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Le président pakistanais exhorte les Taliban à suivre l'exemple de Nelson Mandela, à pardonner et à accorder l'amnistie

- Dans une interview exclusive, le président pakistanais Arif Alvi déclare à l'Agence Anadolu que la Turquie et le Pakistan se doivent de privilégier les principes plutôt que les intérêts particuliers en matière de politique internationale

Handan Kazancı  | 17.08.2021 - Mıse À Jour : 17.08.2021
Le président pakistanais exhorte les Taliban à suivre l'exemple de Nelson Mandela, à pardonner et à accorder l'amnistie

Istanbul

AA / Istanbul / Mehmet Ozturk

Grâce à de solides liens culturels et historiques, le Pakistan et la Turquie ont un grand potentiel de coopération dans de nombreux domaines, selon le président pakistanais.

Arif Alvi était dans la métropole turque d'Istanbul lorsque le premier navire corvette construit en Turquie pour la marine pakistanaise, baptisé PNS Babur, a été mis à l'eau lors d'une cérémonie organisée dimanche.

L'Agence Anadolu s'est entretenue de divers sujets avec le chef d'État pakistanais, notamment des relations bilatérales, de la situation en Afghanistan (avant la chute dramatique de la capitale Kaboul dimanche) et des liens avec l'Inde, entre autres thèmes.

(Cette interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté. Extraits) :

Agence Anadolu :

Le Pakistan et la Turquie entretiennent d'étroites relations tant culturelles, historiques que militaires. Quelles sont les nouvelles perspectives et les moyens disponibles pour les développer et approfondir les liens économiques et stratégiques entre les deux pays ?

ALVI :

Je pense que l'opportunité est importante. Je pense que le monde change très rapidement, il y a de nouveaux clivages et les changements sont énormes. Par conséquent, le Pakistan et la Turquie disposent d'un grand potentiel dans plusieurs domaines.

La communauté internationale est depuis longtemps un ensemble où les intérêts particuliers l'emportent sur les principes, comme au Cachemire, à Chypre ou dans le Haut-Karabakh.

Ainsi, dans ce genre de situation, les économies émergentes comme la Turquie et le Pakistan ont toujours la possibilité de se tourner vers une approche où les valeurs morales sont bien plus importantes que les intérêts particuliers.

Les possibilités de coopération entre le Pakistan et la Turquie sont énormes. Les dirigeants du Pakistan et de la Turquie font pour la première fois comprendre au monde que ce genre de réaction islamophobe divise les peuples, et les possibilités sont donc énormes.

Q :

Sur le plan économique, bien que les deux pays aient fixé l'objectif de 5 milliards de dollars de volume d'échanges économiques pour 2023, ils semblent très en retard par rapport à ce but. Comment analysez-vous cette situation ?

ALVI :

J'ai eu hier une longue discussion avec le président (Recep Tayyip) Erdogan et nous sommes tous deux très préoccupés que cette intensification des échanges économiques ait du mal à se produire. Des groupes de réflexion, tant au sein du ministère du commerce au Pakistan que de son homologue turc, étudient actuellement des problématiques spécifiques.

Il y a, par exemple, de bons investissements turcs au Pakistan. Il y a un certain nombre de questions comme la coopération dans le secteur des minéraux et du granit, et la Turquie possède une bonne expertise qui lui permet d'y apporter sa contribution. Le succès de ces investissements devrait être le point de mire des milieux d'affaires turcs et pakistanais. Dans de nombreux autres domaines, par exemple, les produits fabriqués au Pakistan avec la collaboration de la Turquie sont exportés vers l'Afrique.

Le potentiel du commerce entre les deux pays devrait être atteint pour aboutir aux 5 milliards de dollars qui ont été promis. Le fait que le monde soit en train de rétrécir, et de devenir plus protectionniste - cela signifie que si des frères comme le Pakistan et la Turquie collaborent, leurs propres économies prospéreront. Nous sommes en outre autonomes, par exemple en matière de défense, et plus nous partageons les uns avec les autres, plus important sera le développement économique et la prospérité de nos peuples. C'est donc un domaine très important, qui devrait, avec un regain de vigueur et de volonté entre la Turquie et le Pakistan, permettre des progrès considérables.

Q :

S'agissant des industries de la Défense, comment la coopération Turquie-Pakistan peut-elle progresser, à quel type d'initiatives ambitieuses pouvons-nous nous attendre ?

ALVI :

Nous sommes actuellement concentrés sur les hélicoptères T129 ATAK. Nous étudions également le développement de sous-marins, ainsi que le développement conjoint d'avions de cinquième génération, qui constituent un domaine de coopération très important.

Nous envisageons une coopération dans le domaine des véhicules aériens sans pilote (drones), qui est très important pour l'économie. La Turquie et le Pakistan poursuivent donc leur coopération en matière d'intelligence artificielle et de cyberdéfense. Nous ne sommes pas des pays offensifs. Le Pakistan et la Turquie sont des pays pacifiques qui se défendent.

Je pense donc que la Turquie et le Pakistan ont un grand potentiel dans ces domaines, qui relèvent des technologies émergentes. Nous pouvons ainsi rejoindre plus rapidement cette quatrième révolution industrielle, qui est en train de se produire. Avec la détermination et la coopération du Pakistan et de la Turquie, nous pouvons rapidement rejoindre le peloton de tête de cette course et réaliser ainsi de plus importants progrès économiques.

Q :

Le premier ministre et le Chef des armées pakistanais ont souvent appelé à passer de la géopolitique à la géoéconomie. Qu'est-ce que cela signifie ?

ALVI :

Il s'agit d'un changement majeur de politique. Au cours des 15 à 20 dernières années, le gouvernement chinois a conçu et mis en œuvre la stratégie dite "la Ceinture et la Route" (One Belt One Road) pour l'ensemble de son programme de développement avec d'autres pays.

Le Pakistan est également situé au centre des échanges économiques. La route des pays d'Asie centrale, en ce qui concerne le commerce, est beaucoup plus courte lorsqu'il s'agit des transports maritimes. La route depuis les parties occidentales de la Chine pour exporter des marchandises est beaucoup plus courte, elle ne fait que 2 414 kilomètres entre les parties occidentales de la Chine et le Pakistan, alors que si l'on passe par la partie orientale de la Chine et que l'on se dirige vers les voies navigables de ce côté-là, il faut compter entre 8 046 et 9 656 kilomètres.

Ainsi, pour les pays d'Asie centrale, pour la Chine, pour l'Afghanistan, pour le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan, tout le monde est concerné par le fait que ce pôle géoéconomique, que le Pakistan aspire à être aujourd'hui, est très important pour le développement du commerce. Et plus le commerce se développe, plus les populations se rapprochent les unes des autres, plus la prospérité s'accroît, ce qui supplante les sensibilités des uns et des autres.

Par voie de conséquence, quoi qu'il se passe en Afghanistan, les gens réalisent qu'il est grand temps, après 40 ans de misère, d'en sortir pacifiquement, et l'Afghanistan fait également partie de cette route commerciale.

Q :

Peut-on s'attendre à la paix en Afghanistan dans les prochains jours ?


ALVI : 

J'ai de l'espoir. Le Pakistan est optimiste.

Le Pakistan a toujours eu une attitude pacifique. Le Pakistan a toujours eu une approche positive, au cours des 40 dernières années. Tout d'abord, il a toujours soutenu que l'invasion soviétique de l'Afghanistan (en 1979) n'aurait pas dû avoir lieu. Ensuite, lorsque les Soviétiques sont partis en 1989, nous avons été laissés seuls pour gérer le désordre laissé derrière eux.

Nous avons entretenu de bonnes relations avec l'Afghanistan, puis lorsque les Américains sont arrivés, le Pakistan a continué à soutenir que la guerre n'était pas une solution.

Imaginez donc un instant que dans tout ce scénario, dans tout ce monde, il n'y ait qu'une seule voix, la même que celle du Pakistan, pour dire que la guerre n'est pas une solution.

Si des pays viennent de réaliser cela, après avoir dépensé des milliards et des milliards de dollars et causé des centaines de milliers de morts - le Pakistan a également déploré plus de 100 000 victimes et perdu des milliards de dollars - le Pakistan peut très légitimement prétendre à ce que le monde nous écoute, car c'est cela la paix.

Q :

Quel type de responsabilités communes la Turquie et le Pakistan peuvent-ils assumer pour apporter la paix et la stabilité en Afghanistan ?

ALVI :

Nous attendons tous les deux, ainsi que les autres pays de la région, que les choses se calment, que la situation se dessine, de savoir qui représentera le peuple afghan et à qui parler.

Ce n'est qu'une question de jours. Nous pensions que cela prendrait six ou sept mois, les meilleurs experts qui ont dépensé tant de milliards de dollars en Afghanistan nous ont dit que cela prendrait six mois. Et tout le monde a été pris de court parce que le monde n'a pas compris ce que le Pakistan affirmait depuis le début. Ils ont alors commencé à faire du Pakistan un bouc émissaire, à dire que le Pakistan était responsable de la situation.

Grâce à la coopération des Afghans entre eux, je peux dire qu'à l'heure actuelle, je n'ai pas entendu parler de véritables effusions de sang. Nous sommes les héritiers de la tradition de l’Oumma. Le Solh al-Hodaybiya (accord de paix de Hodaybiya) en est le plus grand exemple. Je disais aux Taliban, si vous gagnez du terrain en Afghanistan, accordez le pardon, accordez l'amnistie comme Nelson Mandela l'a récemment fait afin d'unifier l'Afrique du Sud... J'ai de l'espoir.


Q :
La série télévisée historique turque Dirilis : Ertugrul a été suivie avec enthousiasme au Pakistan. Après le succès de cette série, les deux pays ont lancé conjointement le projet d'une nouvelle série, Turk Lala, qui raconte l'histoire d'Abdur Rehman Peshawari, l'un des tout premiers reporters de l'Agence Anadolu à sa création au début des années 1920. Comment percevez-vous cela ?

ALVI :

(Cette série) cimente la relation entre la Turquie et le Pakistan, qui date d'avant même la création du Pakistan. Elle remonte au moins aux années 1880 et retrace l'Histoire, celle de l'oumma (communauté) musulmane, qui a été un lien extraordinaire. C'est le mouvement Khilafat ("khilafat Movement") qui est à l'origine du Pakistan. Et je pense que la nouvelle génération devrait s'en souvenir. C'est la plus grande coopération qu'un peuple du monde ait établie avec la Turquie dans cette région du globe.

Il y a donc d'autres choses qui se passent avec Ertugrul et (le poète turc du 13e-14e siècle) Yunus Emre, ainsi que ce projet, qui est en train de voir le jour, les peuples, les musulmans sont en quête d'une Histoire et d’un passé pacifiques. Et lorsqu'ils sont fiers de ce passé pacifique, ils développent un avenir qui est également pacifique.

L'ascension des musulmans se produit lorsque les gens acquièrent la conviction et l'espoir. Ils regardent ces projets, ces monuments, dont certains sont des monuments qui existent, par exemple, à Istanbul, ou dans le monde musulman, et d'autres sont des monuments et des personnalités ayant existé dans le passé.

Lorsque les musulmans s'identifieront à cela, ils connaîtront alors une renaissance. C'est pourquoi le Pakistan et la Turquie sont les deux leaders du monde musulman qui observent l'Occident, lui expliquent les choses, tentent de lui faire comprendre que l'islamophobie est extrêmement néfaste, que les problèmes du monde musulman doivent être abordés, en tentant de dire à la communauté internationale, par exemple, que la question du Cachemire est un problème qui s'envenime.

Ce qui se passe en Inde est comparable à ce qui s'est passé en Europe, lorsque vous isolez une population, comme les musulmans, toutes les minorités - pas seulement les musulmans- toutes les minorités sont très mal traitées en Inde. Ils essaient de réécrire leur Histoire.

Alors que nous contemplons un passé, une belle Histoire de règne pacifique dans le monde, ils essaient de réécrire l'Histoire et de créer des divisions au sein de leurs communautés et de leur peuple.

Le Pakistan est donc conscient de ces choses. Pourquoi ? Parce que lorsque les problèmes ne sont pas réglés équitablement, nous souffrons. Si l'Inde connaît des troubles avec son commerce, en essayant de se construire, elle nous blâmera. Le Cachemire est une situation qui s'envenime et que la communauté internationale n'aurait pas dû laisser perdurer.

C'est là que le Pakistan et la Turquie ont un grand rôle à jouer, celui d'apporter une certaine morale au sein des Nations unies, notamment en ce qui concerne les décisions prises sur des questions pacifiques comme celles du Cachemire et de Chypre. Et c'est là, je pense, que se trouve le potentiel de notre leadership.


Q : 
Notre dernière question concerne les relations entre le Pakistan et l'Inde. Après un cessez-le-feu le long de la ligne de contrôle (LoC) en février, il n'y a aucun progrès dans les relations entre le Pakistan et l'Inde. Des pourparlers par voie détournée auraient pourtant été engagés. Quel est l'état d'avancement de ces discussions ? Ce point est crucial car le Cachemire constitue un véritable enjeu.

ALVI : 
L'Inde est une nation belliqueuse, qui ne saisit pas le sens d'un avenir marqué par la paix. Elle a des problèmes avec des pays comme le Sri Lanka, le Népal, la Chine, et a aujourd'hui des problèmes avec sa propre population. Elle divise son propre peuple, et tente de réécrire l'histoire.

Nous avons averti la communauté internationale que ces comportements pouvaient mener au génocide. Lorsque vous isolez des populations, lorsque vous les traitez comme des citoyens de rang inférieur... Ces catégories de lois sont immorales, il s'agit d'apartheid.

L'Inde a introduit des lois sur la citoyenneté et tente également de modifier la démographie du Cachemire. Mais cela conduira-t-il à la paix et à la prospérité ? Absolument pas.

Si vous vous rendez du côté pakistanais du Cachemire, vous constaterez que la paix y règne aujourd'hui. Il y a même une ligue de cricket. Mais du côté indien, ils ne permettent même pas aux journalistes de couvrir quoi que ce soit. Ils empêchent toute inspection de l'ONU.

Ils ne permettent pas que des images de leurs atrocités soient diffusées. Je pense donc que la situation est déplorable, mais nous voulons aussi inciter la communauté internationale à porter son attention sur le Cachemire.

La Turquie nous a bien soutenus, elle a parfaitement saisi le principe et le peuple turc l'a bien compris. (Si) une autre image venait à être véhiculée, le peuple turc ne l'accepterait pas.

Le Pakistan a soulevé cette question à maintes reprises. Et, bien que l'Inde, dès son accession pour une courte période à la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU, avait affirmé que le Cachemire faisait partie intégrante de l'Inde ; Cette affirmation a été rejetée par le secrétaire général de l'ONU.

Je félicite la Turquie et l'Azerbaïdjan d'avoir résolu un problème sur lequel les médias et la communauté internationale avaient fermé les yeux (dans le Haut-Karabakh). Nous espérons que la question de Chypre du Nord connaîtra également un règlement.

Les peuples s'unissent donc, les gouvernements s'unissent ensuite, les peuples du Pakistan et de la Turquie sont tellement unis sur cette question, que toute tentative de propagande de l'Inde est vouée à l'échec. On a récemment vu en Europe de fausses entreprises être créées, etc. Le monde sait que de fausses nouvelles ont été propagées récemment par Pegasus, qui a entrepris d'écouter et d'espionner tous les pays.

C'est une situation totalement dénuée de respect. L'Inde devrait apprendre à vivre au sein de la communauté internationale en respectant les principes établis par les Nations Unies, et non pas en agissant comme un paria. C'est donc un pays très étrange et le monde devrait en être informé.


Q :

Existe-t-il une diplomatie indirecte avec l'Inde ?

ALVI :

Je ne pense pas... Premièrement, la question du Cachemire s'envenime à cause des promesses faites au moment de la partition. Le Cachemire était exclu de cette promesse, puisque celle-ci prévoyait que les Etats à majorité musulmane iraient au Pakistan et que ceux qui sont hindous iraient en Inde, or le sort du Cachemire n'a pas été décidé sur ces bases. Voilà pourquoi nous sommes actuellement dans cette situation déplorable.

Le Pakistan a donc pris la décision de rejeter l'article 370 de la Constitution indienne, avec lequel nous ne sommes pas d'accord - le Cachemire n'aurait jamais dû être mentionné dans la Constitution indienne et aurait dû faire partie du Pakistan.

Il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait d'une promesse faite au peuple cachemiri, l'article 35A, une promesse faite au peuple cachemiri qui a été finalement bien déçu. Donc je pense que si l'Inde ne revient pas sur ces points, le Pakistan ne reprendra aucun dialogue à ce sujet.

Nous ne pouvons pas négocier le malheur d'un peuple. Ce n'est pas concevable. Le Pakistan est un pays de principe, il ne négociera jamais. Nous ne négocierons jamais sur la question de Chypre, nous ne négocierons jamais sur la question du Cachemire.

*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj

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