Istanbul Photo Awards 2025: Les lauréats soulignent la puissance et la responsabilité du photojournalisme
- Le concours a souligné la puissance narrative et l’éthique du photojournalisme à travers les lauréats des catégories "Série Vie quotidienne" et "Marion Mertens Photo unique Vie quotidienne"

Ankara
AA / Ankara / Büşranur Keskinkılıç
Organisé par l’Agence Anadolu (AA), le concours Istanbul Photo Awards 2025 a récompensé 29 photographes dans 10 catégories, parmi près de 22 000 candidatures venues du monde entier.
Le photographe italien Fabio Bucciarelli a remporté la troisième place dans la catégorie "Série Vie quotidienne" avec ses clichés percutants illustrant la crise humanitaire en Haïti, pays plongé dans l’effondrement politique et les violences armées, réalisés pour le quotidien italien La Repubblica.
« Pour de nombreux médias occidentaux, Haïti est pratiquement inexistant, absent de l’agenda médiatique. Pourtant, la crise humanitaire et politique que traverse le pays est l’une des plus graves au monde », a souligné Bucciarelli dans une déclaration à Anadolu.
Comme pour tout travail journalistique mené dans des zones difficiles, sa préparation a duré plusieurs semaines. Le photographe a dû faire face à de nombreux obstacles : routes bloquées, tireurs d’élite, barrages, et interruptions de communication dues à une faible connectivité.
Bucciarelli a également mis en garde contre l’effet de distorsion du traitement de l’information à l’ère de la rapidité : « Nous traversons une période où vitesse et instantanéité faussent la véritable importance des nouvelles. La technologie renforce cette polarisation des récits et des opinions. »
Il poursuit : « Le journalisme auquel je crois est à l’opposé de cette logique. Il exige du temps. Comprendre une culture, écouter des histoires, établir une empathie avec les gens : tout cela prend du temps. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut documenter fidèlement. »
Pour lui, faire une réelle différence ne passe pas par le sensationnalisme, mais par une plongée profonde dans des réalités complexes, en rendant visibles des histoires souvent ignorées : « Il s’agit de sensibiliser le public et de renforcer sa compréhension de sujets négligés. »
« Tout cela nous rappelle notre immense responsabilité : celle de respecter les personnes photographiées, de faire preuve d’honnêteté et de conscience de l’impact de notre travail », a-t-il affirmé.
Se félicitant de cette reconnaissance, il a déclaré : « Remporter ce prix est une opportunité précieuse pour amplifier le message des histoires que je raconte. »
Enfin, Bucciarelli a salué l’importance de la compétition et de son jury prestigieux : « Istanbul Photo Awards ne se contente pas de valider la valeur d’un travail, il donne aussi une voix à des vérités souvent tues, et permet d’atteindre des lieux et des publics autrement inaccessibles. »
Lauréat en 2021 dans la catégorie "Série Actualité" pour son reportage sur la pandémie de COVID-19 en Italie pour le New York Times, il a conclu en soulignant qu’il maintient depuis un lien fort avec l’organisation, qui continue de tisser un réseau solidaire entre les anciens lauréats.
- « Une histoire de survie, d’adaptation et de résistance silencieuse »
Le photographe Sameer Al-Doumy, de l’agence de presse française AFP, a remporté le deuxième prix dans la catégorie "Marion Mertens Photo unique Vie quotidienne" du concours Istanbul Photo Awards 2025, grâce à un puissant cliché pris à Homs, ville syrienne ravagée par la guerre, illustrant la résilience au cœur du chaos post-régime.
Sur cette image saisissante, on voit un homme vendre des fruits devant un char abandonné, une scène inattendue incarnant la résistance discrète au sein des ruines du conflit.
« Revenir en Syrie après des années d’exil à cause de la guerre a été une expérience étrange et profondément émotive », confie Al-Doumy, soulignant que reprendre son appareil pour documenter cette période charnière de l’histoire du pays a été une démarche « profondément personnelle ».
Il a mis plus de six heures à rejoindre Homs depuis Damas en raison des conséquences du changement de régime. Il explique avoir suivi son instinct et son expérience, plutôt qu’un plan détaillé, pour capturer ce moment.
Son objectif : documenter l’impact du changement de régime sur la vie quotidienne. « En arrivant à Homs et en voyant la scène, j’ai compris que cette image racontait bien plus : une histoire de survie, d’adaptation et de résistance silencieuse », raconte-t-il.
Al-Doumy a misé sur la lumière naturelle et une composition soignée, capturant dans un même cadre les symboles de la mort et de la vie : un tank endommagé et un homme vendant des fruits et légumes.
« Cette image a une signification profonde pour moi. Elle incarne la force et la résilience du peuple syrien qui continue à vivre, envers et contre tout, même dans l’ombre de la destruction », déclare-t-il, insistant sur le fait que l’espoir et l’humanité subsistent même dans les heures les plus sombres.
« Pour moi, cette photo symbolise un retour aux sources, en tant que photographe syrien. C’est une histoire que je ressens le besoin de partager, non seulement en tant que journaliste, mais en tant qu’homme dont la vie a été façonnée par la guerre », confie-t-il encore.
Il poursuit : « Je crois au pouvoir immense et à la responsabilité du photojournalisme. Surtout dans les lieux où les gens souffrent et où leurs voix sont étouffées, notre rôle est de montrer ce qui se passe. »
Le photojournalisme ne provoque pas toujours un changement immédiat, reconnaît-il, « mais il informe, éduque et préserve la vérité. Il crée au moins une trace indélébile, un témoignage. Et cela, c’est déjà immense. »
Enfin, Al-Doumy dit attacher une signification particulière à ce prix : « C’est la première fois que je suis récompensé depuis mon retour en Syrie après la guerre. Cette photo est précieuse pour moi. Elle me donne le courage de continuer à raconter les histoires de ceux qui, comme moi, ont tout perdu… mais jamais l’espoir. »
- Istanbul Photo Awards, vitrine mondiale du photojournalisme engagé
Le concours Istanbul Photo Awards s’impose comme une référence mondiale du photojournalisme, célébrant l’art du récit visuel tout en mettant en lumière des enjeux critiques à l’échelle internationale.
Organisée cette année avec le soutien de Turkcell en tant que sponsor communication, la compétition a également bénéficié de l’appui de l’Agence turque de coopération et de coordination (TİKA) pour ses événements internationaux, et de Turkish Airlines (THY) en tant que sponsor partiel pour les déplacements.
Les photographies primées ainsi que la composition du jury sont accessibles sur le site officiel : istanbulphotoawards.com.
* Traduit du Turc par Adama Bamba