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La France tremble... Le ver dans le fruit !

- Plus qu'une explosion de colère, la mort du jeune Nahel a mis à nu une vérité; la France est en mal d'équilibres, de justice et de paix sociale. La divergence des réactions et des approches le confirme...

Slah Grichi  | 05.07.2023 - Mıse À Jour : 10.07.2023
La France tremble... Le ver dans le fruit !

Tunisia


AA / Tunis / Slah Grichi (**)


Après six jours et cinq nuits d'un débordement d'une rare violence qui a fait trembler l'Hexagone, depuis la mort de Nahel, le jeune Franco-Algérien, abattu le mardi 27 juin, par une balle tirée au thorax par un motard de la police qui, selon lui, "voulait l'empêcher de reprendre la fuite et redoutait qu'il le fauche avec sa voiture" qui était à l'arrêt. On enregistrait une soudaine et nette décrue dès dimanche soir, comme pour accueillir l'arrivée, du Pays basque espagnol à Bayonne, des coureurs cyclistes du Tour de France. Une compétition majeure sur l'échiquier sportif, touristique et économique que les organisateurs et les autorités craignaient de se trouver dans l'obligation de suspendre, voire d'annuler.

C'est que si la course traverse la France, pendant près de deux semaines, du sud-ouest jusqu'à Paris, les émeutes s'étalaient, elles, sur pratiquement l'ensemble du territoire; des petites agglomérations jusqu'au cœur des grandes villes, en passant par les banlieues, qu'elles soient cossues ou pauvres.


- Des dégâts énormes


Par dizaines ici, centaines là-bas, milliers ailleurs, des jeunes dont la moyenne d'âge ne dépasse pas les 17 ans, avec des enfants de 13 et un peu plus, s'attaquaient dans un déchaînement inouï et sans discernement aucun, à tout ce qui était sur le chemin. Petit commerce de proximité ou grande surface, simple bureau de tabac de banlieue ou enseigne de luxe sur une artère huppée d'une métropole, modestes voitures ou grosses berlines...tout était bon à saccager, à piller et à incendier. Une fureur aveugle qui les poussait à s'en prendre même aux services et aux structures qui sont destinés à rendre le quotidien, surtout des démunis, plus supportable, comme les transports publics, les espaces de sport, les gymnases ou les locaux de mairies dans des communes "pauvres". De l'inconscience qui frôlait le masochisme, étant majoritairement eux-mêmes issus de banlieues et de quartiers déshérités, habités pour l'essentiel par d'anciens ou de nouveaux immigrés.

Toujours est-il que les dégâts qu'ils ont causés en milieu urbain uniquement, sont estimés à plus d'un milliard d'euros, d'après Geoffroy Roux, le patron du "Mouvement des entreprises de France " (MEDEF), le syndicat patronal le plus influent, sans compter les répercussions sur le secteur du tourisme, où les annulations des réservations dans les hôtels de la région parisienne ont dépassé les 10%, avec un pic de 25% pour les établissements haut de gamme. Enorme manque à gagner pour la première destination mondiale. Il dénombre ainsi 200 commerces pillés, 300 agences bancaires détruites et 250 bureaux de tabac saccagés. On parle même de 40 voitures volées de chez un concessionnaire. Les mouvements de colère devaient bien profiter à des "spécialistes".

Pour les pertes des transports publics en Île-de-France seulement (en véhicules et en équipements brûlés ou détériorés), elles sont provisoirement évaluées à plus de 20 millions d'euros.

Les 45 000 mille policiers et gendarmes qui étaient mobilisés et qui, à l'évidence, avaient consigne de contenir cette furie destructrice, en évitant le contact et l'affrontement direct, n'ont pu que limiter les dégâts. Ils auront quand même arrêté près de 4000 manifestants, dont des casseurs et des pilleurs, découvrant que 60% parmi eux sont inconnus des services de police, c'est à dire aux casiers judiciaires vierges. Mieux ou peut être pire, certains parmi eux ne savaient rien de l'origine de l'explosion de cette déferlante brutale, ignorant tout de l'affaire Nahel, ce qui apporte une preuve qu'elle n'a été que le prétexte à la manifestation d'un malaise et d'un mal-être beaucoup plus profonds. Cela ajoute, surtout, de l'eau au moulin à l'ex-ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, qui avait prévenu de l'imminence d'un tel scénario en 2017, puis en 2022.


- "L'Alarme" prémonitoire de Borloo


A la demande du président François Hollande et de son cabinet, Borloo remettait, en 2017, un rapport qu'il venait de chapeauter, consacré essentiellement à la situation dans les banlieues où "la misère s'entassait sur la misère au risque de provoquer une explosion" et aux moyens à même de réduire les écarts et par là-même, la délinquance juvénile, la toxicomanie, la déscolarisation précoce... Il préconisait notamment la création d'un Conseil national de la République avec une Coalition des grands acteurs politiques qui se pencherait sur six urgences majeures, à savoir justice et ordre républicain, réconciliation nationale, jeunesse, habitat, santé, énergies et lutte contre les changements climatiques. Emmanuel Macron n'en prendra à son compte, pour sa campagne présidentielle de 2018, que quelques aspects.

Face à l'aggravation de la pauvreté et de la sous-pauvreté qui touchaient dans des banlieues et des quartiers jusqu'à 40% de la population, Borloo revisitait son rapport et l'actualisait pour en sortir une synthèse de moins de cent pages, qu'il publiait en 2022, sur Internet sous le titre-choc de "L'Alarme". Il y évoque, sans équivoque, "un pays en état de danger...aux poutres fissurées". L'ex-ministre met clairement en garde que "cela risque de mal finir" et appelle à "un sursaut immédiat et massif" pour éviter le pire. C'est que, comme il le dit, il voyait "la France se radicaliser, l'état des pénitenciers se dégrader, les familles s'inquiéter de plus en plus...". Il entendait aussi la gronde des magistrats et des avocats qu'on n'écoute pas, relevait "la désespérance des agriculteurs et celle des enseignants dans certains quartiers, laissés seuls face à l'immensité de leur tâche". Borloo évoque, également, "l'école qui a cessé d'être partout, une promesse". Quoi de plus prémonitoire et de plus révélateur que le ver était déjà dans le fruit ?


- Divergences irréconciliables


Si Jean-Louis Borloo préconisait avec insistance une "Coalition des grands acteurs politiques" et une réconciliation nationale, comme facteurs essentiels pour une amélioration des conditions de vie dans les banlieues, on se demande comment cela saurait être, quand on voit les réactions et les interprétations relatives à ces six jours de violence aveugle qui a parfois pris l'allure d'un soulèvement, sinon de guerre civile.

Diamétralement opposées, elles ont montré que les approches sont irréconciliables, donnant parfois l'impression, notamment entre extrême-droite et gauche, d'une exploitation politique des événements, au détriment du fond de la crise.

Cet écart est bien illustré par les positions de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Le premier qui dénonce l'assassinat du jeune Nahel, demande moins de permissivité envers les agents de police, réclamant la révision de la loi Cazeneuve qu'il considère comme un "permis de tuer". Il exige aussi le "dépaysement des magistrats" dans les affaires où des policiers sont concernés, pour empêcher que le juge ne se trouve à trancher sur des dossiers se rapportant à des agents avec lesquels il collabore quotidiennement.

D'un autre côté, tout en "regrettant les actes de violence", il refuse d'en condamner les auteurs, invitant à réfléchir et à agir sur les raisons qui les ont amenés à de tels excès. Il s'élève, à l'occasion, contre le chef d'un syndicat de police qui évoque "une guerre totale contre des nuisibles".

Marine Le Pen, elle, apporte par contre, son "absolu soutien" aux forces de l'ordre, préconisant couvre-feu et, le cas échéant, état d'urgence. Une manière de tacler le président de la République à qui elle reproche "un manque manifeste de rigueur et de fermeté".

L'ex-ministre de la Justice, Rachida Dati, ne se positionne pas loin de la présidente du Rassemblement national, bien qu'elle soit d'une Droite plutôt centriste. Elle exige, en effet, "de sévères sentences pour l'exemple et pour rétablir l'ordre républicain".

Quant à Éric Zemmour, il ramène toute la crise au seul problème de l'immigration, se positionnant comme le seul capable "de faire reconquérir à la France son identité".

Plus provocateur et plus cynique que jamais, le porte-parole de sa campagne présidentielle, Jean Massiha, a lancé une cagnotte au profit du policier qui a tué Nahel, en réponse à celle initiée pour la famille de ce dernier. Paradoxalement, la première a récolté plus de 1,6 million d'euros, la seconde environ le quart. "Pas de quoi calmer la situation", comme dira la Première ministre, Elisabeth Borne.

Entre ceux-ci et ceux-là, Emmanuel Macron qui a "échangé des idées" pendant plus de quatre heures, avec 400 maires, hésite mais promet d'être "attentif pendant les prochaines semaines". Cela ne l'a pas empêché de tenir pour responsables de la crise les jeux vidéos, Internet et les parents des jeunes "révoltés" qu'il a indirectement menacés de sanctions.

Les solutions sont-elles ici ou là et la situation s'est-elle définitivement calmée ? Le doute est permis.

De toute façon, la première vérification aura lieu dans neuf jours, avec les festivités du 14 juillet qui se sont toujours prêtées à des dépassements...au moins.


(*)Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

(**)Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.

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