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L’émir Abdelkader : Ce résistant algérien qui a donné du fil à retordre à la France

- Dans la nuit du 4 au 5 février 2022, une sculpture en hommage à l'émir Abdelkader a été vandalisée dans la ville française d’Amboise. 139 ans après sa mort, l'illustre résistant dérange toujours, du côté de la rive nord de la Méditerranée.

Fatma Bendhaou  | 08.02.2022 - Mıse À Jour : 08.02.2022
L’émir Abdelkader : Ce résistant algérien qui a donné du fil à retordre à la France

Algeria

AA/ Alger / Aksil Ouali

« Ami de la France » et « fondateur de l'Etat algérien moderne ». Deux titres diamétralement opposés suivent encore, plus d'un siècle après sa mort, un seul homme. Mais pas n’importe quel homme. Il s’agit de l’émir Abdelkader, un des premiers résistants algériens à la colonisation française de l’Algérie. Le premier lui a été donné par la France coloniale et le second par l’Algérie indépendante. On le surnommera par la suite "le meilleur ennemi de la France". Et, aujourd'hui encore, il continue de déranger, du côté de la rive nord de la Méditerranée.

Dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 février 2022, une sculpture en hommage à l'émir Abdelkader, réalisée dans la ville française d’Amboise, a été vandalisée. La sculpture faisait partie d’une série de gestes entrepris par le Président français, Emmanuel Macron, dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations du rapport de l’historien, Benjamin Stora, intitulé "Mémoire et vérité".

Cet acte, largement dénoncé par les historiens et les autorités françaises et algériennes, confirme que l’homme dérange encore certaines parties en France. Qui est-il ? Qu’est-ce qui fait de lui un personnage historique connu et reconnu, y compris au Moyen-Orient, en Syrie plus précisément, où il est décédé en 1883 ?

De son vrai nom, Abdelkader Ibn Muhieddine, l’émir Abdelkader est chef religieux et un militaire algérien qui a donné du fil à retordre à l’armée coloniale française et qui continue de hanter certains esprits en France.

Né le 6 septembre 1808 à El Guettana, dans l’ouest algérien, l’homme a grandi dans une famille de l’aristocratie religieuse locale. Son père, Muhieddine al-Hasani, fut un mouqaddam (un titre religieux) dans une institution religieuse affiliée à la confrérie soufie, revendiquant une descendance du prophète de l’islam, Mohamed. C’est lui qui le façonne et le prépare pour devenir ce qu’il était devenu. Mais l’émir Abdelkader a une devise : l’existence d’un homme ne se limite pas uniquement à son origine.

« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est », répondit-il à une question sur sa généalogie. Et ce sont ses actes qui font aujourd’hui parler de lui.


- « Un stratège »

C’est à l’âge de 23 ans que l’homme entame ses premières actions de révolte contre l’occupant français. Un précurseur de la lutte armée. Son combat commence dès 1831, lorsque l’armée française arrive à Oran, à l’extrême ouest du pays. Il démontre d’emblée son côté « stratège ».

« Très vite convaincu de l’insuffisance de ses forces, il opte pour une stratégie astucieuse de harcèlement tout en se préparant, habilement, à un compromis pour pouvoir organiser son armée. En 1834, il signe, ainsi, son premier traité de paix avec le général Desmichels et obtient la souveraineté sur toute l’Oranie, excepté les grandes villes comme Oran », souligne l’historien français d’origine algérienne, Benjamin Stora, dans son travail intitulé « l’émir Abdelkader : Guerrier lucide, savant mélancolique ».

Selon lui, ce traité a fait croire aux autorités militaires françaises que « l’émir était un allié susceptible de sécuriser l'arrière-pays et d’empêcher les incursions des tribus arabes sur les plaines côtières ». « De son côté, l'émir décide de mettre à profit cette trêve pour jeter les bases d’un État où les diverses tribus et confréries se rallieraient à lui dans la perspective de bouter les forces françaises hors d’Algérie. C’est ainsi qu’il obtient l’aide des troupes françaises pour soumettre la même année son rival Mostefa Ben Small ou Smail. Mais la trêve ne dure pas et la guerre reprend en 1835. Abdelkader alterne, deux années durant, les victoires et les défaites jusqu’à être sévèrement battu par le général Bugeaud en 1836, après la défection de plusieurs tribus de l’ouest algérien », explique-t-il.

Après cette défaite, il signe un nouveau traité, la Tafna en 1837, qui lui permet de régner sur un territoire s’étendant du centre de l’Algérie actuelle jusqu’à la frontière marocaine. Mais la « paix » n’a duré que deux ans. L’émir Abdelkader et ses troupes reprennent leur insurrection et l’armée française a réagi avec une violence inouïe, ponctuée, selon Benjamin Stora, « par les tristement célèbres enfumades du colonel Pélissier qui enfume et asphyxie un millier d’hommes de la tribu des Ouled Riah qui se sont réfugiés dans des grottes ».

Sa défaite est scellée dès 1843. Refusant de se rendre, il se réfugia au Maroc, avant d’être refoulé par ses alliés locaux en 1847. « L’émir demande alors la possibilité de partir vers l’Orient. Le général Lamoricière accepte le 23 décembre 1847… mais Abdelkader est dirigé vers la France », rappelle l’historien.


- Une première stèle détruite

Selon l’historien algérien Rabah Lounici, « l’émir Abdelkader était un farouche combattant du colonialisme français, mais aussi un politique rusé ». « Il s’est concentré sur l’édification d’un Etat moderne. C’est ce qui explique, d’ailleurs, ses traités signés avec les Français qui sont aussi à l’origine de l’affaiblissement de la résistance d’Ahmed Bey (dans l’est algérien) qui était un rival de l’émir Abdelkader. Son insurrection a échoué en raison de la trahison des tribus de l’ouest algérien, mais aussi du roi du Maroc qui craignait son influence », déclare-t-il à l'Agence Anadolu.

Selon lui, ce sont aussi les Français « qui ont fait croire qu’il était leur ami, afin de berner les populations en leur faisant croire que leur chef a compris les bienfaits de la présence française ». « D’ailleurs, ils ont érigé une première stèle commémorative de sa reddition dans la région de Mascara (ouest). Cette stèle a été détruite, après 1949, par les membres de l’organisation spéciale (OS), dont Hocine Aït Ahmed, ayant préparé la guerre de libération de 1954 », explique l’historien, rappelant que les « hommes de l’émir ont continué la lutte armée et la majorité des crânes se trouvant au musée de l’homme à Paris leur appartiennent ».

Même durant son emprisonnement en France, l’émir est resté hostile à la colonisation de son pays. « Je vois ces plaines verdoyantes, ces vergers, ces forêts, ces fleuves et ces rivières ; tant d’abondance ! Quel besoin ont les Français d’occuper mon Pays de sable et de rochers ? », demande-t-il à l’occasion de son transfert de la prison de Sète à Béarn. Libéré en 1852 par Louis-Napoléon, l’émir s’installe à Damas en Syrie où il s’est illustré par un geste humain, en protégeant la communauté chrétienne lors des violentes émeutes de 1860.

L’émir Abdelkader est entré dans l’histoire universelle lorsqu’il a pris, avec ses fidèles compagnons, la défense des membres de la communauté chrétienne syrienne menacés par les druzes", souligne, l'historien et enseignant à l'Université de Philadelphie (Etats-Unis), John Kizer. Intervenant lors d'un colloque sous le thème "l'émir Abdelkader, entre deux rives", organisé en 2018 en Algérie, John Kizer affirme également "qu'il a été l'une des premières personnalités à évoquer la question des droits de l’homme". "Il a toujours prôné la paix et le dialogue entre musulmans et chrétiens comme le recommandent les préceptes de l’islam et du Saint Coran", insiste-t-il.

L'émir Abdelkader est décédé le 25 mai 1883, après vingt-cinq jours de maladie.

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