans. Sur le canon, figure le monogramme du sultan Abdul Hamid II, qui n'a pas été reconnu jusqu'à aujourd'hui. L'artiste mauritanienne Nasreen Banu Ahseek a réinterprété le monogramme sur la couverture de mon livre afin de mettre en valeur cet héritage ottoman et d'en accroître la visibilité. Lors de la présentation de mon livre, j'ai été surpris de voir les acteurs turcs Celal Al et Ahmet Kemal Oncu honorer l'événement de leur présence et nous offrir une tughra symbolique."


- Les musulmans font partie intégrante de la nation mauricienne

"Je veux que les lecteurs comprennent que les musulmans font partie intégrante de la nation mauricienne, qu'ils sont travailleurs et épris de paix, et qu'ils contribuent, avec d'autres communautés, à l'édification nationale de la diversité mauricienne", a déclaré Assad Bhuglah.

Enfin, à propos de son nouveau travail, il a conclu : "Je suis actuellement en train d'assister le vice-premier ministre de Maurice, le Dr Anwar Husnoo, dans la conception et la construction d'un monument pour commémorer l'arrivée des premiers musulmans à Maurice. Je travaille également sur mon prochain livre, qui se concentrera sur la présence musulmane à Madagascar".


* Traduit du turc par Nursena Karakaya

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