Grande-Synthe: Le premier camp humanitaire jugé "non conforme" aux normes internationales par les réfugiés
Le camp de réfugiés construit par MSF est le premier camp qui correspond aux normes internationales pourtant les réfugiés qui viennent de s'y installer ne semblent pas être du même avis

Nord-Pas-de-Calais
AA - Grande-Synthe - Bilal Muftuoglu/ F. Esma Arslan
Les réfugiés évacués de la zone boueuse de Basroch (nord de la France) pour s'orienter vers le camp construit par Médecins Sans Frontières (MSF) près de Grande-Synthe se disent "désillusionnés" par ce premier camp humanitaire de France qui devrait correspondre aux normes internationales.
Le nouveau camp composé de 213 cabanons, à 40 kilomètres de la "Jungle" de Calais, est habité en grande partie par un millier de réfugiés, venus essentiellement des régions kurdes de Syrie et d'Irak.
Les journalistes sont accueillis au camp par les responsables de MSF et comme à Calais ce sont majoritairement les associations de soutien aux migrants originaires du Royaume-Uni qui sont présentes sur place.
Les réfugiés ont accès à des vêtements d'hiver, du matériel pour les protéger du froid ainsi qu'à des repas chauds, et peuvent même charger leurs téléphones portables, pourtant très peu d'entre eux disent vouloir rester en France, dans leur commentaire pour Anadolu.
Le camp à Grande-Synthe ne dispose pas de lieux de vie à l'instar des supermarchés ou des restaurants comme la Jungle à Calais, en revanche, certains migrants vendent un paquet de 10 cigarettes pour un euro aux habitants du camp de MSF.
- Les normes internationales "traînées dans la boue"
Le local de vente de cigarettes est devenu un lieu de socialisation à Grande-Synthe où l'équipe d'Anadolu rencontre les habitants de ce nouveau camp, dont Mourad, un Irakien de 38 ans.
Ancien traducteur dans une compagnie internationale à Chaqlawa (nord d'Irak), Mourad a quitté sa ville il y a cinq mois en laissant sa famille en Turquie. Comme les autres migrants dans la région, son seul objectif, c'est d'atteindre le Royaume-Uni.
Mourad réside toujours dans sa tente qu'il a ramenée de Basroch alors qu'il est formellement interdit de dormir en dehors des cabanons sur le site du camp.
"Ces cabanons sont conçus pour des poulets et non pas pour des êtres humains. Nous sommes supposés de rester dans ce cabanon qu'on dirait un poulailler. Quatre personnes sont supposées de rester dans un seul cabanon alors qu'il pourrait accueillir à peine une seule personne", regrette-t-il.
Mourad montre les ourlets de son pantalon traînés dans la boue, affirmant, "Tout est couvert de boue. Il fait un froid glacial dans les cabanons. Peut-on vraiment parler des normes internationales?"
Hassan, un géologue irakien de 34 ans, explique qu'il souhaite également atteindre le Royaume-Uni, disant notamment: "La France est un beau pays mais on n'a pas l'occasion de vivre humainement dans ce pays. Nous sommes jugés dignes de ces camps. J'ai mon frère et mes amis au Royaume-Uni. Ceux qui sont partis, sont contents de leur vie. Ils peuvent au moins avoir accès au travail et vivre dignement".
Le passage clandestin au Royaume-Uni a pourtant un coût considérable pour les migrants. Ces derniers doivent souvent s'acquitter d'une somme de 5 000 livres aux passeurs qui les dissimulent par la suite dans les tuyaux, leur permettant de traverser la Manche.
Les migrants reconnaissent que le passage était plus facile jusqu'il y a six mois, pourtant les chiens policiers et les fils barbelés autour des voies ferrées qui vont vers le tunnel sous la Manche ont rendu la tâche presque impossible.
- L'affiche de Justin Bieber, "symbole de l'espoir"
L'affiche du chanteur Justin Bieber apparaît sur la façade d'un de ces cabanons, en guise du "symbole de l'espoir" dans ce camp battu par la pluie torrentielle.
Le propriétaire de ce cabanon avec l'affiche de Bieber est Fasil, un jeune Koweitien de 22 ans, vivant précedemment en Syrie avant d'atteindre l'Europe. Expliquant l'histoire derrière cette affiche, Fasih indique qu'il l'a achetée dans une boutique à Calais pour faire plaisir à sa sœur.
"Je n'aime pas Justin Bieber mais ma sœur est un grand fan. Le fait de voir l'affiche me donne de l'espoir et fait rire aux passants. Le rire, c'est peut-être ce dont nous avons besoin le plus ici", estime-t-il.
Ayant dû interrompre ses études en Syrie, Fasil rêve de pouvoir les poursuivre en Angleterre. "Je n'ai pas des rêves farfelus", explique-t-il. "Je rêve d'une vie ordinaire. Une vie qui permet d'avoir du travail après mes études. Une vie qui permet de fonder une famille et vivre comme les autres".
Fasih pose avec un coussin recouvert de l'icône "smiley face" (Visage souriant) et exprime son plus grand souhait: "Jugez-nous comme des êtres humains et non pas comme des migrants. Nous avions tous une vie avant cette misère. Aidez-nous à reconstruire nos vies".
- Le camp déjà menacé de fermeture à peine après son inauguration
Les réfugiés qui viennent de trouver refuge dans le camp de MSF pourront à nouveau être privés de logement dès lors que le camp risque la fermeture à peine quelques jours après son inauguration.
Dans une déclaration parue sur le site web de MSF et signée par plusieurs associations humanitaires, dont Amnesty, Croix Rouge Française et Médecins du Monde, les ONG ont dénoncé le "cynisme hors norme" de l'Etat français qui a envoyé une lettre de mise en demeure à la mairie de Grande-Synthe sur l'ouverture "précipitée" du camp.
Le camp privé de MSF serait "préjudiciable à la sécurité de centaines de personnes" et ne respecterait les normes de construction, selon les autorités françaises, rapporte la déclaration.