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La chéchia tunisienne tiendra-t-elle tête à Boko-Haram!

Le marché de la Chéchia tunisienne, qui survit surtout grâce aux exportations, subit depuis quelques années les aléas du terrorisme en Afrique de l'Ouest.

Nadia Al Chahed  | 02.05.2016 - Mıse À Jour : 03.05.2016
La chéchia tunisienne tiendra-t-elle tête à Boko-Haram!

Tunis

AA/Tunis-Niamey/Nadia Chahed-Illa Kané

La chéchia, couvre-chef en laine rouge comme seule la Tunisie sait en fabriquer, celle qui a connu, un temps, le faste des cours royales, traverse aujourd’hui une période difficile aussi bien sur le marché local qu’à l’exportation, se trouvant, depuis quelques années, confrontée aux aléas du terrorisme sévissant en Afrique de l’Ouest, région où elle avait pu conquérir ses lettres de noblesse.

Héritage incontestablement andalous, importé en Tunisie par les par les Morisques chassés d’Espagne dès la fin du 15ème siècle, et qui trouverait ses racines dans le Caucase (Tchétchénie d'où elle tire son nom), selon d’autres versions, avait pu grâce à certains sultans de l'Empire ottoman, devenir l'accessoire incontournable de la haute société dans plusieurs contrées relevant de cet empire aussi bien en Asie qu’en Afrique.

Aujourd’hui, elle est très prisée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, principalement au Nigéria et au Niger où elle est surtout portée par les leaders politiques et les dirigeants qui en font leur couvre-chef de prédilection.

Appelées «Dara» en langue hausa (langue nationale la plus parlée au Niger, Ndlr), la chéchia est perçue comme un signe d'autorité et de pouvoir.

"L'actuel Président nigérien, Issoufou Mahamadou, porte la chéchia importée de la Tunisie. Ses prédécesseurs Tandja Mamadou et Mahamane Ousmane avaient porté et portent, aujourd’hui encore, le même type de chéchia. C'est aussi le cas des leaders de nombreux partis politiques nigériens ", explique Moustapha Zabeïrou, un des importateurs de chéchia rencontré au Grand Marché de Niamey par Anadolu.

Toutefois, la menace véhiculée par le groupe terroriste nigérian Boko-Haram et toutes les conséquences économiques qui en découlent ont, directement, impacté, le marché de la chéchia, entraînant une chute des exportations vers les pays africains, témoignent plusieurs artisans tunisiens rencontrés par Anadolu.

Selon les dernières statistiques de l'Office National de l'Artisanat Tunisien (ONAT), en 2014, la valeur des exportations de la Chéchia a été de l'ordre de 617 mille dinars tunisiens ( environ 300 mille dollars) marquant une baisse de 42,34% par rapport à l'année 2013. Ce recul incombe selon l'ONAT, à la dégradation de la situation en Libye, qui était le principal point de passage de la chéchia vers les pays d'Afrique de l'Ouest, notamment le Niger et le Nigéria.

Hafedh Blaiech, artisan qui tient l'atelier hérité de son père dans le souk des "Chaouachine" dans la médina de Tunis, note, dans une déclaration à Anadolu, que la marché local étant depuis plusieurs années en stagnation (de moins en moins de Tunisiens portent la chéchia lors de quelques rares occasions), c'était surtout l'exportation, particulièrement vers l'Afrique qui permettaient aux quelques artisans, qui ont décidé de continuer ce métier ancestral, de survivre.

La situation prévalant, actuellement, dans ces pays, marquée notamment par la menace terroriste de Boko Haram, a rendu l'exportation quasi impossible, souligne Hafedh.

La chute des monnaies africaines locales face au dollar et les risques liés au transfert de fonds ajoutés à l’instabilité de ces marchés sont les principaux facteurs qui expliquent la stagnation des exportations, selon Aida el Abassi, seule femme artisane qui a hérité ce savoir-faire de son père (le métier étant exclusivement masculin), après avoir bénéficié d'une dérogation de la part du Conseil des dix ( composé des vétérans du métier et qui octroie le "Nichan" ou marque déposée).

Elle ajoute que non seulement le Nigéria principal pays importateur subit de plein fouet les effets de la menace Boko Haram mais aussi la Libye, pays voisin et grand consommateur de Chéchia, vit une grave crise qui rend tout échange commercial quasi-impossible et très périlleux.

Une situation qui n'a fait qu'entamer davantage le secteur qui souffre déjà depuis quelques années d'un manque d'organisation et subit le manque d'intérêt de la part de la jeune génération qui boude ce métier. Le souk des "Chaouachine" a, d'ailleurs, perdu son faste d'antan et ne compte plus que quelques artisans qui continuent à résister tant bien que mal face à tous ces aléas, précise Aida.

Interrogé sur l'origine de la chéchia, l'historien Abdessattar Amamou, a précisé qu'au départ la chéchia était perçue comme un accessoire populaire, ce n'est qu'en 1830, date à laquelle le Sultan ottoman Mahmoud II, dans la cadre de la réforme militaire, a détruit l'ordre des janissaires, et mis sur pied une nouvelle armée inspirée du modèle européen, modifiant du coup la tenue de cette armée, que la Chéchia a été propulsée au devant de la scène en tant qu'accessoire prestigieux.

La nouvelle tenue de l'armée réformée, inspirée également, du modèle européen ne pouvait plus aller de pair avec le turban traditionnel dont on s'enroulait la tête à l'époque, le Sultan a alors opté pour la Chéchia qu'il fît alors porter aux habitants des districts et des contrées relevant de l'empire ottoman, dont l'Albanie, la Libye, le Mali, la Grèce, le Sénégal... depuis la Chéchia tunisienne est devenu un signe de distinction sociale et un accessoire que portaient les personnalités les plus influentes, note encore l'historien.

A cette époque la chéchia connaît un essor sans précédent, sa notoriété atteint l’Algérie, la Libye, le Cameroun, le Nigeria (surtout), l’Egypte, le Soudan et même la Turquie et la Grèce. Selon les pays de destination, la chéchia subissait quelques transformations, ainsi celle qui était exportée vers la Turquie, appelée "Chéchia stambouli" ( probablement en référence à Istanbul), était plus haute et plus droite, celle destinée aux pays africains et à la Libye doit, elle, être surmontée d'un embout et généralement de couleur foncée (rouge pourpre ou noir).

Bien que la confection de la chéchia requiert plusieurs intervenants, son prix de vente demeure faible, selon les artisans rencontrés par Anadolu, variant entre 5 et 7 dollars aussi bien sur le marché local qu'à l'exportation.

Lassad Azzaoui, artisan qui travaille dans l'atelier "al Abassi", explique que la confection de la chéchia passe par six étapes, à commencer par le tricotage (pour obtenir le kabous), le foulage (opération qui consiste à fouler fortement le kabous pour le rendre dur), le cardage au moyen du chardon, la teinture, le moulage et la finition.



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