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La Palestine et la CPI : Le chemin de la « Justice » est semé d’embûches (Analyse)

- La Cour Pénale Internationale avait annoncé l'ouverture d'une enquête sur des crimes de guerre commis dans les Territoires palestiniens occupés.

Fatma Bendhaou  | 05.03.2021 - Mıse À Jour : 19.03.2021
La Palestine et la CPI : Le chemin de la « Justice » est semé d’embûches (Analyse)

Ramallah

AA / Ramallah (Cisjordanie occupée) / Qays Abu Samra

L'Autorité palestinienne a salué et exprimé sa joie après la déacision prise par la Cour Pénale Internationale (CPI) de diligenter une enquête sur des crimes de guerre qui auraient été commis dans les Territoires occupés.

Toutefois, des spécialistes du droit international estiment que le chemin de la réalisation de la justice sur la scène internationale n'est pas pavé de fleurs. Bien au contraire, de nombreux obstacles se dressent sur cette voie et sont de nature à entraver la réalisation de la justice.

Mercredi, la CPI avait annoncé l'ouverture d'une enquête sur des crimes de guerre commis dans les Territoires palestiniens occupés.

Selon un communiqué rendu public par le Bureau de la procureure générale, Fatou Bensouda, « l’enquête couvrira les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour, qui auraient été commis depuis le 13 juin 2014 ».


Le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a salué la décision, indiquant que « l'ouverture d'une enquête prouve le respect par la CPI de son mandat et de son indépendance ».

En revanche, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a rejeté cette décision qui, selon lui, constitue « l'essence même de l’hypocrisie et de l'antisémitisme », accusant la CPI d'avoir « un flagrant parti-pris contre Israël ».

Dans le même contexte, les Etats-Unis d'Amérique ont dénoncé la décision de la Cour, annonçant par la voix du porte-parole du Département d'Etat, Ned Price, leur hostilité farouche à cette décision.

En 2018, la Palestine avait déposé une requête de renvoi auprès de la CPI, constituant un dossier des crimes israéliens, focalisant sur trois questions. Il s'agit de la colonisation, des prisonniers et de l'agression contre Gaza, avec leur lot de violations perpétrées contre les « Marches du retour ».


La CPI a publié, le 5 février écoulé, une décision qui prévoit que la Cour (qui siège à La Haye) a un mandat juridique sur les Territoires palestiniens occupés en 1967, en l'occurrence la Bande de Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-est.

Une décision historique


Le ministre palestinien de la Justice, Mohammad Al-Shalaldeh, a qualifié la décision de la CPI « d’historique et d'une mesure sur la voie de la reddition de comptes par Israël pour ses crimes ».

Dans une déclaration exclusive accordée à Anadolu, le ministre a souligné que cette décision « signifie, d’un point de vue juridique, que les conditions de l’enquête sont réunies, et nous assisterons à la reddition de comptes par Israël ».

Il a ajouté que la CPI procédera à l'examen de plusieurs dossiers des plus sensibles, en l'occurrence, les dossiers des prisonniers, de la colonisation et de la guerre contre la Bande de Gaza.

L'étape préliminaire, a-t-il dit, consiste à « classifier les crimes, puis d'adresser un chef d'accusation contre les individus responsables, soit ceux qui ont planifié, validé et exécuté ainsi que ceux qui étaient tenus informés de ces crimes ».


Cela pourrait même, a-t-il estimé, « atteindre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, le ministre de la Défense, les officiers et les soldats ».

Al-Shalaldeh a appelé « les pays du monde entier à coopérer avec la Cour, en appuyant et en facilitant le déroulement de l'enquête ».


Le ministre palestinien a estimé « peu probable » que la Cour soit impactée par les pressions politiques qu’exerceront Israël et les Etats-Unis d'Amérique.


La Cour est une instance juridictionnelle indépendante et les juges ne représentent qu’eux-mêmes et non pas leurs pays, a-t-il indiqué dans ce cadre.


Le ministre a affirmé que « La Palestine ne sera pas affectée par aucune pression politique pour se rétracter et retirer la plainte qu'elle avait déposée ».


Dans le même ordre d'idées, Cha’wan Jabbarin, Directeur de la Fondation « al-Haq » (non-gouvernemental), a fait part de son optimisme quant à la réussite de la Cour à sanctionner les criminels de guerre israéliens.


Dans une déclaration à AA, Jabbarin a relevé que « la décision en question signifie que nous sommes sortis de la phase du débat procédural et juridique, pour s'engager dans des mesures concrètes, soit le début de l’enquête qui sera suivie par la délivrance d’un mandat d'amener ».


« Inéluctablement, cette décision aboutira à ce que nous verrons des responsables de ces crimes derrière les barreaux. Quand? Je ne pourrais répondre à cette question mais, c'est sur quoi nous allons travailler même si la question nécessitera des mois, voire des années », a-t-il ajouté.


Jabbarin a relevé que « ce processus prendra beaucoup de temps et certains pays s'emploient à influer le déroulement de l'enquête ».
« C'est la raison pour laquelle l'Etat de la Palestine doit être entièrement disposé à toute requête de la CPI pour fournir des informations précises, rigoureuse et détaillées », a-t-il averti.

De nombreux écueils se dressent sur le chemin de la Cour

A l'opposé, Hanna Aissa, professeur de droit international à l'Université de Bir Zit (proche de Ramallah) paraît peu optimiste de voir l'action de la Cour couronnée de succès.

Aissa a déclaré à AA qu'on dépit de l'importance de la décision, il n'en demeure pas moins qu'elle fera face à de nombreux obstacles et cela nécessitera beaucoup de temps.


« Soyons plus conscients ...Cette procédure prendra des années et plusieurs facteurs pourraient entraver l’enquête » a-t-il dit.


Parmi ces entraves, selon Aissa, figure le fait qu’Israël n'est pas membre de la CPI donc ne collaborera pas avec la Cour, à l’instar de plusieurs pays influents qui refusent qu’Israël soit jugé ».


A titre d'exemple, a-t-il dit, « 40% du financement de la CPI provient de dons allemands. Berlin acceptera-t-elle un procès contre Israël? Evidemment non ».

Il a ajouté que « le nouveau procureur général de la Cour, Kasrim Khan, est de nationalité britannique et le Royaume-Uni rejette, à son tour, toute tentative de juger Israël et cela aura, sans doute, un impact sur Khan ».
Le mandat de Bensouda prendra fin à la mi-juin prochain et le nouveau procureur général Karim Khan sera officiellement investi à cette date.

Aissa a ajouté que « l'Autorité palestinienne est prête à engager des négociations politiques avec Israël », s’interrogeant à ce propos : « Comment Israël accepterait-il de mener des pourparlers tout en étant jugé ? ».


Aissa s'est dit convaincu qu’Israël fera face à cette décision « en resserrant l'étau davantage autour des Palestiniens ».

Le spécialiste en droit international a relevé, dans ce contexte, qu’Israël pourrait recourir à suspendre ou à réduire le transfert des fonds d'impôts collectés en faveur du gouvernement palestinien, au niveau des points de passage, ce qui pourrait aboutir à une détérioration des conditions de vie et de la situation économique.

Il a ajouté « qu’Israël dispose également de plusieurs outils qui seront mis en œuvre pour punir les Palestiniens. Il s'agit, entre autres, d’interdire les dirigeants palestiniens de voyager ».
« Certes, la CPI est une instance juridictionnelle mais son fondement et son essence est éminemment politique », a-t-il poursuivi.


Il a tenu, également, à préciser que « le Conseil de sécurité est en mesure de réclamer un report d’une année du procès, et de proroger ce report pendant sept années ».
Aissa a indiqué que « la décision sera suivie par plusieurs autres, notamment celle des juges de première instance qui auront à décider de poursuivre ou de clore le dossier, ou encore d'examiner les plaintes et requêtes ».


Aissa a conclu son intervention en soulignant : « tout au long de l'histoire, seuls les pays vaincus ont été jugés ... Ce n'est encore pas le cas d'Israël ».

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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