L’État français cherche à façonner un islam “idéal”, selon Franck Frégosi (Médias)
– Le politiste dénonce une stratégie de “domestication” du culte musulman et une laïcité de plus en plus identitaire.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Spécialiste reconnu de l’Islam en France, Franck Frégosi alerte sur l’implication croissante de l’État dans la gestion du culte musulman.
Dans un entretien publié par Le Monde ce lundi, il critique une politique qui viserait à promouvoir un islam conforme aux attentes républicaines, au détriment du principe de neutralité religieuse.
Par voie d’un entretien accordé au quotidien français, le chercheur au CNRS revient longuement sur les mécanismes d’encadrement du culte musulman par l’État français. Pour lui, ce contrôle s’apparente à une politique de “domestication”. Selon ses termes, l’État “est en quête du ‘musulman idéal’” et tente d’imposer un islam “républicain”, en marginalisant les courants jugés trop rigoristes ou non compatibles avec les valeurs dominantes.
Franck Frégosi voit dans cette stratégie une continuité des réflexes coloniaux. Il rappelle qu’en Algérie, la loi de 1905 n’avait pas été appliquée, permettant à l’État colonial de subventionner les mosquées dans une logique de contrôle social et politique. Aujourd’hui encore, estime-t-il, les autorités françaises projettent une vision sécuritaire sur l’Islam, qu’elles voudraient “moderniser de l’intérieur”, quitte à désigner certains acteurs comme représentants légitimes, indépendamment de leur légitimité réelle dans les communautés musulmanes.
Le politiste évoque également les conséquences du discours présidentiel de Mulhouse de 2020, qui visait à rompre avec les influences étrangères sur l’islam de France. L’objectif affiché – former en France des imams français – peine à se concrétiser. “Il n’existe toujours pas de véritable structure de formation des imams en France”, regrette-t-il, évoquant l’abandon du projet d’une faculté de théologie musulmane à Strasbourg.
Autre point sensible : la charte des principes de l’islam de France, instaurée en 2021, qui a été selon lui “un outil politique permettant de distinguer les supposés tenants du ‘bon islam’ et les autres”. Cette politique de labellisation, conjuguée à une vision de la laïcité de plus en plus identitaire, conduit, selon Frégosi, à une hostilité particulière envers l’islam conservateur, perçu à tort comme une menace potentielle.
Loin de minimiser les défis sécuritaires, l’universitaire insiste néanmoins sur la nécessité de distinguer islam littéraliste et "islamisme violent". Il alerte contre une confusion entre visibilité religieuse – port du voile, commerces halal – et projet politique séparatiste. “C’est aux acteurs musulmans qu’il revient d’inciter leurs coreligionnaires à ajuster leur comportement, pas à un État laïque de dire comment vivre sa foi”, conclut-il.