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Le Corridor médian se développe rapidement et place la Türkiye au cœur du transport eurasien

- De nouvelles liaisons ferroviaires, l'élargissement des traversées de la mer Caspienne et le terminal Railport en Türkiye accélèrent les flux de marchandises à travers le Corridor médian, remodelant la dynamique des transports Est-Ouest

Sibel Morrow  | 12.12.2025 - Mıse À Jour : 12.12.2025
Le Corridor médian se développe rapidement et place la Türkiye au cœur du transport eurasien

Istanbul

AA / Istanbul / Sibel Morrow

Alors que les chaînes d'approvisionnement mondiales s'éloignent des itinéraires dépendant de la Russie et des goulots d'étranglement maritimes saturés, le « Corridor médian », qui s'étend de la Chine à l'Europe via l'Asie centrale et la Türkiye, s'impose comme une artère commerciale majeure de l'Eurasie, renforçant le rôle de la Türkiye en tant que plaque tournante centrale reliant l'Est et l'Ouest.

Le corridor part de la province chinoise de Lianyungang, traverse le Kazakhstan, la mer Caspienne, l'Azerbaïdjan et la Géorgie avant d'atteindre la Türkiye. Il est de plus en plus perçu comme une alternative aux routes dépendant de la Russie et aux voies maritimes traditionnelles, confrontées à la hausse des coûts et aux pressions sécuritaires.

La coordination institutionnelle s'est accélérée après un accord conclu en 2013 entre le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et la Géorgie, la Chine ayant rejoint le cadre par la suite. L'achèvement du chemin de fer transkazakh et le lancement en 2017 de la ligne Bakou-Tbilissi-Kars ont permis un transport ferroviaire ininterrompu de la Chine vers l'Europe. Parallèlement, le corridor de Zangezur, longtemps débattu et reliant l'Azerbaïdjan continental au Nakhitchevan via l'Arménie, reste en cours de négociation mais pourrait rationaliser davantage la connectivité transcaspienne vers la Türkiye.

Hausse des volumes de fret et réduction des temps de transit

Un rapport du Boston Consulting Group publié en novembre a noté que les voies commerciales mondiales sont en cours de restructuration face aux risques croissants en mer Rouge (canal de Suez) et aux pressions géopolitiques sur les routes russes. Les volumes de fret transportés via le Corridor médian ont bondi de 62 % en 2024 pour atteindre 4,5 millions de tonnes et devraient atteindre 5,2 millions de tonnes d'ici la fin de l'année.

Le gain de temps de transit constitue l'un des plus grands avantages du corridor. Alors que les routes Chine-Europe via la Russie prennent aujourd'hui 20 à 25 jours, et que les options maritimes s'étendent sur 35 à 45 jours, le Corridor médian affiche une moyenne d'environ 18 jours. Les experts estiment qu'une harmonisation accrue des douanes, une capacité Ro-Ro (navires rouliers) élargie sur la Caspienne et une utilisation optimale de l'infrastructure ferroviaire pourraient réduire ce délai à 14 jours.

La Türkiye étend sa capacité intermodale

L'accord de partenariat stratégique signé par l'Azerbaïdjan et la Chine en octobre est considéré comme une étape critique pour la montée en puissance du Corridor médian, engageant les deux parties à une coordination plus étroite sur les douanes, la logistique et l'infrastructure multimodale afin d'accélérer les mouvements de marchandises.

Le rôle stratégique de la Türkiye est devenu plus visible avec le départ, en novembre, du premier train depuis le nouveau terminal intermodal « Railport » dans la province de Kocaeli (nord-ouest). Une fois pleinement opérationnel, Railport traitera annuellement 360 000 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds), 1,5 million de tonnes de marchandises diverses et 125 000 remorques, réduisant considérablement les temps de transfert entre l'Europe et l'Asie.

La Türkiye, le Kazakhstan et des partenaires du secteur privé ont signé un protocole d'accord pour étendre les opérations Ro-Ro multipartites sur la mer Caspienne afin de soulager les goulots d'étranglement. Des extensions portuaires à Aktau, Kuryk et Bakou sont également en cours. L'UE a qualifié le corridor d'« alternative stratégique » pour l'Europe, avec une capacité projetée à 11 millions de tonnes d'ici 2030, sous réserve de la résolution de problèmes tels que les différences d'écartement des rails et les procédures frontalières.

La géographie turque transformée en puissance stratégique

Ergun Ariburnu, président d'OMSAN Logistics, estime que la mutation des chaînes d'approvisionnement mondiales amplifie l'importance du corridor et transforme la Türkiye d'un simple « pays de transit » en un « hub logistique à part entière ».

« Le plus grand atout de la Türkiye est sa géographie unique », a déclaré Ariburnu à Anadolu. « Sa position à l'intersection de l'Europe, de l'Asie, du Moyen-Orient, du Caucase et de l'Afrique du Nord en fait un carrefour naturel pour le commerce et la logistique. »

Selon lui, cet avantage a évolué d'une réalité cartographique vers « une puissance stratégique » qui affecte directement les flux énergétiques, le commerce et les coûts de fret. « Ces dernières années, l'expansion des infrastructures de transport multimodal a fait de la Türkiye un hub critique sur les axes Est-Ouest et Nord-Sud », a-t-il ajouté.

« Parallèlement, la solide base industrielle et manufacturière de la Türkiye permet non seulement un trafic de transit, mais aussi un flux commercial durable et bidirectionnel. La Türkiye s'oriente résolument vers un statut non plus seulement de pays de passage des marchandises, mais de pays qui façonne activement le Corridor médian lui-même. »

Ariburnu a souligné que la numérisation complète de la route, permettant un suivi en temps réel, des procédures douanières unifiées et des systèmes de réservation intégrés, réduirait l'incertitude et les inefficacités.

La Türkiye comme acteur normatif

Ariburnu a noté qu'avec l'accélération des changements géopolitiques, la logistique n'est plus seulement une question de transport, mais un levier économique et sécuritaire stratégique.

Il préconise que la Türkiye renforce son avantage logistique en « soutenant les investissements dans les infrastructures stratégiques, en augmentant la part du transport ferroviaire et en renforçant l'intégration port-rail ».

« La Türkiye ne doit pas être un simple participant, mais un acteur qui fixe les normes et définit l'agenda dans des projets tels que le Corridor médian, la Route du Développement et le Corridor de Zangezur », a-t-il ajouté.

Une « voie viable et indépendante » pour l'Asie centrale

Eric Rudenshiold, chercheur principal pour les affaires du Caucase au Caspian Policy Center, a affirmé que le Corridor médian est devenu « l'une des routes commerciales les plus stratégiquement significatives du XXIe siècle », car il offre à l'Asie centrale et au Caucase du Sud « une voie viable et indépendante vers les marchés mondiaux, qui ne passe ni par la Russie ni par la Chine ».

Il a rappelé que les économies enclavées de la région dépendaient depuis longtemps des liaisons de transport via la Russie ou la Chine, les exposant à des pressions politiques, une tarification opaque et un accès limité aux marchés occidentaux.

« Depuis l'imposition de vastes sanctions internationales contre la Russie après sa seconde invasion de l'Ukraine, les routes d'exportation russes sont devenues économiquement restrictives et politiquement risquées. Le Corridor médian est une initiative locale visant à relier les pays d'Asie centrale à travers la mer Caspienne à l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Türkiye et bientôt l'Arménie, via un passage alternatif à la fois isolé des sanctions et géopolitiquement plus stable », a expliqué Rudenshiold.

Selon lui, le corridor offre aux pays de la région une véritable souveraineté économique, leur permettant de contourner les « intermédiaires » qui contrôlaient jadis le transit et les prix.

Le rôle indispensable de la Türkiye

Pour Rudenshiold, les capacités industrielles et logistiques de la Türkiye, liées à la capacité de production de l'Asie centrale, positionnent la région élargie comme un nœud de plus en plus important des chaînes d'approvisionnement mondiales.

« Située au terminus occidental du Corridor médian et agissant à la fois comme une puissance régionale et un membre de l'OTAN, la Türkiye fournit la stabilité politique, l'infrastructure et l'accès au marché nécessaires », a-t-il déclaré.

Soulignant les ports, les chemins de fer et les terminaux énergétiques turcs, Rudenshiold a ajouté : « La Türkiye devient non seulement un point de transit, mais un partenaire économique central qui façonne la prochaine phase de la connectivité eurasienne. »

Il a ajouté que l'initiative américaine proposée, la "Trump Route for International Peace and Prosperity" (TRIPP), pourrait intégrer plus profondément le Caucase du Sud dans le Corridor médian. Pour renforcer sa position le long de l'épine dorsale logistique de l'Eurasie, la Türkiye devrait se concentrer sur l'harmonisation des procédures douanières et l'intégration des plateformes commerciales numériques, a conclu l'expert.

* Traduit de l'anglais par Mariem Njeh

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