Kinshasa-Bruxelles : Une brouille au-delà de "25 millions d’euros"
-Les relations entre la RDC et la Belgique se sont largement détériorées, après que Bruxelles a annoncé "une révision fondamentale" de sa coopération avec Kinshasa jusqu'à "l'organisation d'élections crédibles" en RDC

Kinshasa
AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa
Fermer la Maison Schengen, le consulat d’Anvers, faire plier bagages à l’Agence belge de développement (Enabel) ou alors réduire drastiquement les vols Brussels Airlines : un chassé-croisé de mesures prises par la République démocratique du Congo (RDC) contre son ancienne puissance coloniale, la Belgique.
Les relations entre ces deux pays se sont davantage détériorées en Janvier dernier, après que Bruxelles a annoncé, le 10 janvier, "une révision fondamentale" de sa coopération avec les autorités congolaises jusqu'à "l'organisation d'élections crédibles" en RDC, où le climat politique reste tendu.
Le second mandat du chef de l’Etat Joseph Kabila a pris fin en décembre 2016, alors qu’une interprétation controversée de la Constitution lui permet de rester au pouvoir jusqu’à l’investiture de son successeur élu.
Concrètement, la Belgique a mis fin à une série d'interventions de quelque 25 millions d’euros, qui devaient être mises en œuvre directement par les autorités congolaises, en les réorientant, "au profit de l'aide humanitaire et d'autres initiatives répondant aux besoins les plus pressants de la population", justifiait Bruxelles.
-L’escalade
Après le communiqué bruxellois, Kinshasa est passé à l’offensive. La RDC a démantelé sur son territoire la "Maison Schengen", consulat qui livre des visas pour 17 pays de l’Union européenne ainsi qu'à la Norvège. Puis faire plier bagages à l’agence belge de développement (Enabel).
Quelques jours plus tard, l’escalade congolaise s’est poursuivie. Le plus grand pays francophone au monde a décidé de fermer son consulat à Anvers, tout en exigeant la fermeture du consulat belge de Lubumbashi (Sud-est congolais).
En dernière salve, les autorités congolaises ont ciblé la compagnie Brussels Airlines, sommée de réduire la fréquence de ses vols vers Kinshasa de sept à quatre par semaine.
Kinshasa n’a-t-elle pas raté sa cible ? Car en voulant viser la Belgique, la RDC a réellement puni l’Allemagne. Sur son site, la compagnie allemande Lufhansa annonce avoir le contrôle à 100% de Brussels Airlines, seule compagnie aérienne qui relie chaque jour Kinshasa à Bruxelles où vit des milliers de congolais.
- La raison de la colère
A chaque crise en RDC, les relations s’enveniment avec la Belgique. Cette escalade fait officiellement suite à la décision du 10 janvier de la Belgique de suspendre sa coopération bilatérale avec le Congo-Kinshasa.
Une coopération qui ne pourra être rediscutée qu'après l'organisation "d'élections crédibles", sur base des principes de "bonne gouvernance", conditionnait Bruxelles, en condamnant la répression sanglante des marches des fidèles catholiques et de l’opposition (31 décembre 2017) contre le président Joseph Kabila.
Mais pour un pays potentiellement riche en minerais, aussi classé parmi les plus pauvres au monde, ce ne sont pas quelque vingt-cinq (25) millions de d’euros qui vont justifier une escalade, éclaire l’analyste et acteur de la société civile l’abbé Jean-Bosco Bahala, joint par Anadolu.
En toile de fond de cette salve congolaise, Bahala voit les sanctions de l’Union européenne (UE) imposées à des personnalités de la RDC l’an dernier.
L'UE avait en effet prononcé, en 2017, des sanctions à l'encontre d'une quinzaine de personnalités congolaises pour "violations des droits" ou "entrave au processus électoral".
Ces sanctions "sont en réalité dictées par la Belgique considérée comme parrain de la RDC sur la scène mondiale", poursuit l'expert, nuançant toutefois : "or, la Belgique a cessé d’être un ami du régime en place à Kinshasa".
Irritées, les autorités congolaises n’ont jamais cessé de déplorer ce qu’elles qualifient "d’activisme politique" déployé par la Belgique contre le président Kabila qui fait l’objet d’une pression internationale pour son départ.
"Lorsqu’il y a un problème en RDC, l’Union européenne, l’ONU, ou même les Etats-Unis consultent Bruxelles qui fait toujours office de référence sur le dossier congolais", estime Christophe Rigaud, journaliste français sur son site Afrikarabia, consacré à l’actualité de l’Afrique centrale.
"De même que la France à la haute main sur les positions internationales concernant sa zone d’influence : Mali, Côte d’Ivoire, Niger ou Tchad … La Belgique a toujours donné le ton au sujet de la RDC. Mais Kinshasa voudrait bien inverser la vapeur", analyse-t-il, évoquant des pressions répétées sur Bruxelles pour "infléchir leur position".
Avril 2017, les autorités congolaises avaient suspendu leur coopération militaire avec la Belgique après que le chef de la diplomatie belge Didier Reynders Kabila a critiqué la nomination par le président Kabila d’un transfuge de l’Opposition au poste de premier ministre.
-Aux Congolais de pâtir
Justifiant son offensive par la "souveraineté", la RDC "veut se faire respecter au même titre que d’autres Etats", d’après le Vice-ministre à la Coopération Internationale, Freddy Kita interrogé par un media congolais.
Mais, regrette auprès d’Anadolu l’analyste économiste Al Kitenge, "toutes ces décisions prises sont négatives sur la caisse de l’Etat congolais et les pauvres populations congolaises".
En fermant Enabel, c’est une centaine de congolais qui sont envoyés au chômage, en réduisant la fréquence des vols de Brussels Airlines ce sont nos recettes fiscales qui seront affectées et nos compatriotes qui vont en pâtir, dégaine-t-il.
Le chef de la diplomatie belge a regretté en début de semaine dernière cette escalade, affirmant "rechercher des solutions de sortie de crise".