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Israël : Abus sexuels dans les prisons, d'anciennes détenues palestiniennes témoignent

- "Les abus sexuels verbaux font partie d'une politique organisée visant à infliger l'humiliation et la torture à tous les détenus palestiniens, en particulier aux femmes et aux enfants", a déclaré Sahar Francis, directrice d'Addameer

Mourad Belhaj  | 21.09.2020 - Mıse À Jour : 22.09.2020
Israël : Abus sexuels dans les prisons, d'anciennes détenues palestiniennes témoignent

Ankara

AA / Ramallah

Dena Karmi, 41 ans, une Palestinienne qui a passé 16 mois dans une prison israélienne, se souvient d'un douloureux épisode d'abus sexuels qu'elle a subi derrière les barreaux.

Son corps tremble encore en racontant les interrogatoires menés la nuit par les hommes des services de renseignement israéliens. Tout au long de l'interrogatoire, elle a été humiliée et s'est sentie menacée d'abus sexuels extrêmes.

Comme Karmi, de nombreuses femmes palestiniennes ont signalé des abus sexuels, allant de la mise à nu à des fouilles corporelles poussées au moment de leur incarcération dans les prisons israéliennes.

Karmi a déclaré à l'agence Anadolu qu'elle avait été victime de harcèlement sexuel pendant deux jours au centre d'interrogatoire d'Ashqelon.

"Quand j'ai refusé de me déshabiller, la geôlière m'a attaquée. Elle a déchiré mon pantalon et m'a soumise à des fouilles embarrassantes", a-t-elle déclaré en décrivant ses premiers moments au centre de détention.

Karmi a été arrêtée en juillet 2018 chez elle à Hébron - une ville palestinienne du sud de la Cisjordanie, à 30 km au sud de Jérusalem - et a été condamnée à une peine de 16 mois de prison.

Elle a été incarcérée pour avoir prétendument participé à des activités sociales liées au mouvement de résistance du Hamas dans la ville d'Hébron avec six autres femmes.

"Les abus sexuels verbaux font partie d'une politique organisée visant à infliger l'humiliation et la torture à tous les détenus palestiniens, en particulier aux femmes et aux enfants", a déclaré Sahar Francis, directrice d'Addameer (le mot arabe pour conscience) - un groupe de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l'homme.

Elle a ajouté que les autorités israéliennes ont fait du harcèlement sexuel un outil de pression sur les prisonniers, notamment lors des interrogatoires.

Huit jours après sa détention dans la prison de Shikma à Ashkelon, Karmi était très stressée et a perdu conscience à plusieurs reprises.

Selon elle, les enquêteurs ont exploité sa situation et ont utilisé un langage ordurier plein d'insinuations sexuelles.

- Comportement humiliant des enquêteurs

Son mari Nashat Karmi a été tué en 2010, lors d'un affrontement avec l'armée israélienne. Profitant de sa situation de solitude, les enquêteurs l'ont accusée à plusieurs reprises d'avoir eu des relations sexuelles illégitimes.

"C'était horrible et très humiliant, surtout quand l’enquêteur adoptait un comportement lubrique en essayant de me provoquer. Parfois, lors des interrogatoires de nuit, il lui arrivait de se tenir plus près, ou même de montrer des photos déplacées de lui en maillot de bain", a-t-elle déclaré.

La Palestinienne a ajouté que pendant que ses mains étaient menottées derrière elle, le policier s'approchait d'elle jusqu’à en sentir le souffle sur son visage.

Elle a même été accusée d'avoir eu une relation sexuelle avec d'autres agents des services de renseignement, qui l'avaient interrogée plus tôt.

Karmi a rappelé que les séances d'interrogatoire, en particulier pendant la nuit, étaient pénibles, car ces agents se livraient à des abus et utilisaient un langage ordurier et insultant.

"Il (le policier) menaçait de me faire subir des abus sexuels. Puis il m'a emmené avec les gardiens dans une nouvelle cellule. Ils ont passé de nombreuses heures à rire près de la porte, ce qui m'a fait peur. Je croyais qu'il entrerait dans la cellule à tout moment et que je me ferais violer", a-t-elle déclaré.

Une autre prisonnière palestinienne, âgée d'une trentaine d'années, a déclaré à l'agence Anadolu qu'elle avait été victime de harcèlement sexuel dans le véhicule de transfert de prisonniers israélien connu sous le nom de ''bosta'', entre Ramallah et Jérusalem.

" Une des codétenues criminelles israéliennes, assise en face de moi dans la bosta, a commencé à me lancer des insultes à caractère sexuel. On m'a jetée par terre, frappée contre la cage métallique, et j'ai cherché à obtenir de l'aide, mais sans succès. Personne n'a répondu à mes appels. La détenue israélienne a enlevé son pantalon et a fait des gestes sexuels ignobles que je suis incapable de décrire", a-t-elle déclaré tout en requérant l'anonymat.

Elle a déclaré qu'aucun officier de l'unité de Nahshon - responsable du transfert des prisonniers - ne l'a aidée ou n'a empêché la criminelle israélienne de la harceler. Elle a déclaré que cette dernière avait continué à la harceler pendant plus de deux heures.

"Je pleurais, je priais et j’implorais Dieu de m'aider", a-t-elle ajouté.

- Les femmes évitent de parler de ces abus

Tasneem Jubran, psychothérapeute et professionnelle des soins de santé mentale, a déclaré que la plupart des détenues palestiniennes évitent de parler de ces expériences par peur de la stigmatisation, sachant que la culture locale considère le sexe comme s'il s'agissait d'une honte.

"Le harcèlement sexuel est considéré comme un traumatisme qui entraîne des dommages physiques et psychologiques à long terme dans la relation de la victime avec elle-même et son entourage. Il affecte presque la santé sexuelle de la victime si elle ne suit pas de psychothérapie après sa libération", a ajouté le Dr Jubran.

La directrice d’Addameer, Sahar Francis, a déclaré que le système judiciaire israélien ne prend pas au sérieux les plaintes liées au harcèlement sexuel.

"Nous avons documenté et déposé de nombreuses plaintes auprès des tribunaux israéliens et de l'ONU. Mais jusqu'à présent, il n'y a pas de réponse concrète", a-t-elle déclaré.

- Les plaintes s'accumulent

En 2015, Addameer a déposé une plainte contre plusieurs policières qui avaient harcelé physiquement une prisonnière palestinienne, la soumettant à une fouille au corps.

"La police a ouvert une enquête mais aucune inculpation n'a été prononcée. Ce fut le seul cas où la police a accepté de réagir de manière partielle", a ajouté Sahar Francis.

Mais dans la plupart des cas, les autorités n'ont jamais réagi.

"Il existe une incapacité à rendre justice aux victimes de harcèlement, tant au niveau local que global. Les institutions humanitaires internationales doivent jouer leur rôle pour que les responsables répondent de leurs actes et soient traduits en justice", a déclaré la directrice d'Addameer, qui est également avocate et a documenté de nombreuses plaintes au cours des dix dernières années.

Environ 4 300 Palestiniens, dont 41 femmes et 160 mineurs, sont actuellement détenus dans les prisons israéliennes, selon les statistiques palestiniennes.

*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj

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