Kémi Seba : "Le Niger me parait être le laboratoire de la révolution panafricaniste au 21ème siècle"
- Dans une interview exclusive accordée à l’AA, l’activiste et président de l’ONG "Urgences panafricanistes", déchu de la nationalité française, est revenu sur son combat contre le néocolonialisme français et sa vision pour l’Afrique de demain

Ankara
AA / Ankara / Tuncay Çakmak
Kémi Seba, activiste panafricaniste et militant anti-impérialiste et anticolonialiste, œuvre pour la souveraineté de l’ensemble de l’Afrique face aux velléités néocoloniales, notamment portées, selon lui, par la France.
Au studio de l’Agence Anadolu à Ankara, il accorde une interview exclusive, publiée en 3 parties, dans laquelle il évoque de nombreux sujets de l'actualité africaine, mais aussi mondiale.
Le Béninois de 42 ans, né à Strasbourg, se présente comme un "homme noir au 21ème siècle, Panafricaniste, un homme qui est maladivement attaché à la souveraineté de son peuple, du continent africain et de la diaspora".
Kémi Seba n’est pas tendre avec la "France néocoloniale", qu’il accuse de provoquer l’instabilité en Afrique, en particulier dans la région du Sahel. Son discours à charge est la principale raison de la déchéance de nationalité. En réponse à cette décision française, les autorités nigériennes ont octroyé un passeport diplomatique à Kémi Seba, "Stellio Gilles Robert Capo Chichi", de son vrai nom.
Le panafricaniste s’installera pour quelques années au Sénégal, avant de rejoindre ensuite son pays d’origine, le Bénin.
- L’hostilité envers la France dans le Sahel en particulier, et en Afrique en général
"Le Sahel, pendant trop d’années, a été le terrain de jeu de multinationales occidentales qui, sous prétexte de venir protéger ou stabiliser la sous-région, étaient toujours installées aux différents points où se trouvaient d’importants gisements en tous genres", développe-t-il.
Et il poursuit : "Elles prétendaient, ces entités néocoloniales et ces forces armées sponsorisées par les multinationales, sécuriser et stabiliser le territoire, contre des terroristes qu’elles avaient elles-mêmes armé, financé, orienté, lorsqu’elles avaient contribué à l’assassinat lâche du guide libyen, Mouammar Kadhafi."
Pour expliquer son propos, Kémi Seba aime utiliser l’image du mafieux qui engage un casseur pour briser la vitrine d’une boutique, et après avoir convaincu le propriétaire, "il vient protéger la boutique, alors que c’est lui-même qui a engagé les casseurs".
A travers cette comparaison, le président de l’ONG "Urgences panafricanistes" affirme que, comme les pays néocolonialistes, l’objectif du mafieux est qu’il n’y ait jamais la paix puisque c’est le manque de paix qui permet au mafieux de pouvoir s’installer.
"C’est exactement ce qu’il se passe avec l’oligarchie française. Elle a armé des terroristes en Libye pour contribuer au désordre, pour faire assassiner Kadhafi, pour voler l’or libyen. Par la suite, ces hordes de terroristes se sont déversées sur le reste de la région sahélienne. Elle se sont présentées (les entités de l’oligarchie française), elles qui étaient les entités sponsorisant de ces terroristes, comme des forces stabilisatrices de la région."
Et de continuer son narratif : "Et on a eu, excusez-moi du terme, des présidents d’une naïveté maladive, qui ont le syndrome de Stockholm peut-être, qui ont été dans une démarche d’accepter que ces puissances néocoloniales s’installent et fassent la pluie et le beau temps, de telle sorte qu’on a eu un François Hollande qui était fier de dire qu’ils ont libéré le Mali ! Et quelques années plus tard on a vu le visage de cette pseudo-libération du Mali."
Ce sont toutes ces raisons pour lesquelles Kémi Seba dit mener son combat, notamment à travers son ONG.
"Et c’est pour ça qu’on est arrivé à une phase où nous avons engagé, à l’intérieur du Front anti-CFA, que l‘ONG Urgences panafricanistes a fondé, structuré, monitoré et financé. Le Front anti-CFA ce n’est pas le front contre le franc CFA uniquement, c’est le front anticolonialisme français en Afrique", explique-t-il.
La France fait l’objet des critiques les plus sévères de la part du panafricaniste militant et engagé.
"Pourquoi se focaliser sur le néocolonialisme français, parce que c’est aujourd’hui celui qui caractérise le plus la volonté de, à la fois, piller nos ressources et orienter les démarches politiques de nos dirigeants, vers un agenda néolibéral sur le terrain économique et sociétal. C’est quelque chose qu’on ne pouvait pas accepter."
- "La restauration de l'État au Niger"
Kémi Seba porte une grande admiration au chef de l’État du Niger, le Général Tiani, "un homme de grande vision", dit-il le concernant.
"J’ai vu des médias corrompus néocoloniaux, s’interroger si le Général Tiani était sincère dans sa voie panafricaniste. Quiconque a un échange d’une heure, deux heures ou plus avec lui, sait que la vision panafricaniste du Général Tiani est une vision civilisatrice. C’est une compréhension intense des humanités classiques africaines. Ce n’est pas quelqu’un qui veut surfer sur une vague, ce sont des gens qui, depuis des années, étaient dans une dynamique panafricaniste", explique-t-il.
Les développements au Niger, Kémi Seba les suit de près :
"Aujourd’hui, le Niger me parait être le laboratoire de la révolution panafricaniste au 21ème siècle", estime-t-il.
- Le multilatéralisme
L’activiste panafricaniste insiste, par ailleurs, sur la nécessité de renforcer le multilatéralisme au Sahel mais aussi partout en Afrique.
"Je pense que la multipolarité signifie le multilatéralisme, la nécessité de sortir d’une relation qui nous lie uniquement à la puissance néocoloniale, pour varier justement les partenariats et échanger avec diverses entités."
Néanmoins, Kémi Seba souligne l’importance de rester vigilent face aux ambitions des autres pays dans la région.
Il rappelle les places de plus en plus importantes qu’occupent certains pays comme la Chine, la Russie, la Türkiye ou encore l’Iran.
"Je me trouve ici en Turquie afin de parler avec différents responsables politiques. Il y a aussi de l’autre côté, des pays comme l’Iran, la Russie, la Chine … Mais dire cela ne signifie pas que nous sommes dans une dynamique de vouloir changer un colon pour un autre. Et je préfère le dire de la manière la plus fraternelle mais claire possible, toute puissance, russe, chinoise, ou autre, qui aura l’outrecuidance de penser que parce que nous avons contribué à chasser la France néocoloniale, il y a un espace, selon elles, et voudra être dans une dynamique de se comporter en puissance néocoloniale comme la France l’est, ces puissances doivent savoir qu’elles nous trouveront sur leur chemin à un degré inimaginable", tempère-t-il.
Concernant la Türkiye, Kémi Seba salue la "vision du président Erdogan".
"Le Président Erdogan a une vision qui me parait être une vision emprunte d’un refus de voir continuer à prospérer l’hégémonie occidentale. Moi c’est quelque chose qui me parle".
"Que ce soit sur le terrain de l’agriculture, celui des technologies, sur le terrain parfois de l’armement, il y a un certain nombre de choses qui sont faites déjà et qui peuvent être améliorées", estime-t-il.
Et d’ajouter : "je pense que la relation entre la Turquie et l’Afrique est prometteuse".