JO 2024 : des dizaines de citoyens accusés de radicalisation, surveillés et assignées à résidence
- « J’ai un sentiment de dégout vis-à-vis de ces politiques islamophobes », confie à Anadolu un jeune trentenaire visé par une MICAS (Mesure Individuelle de Contrôle Administratif et de Surveillance).

France
AA / Nice / Feïza Ben Mohamed
Alors que le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a mis en place un dispositif de sécurité particulièrement conséquent pour sécuriser les Jeux olympiques (JO) de Paris, qui s’ouvriront le 26 juillet courant avec 45 000 policiers et gendarmes déployés, une partie des mesures adoptées reste moins médiatisée.
Le locataire de Beauvau annonçait, mercredi dernier, que pas moins de 134 perquisitions ont été menées en prévision de la compétition et que 155 personnes, soupçonnées d’être susceptibles de passer à l’acte, font l’objet de Mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas).
Au cours d’un point presse intervenu à la veille de l’entrée en vigueur du périmètre de sécurité des JO, il expliquait que les personnes visées étaient considérées « comme très dangereuses ou pouvant potentiellement passer à l'acte » et qu’il a donc été décidé qu’elles soient « maintenues à distance » des festivités.
Mais dans les faits, la politique d'assignation à résidence menée à grande échelle par Gérald Darmanin est particulièrement contestée et pose de nombreuses questions en matière de respect des libertés individuelles et de lutte contre l’arbitraire.
Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris, défend plusieurs personnes faisant l'objet de ces mesures administratives d'éloignement, et dénonce « des mesures liberticides ».
« Plus que jamais, le droit d'exception s'immisce dans la vie du quotidien des justiciables, suivant des motivations toutes parcellaires pour lesquelles le ministère de l'Intérieur excelle et sans qu'un véritable contrôle juridictionnel ne soit exercé », a-t-il notamment grincé dans une publication sur le réseau social X.
Dans un courrier adressé au Défenseur des Droits, le conseil parisien alerte à, cet effet, sur « des mesures attentatoires aux libertés" grâce à "la domination du discours sécuritaire ».
Anadolu a pu consulter plusieurs de ces controversées Micas prenant ainsi connaissance des divers motifs invoqués par le Place Beauvau pour justifier les pointages quotidiens et les mesures d’éloignement.
- Mesures administratives et restrictions
Témoignant sous couvert d’anonymat, un jeune francilien de 30 ans, qui a désormais l’interdiction de quitter sa ville de résidence et doit pointer dans un commissariat tous les matins à 8 heures 30 pendant 3 mois, ne comprend pas pourquoi il est ciblé.
« Je n’ai jamais eu de problème avant ces JO. Même quand il y avait l’Etat d’Urgence etc., je n’ai jamais été visé par des perquisitions ou par autre chose. Je suis complètement contre le terrorisme. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter qu’on me vise comme ça? », se demande-t-il.
Le sentiment d’injustice est le même chez un autre jeune français de confession musulmane, installé, lui aussi, en Île-de-France et qui fait état de son « sentiment de dégout vis-à-vis de ces politiques islamophobes ».
Il affirme avoir fait l’objet d’une perquisition, fin mai, puis d’une garde à vue début juillet. La notification de la Micas émise à son encontre énumère plusieurs faits qui, mis bout à bout, permettent au ministère de l’Intérieur d’affirmer qu’il « est susceptible d’être sensible à la propagande d'organisations terroristes extérieures appelant à commettre des actions violentes ».
Il est notamment fait mention d’une publication effectuée sur le réseau social X et dans laquelle il s’oppose à l’homosexualité, et de contacts avec des personnes que les autorités considèrent comme radicalisées dont deux imams.
Mais le plus surprenant reste l’invocation du contexte géopolitique, notamment à Gaza, pour justifier les mesures administratives émises à l’encontre de certains citoyens.
La Place Beauvau estime, en effet, que certaines Micas se justifient, en outre, par le fait que la menace terroriste serait accrue par des « risques d'importation sur le territoire national du conflit israélo-palestinien à la suite de l'attaque perpétrée par le Hamas, le 7 octobre 2023, laquelle a donné lieu à de très nombreux messages de soutien de la part des nombreuses organisations musulmanes radicales ».
Les JO « qui rassemblent un très grand nombre de spectateurs, en présence de personnalités, avec un retentissement médiatique et international, sont exposés à un risque majeur d'attaque terroriste » et « dans ce contexte, l'intéressé est susceptible d'être sensible à la propagande des organisations terroristes extérieures appelant à commettre des actions violentes, notamment en représailles à la séquence d'autodafés du Coran perpétrés en Europe du Nord depuis début 2023 », poursuit le ministère de l’intérieur.
Plusieurs Micas, consultées par Anadolu, obligent les intéressés à pointer tous les matins, y compris les dimanches, au commissariat, et leur interdit de sortir de leur ville de résidence, pour une durée de trois mois.
L’un d’eux raconte avoir « de la colère » et ne pas comprendre ce qui justifie de le « mettre dans une prison géante pendant trois mois » et « de se réveiller tous les matins même le week-end pour aller signer.
« Je n’en peux plus. Les accusations sont infondées et fausses. J’ai toujours été contre le terrorisme, je donne même mon sang. Comment je pourrais faire un attentat? Ça me dégoûte vraiment », souffle le jeune.
Ce dernier promet néanmoins de ne pas en rester là et a déjà mandaté une avocate pour intenter un recours en urgence, espérant faire lever les mesures administratives à son encontre.
- Vives interrogations
Sur le réseau social X, Vincent Brengarth est revenu, dimanche, sur une autre affaire, qui suscite de vives interrogations quant au caractère arbitraire des Micas.
L’avocat parisien explique que l’un de ses clients, Amine « fait l’objet d’une Micas qui le prive notamment de la possibilité de poursuivre ses études normalement », car « on lui reproche des publications qui ne sont pas les siennes ».
Le jeune homme, pourtant blanchi dans l’enquête portant sur les dites publications (le compte émetteur poursuivait les publications alors qu’Amine était en garde à vue et n’avait donc pas accès à internet), s’est vu notifier une Micas avant les JO.
« C’est un énorme préjudice moral, je dors très mal, je vis très mal, je n’ai plus de vie sociale » confie le jeune étudiant à BFMTV dans un reportage diffusé dimanche.
Pour Vincent Brengarth « il ne s’agit pas de dire que toutes les mesures d’assignation à résidence sont injustifiées mais s’agissant de ce cas de figure on est à des années de lumière de ces cas ».
Et le cas d’Amine ne semble pas être isolé puisque le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) a, lui aussi, diffusé un témoignage reçu par ses services.
« Mon fils a reçu une MICAS de la part du ministère de l'Intérieur. En 2021, il était en formation et a demandé s'il pouvait prier. Il a été accusé d'avoir levé l'index, ce qui serait symbole d'allégeance à l'organisation terroriste Daech », aurait déclaré un plaignant à l’organisation de lutte contre l’islamophobie.
Si pour l’heure, les JO n’ont pas encore débuté, plusieurs personnes visées par la Place Beauvau, redoutent de voir leur Micas prolongées à l’issue d’un délai de six mois et réclament « l’examen de ces mesures par un juge pour avoir l’occasion de déconstruire le narratif des services du ministère de l’Intérieur ».
Pour rappel, quelque 10 500 athlètes issus de 206 délégations sont attendues aux Jeux olympiques Paris 2024. 329 épreuves auront lieu durant les 19 jours de compétition, dans un périmètre bien délimité et dont l'accès est réservé juste aux personnes inscrites.
Plus de 5000 médailles sont en jeu pour cette Olympiade.
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