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Gaza : Pour Tariq Ramadan, l’Occident fait de l’humanitaire par déficience du politique

- Dans un entretien accordé à Anadolu, le politologue est revenu sur la manière dont le monde occidental utilise l’aide humanitaire pour masquer l’absence de solution politique au Proche-Orient

Feiza Ben Mohamed  | 15.11.2023 - Mıse À Jour : 20.11.2023
Gaza : Pour Tariq Ramadan, l’Occident fait de l’humanitaire par déficience du politique

France

AA/Nice/Feïza Ben Mohamed

L’offensive Israélienne menée sans répit dans la Bande de Gaza continue, depuis plus d’un mois, de tuer des milliers de bébés, d’enfants, de femmes et d’hommes innocents, de manière indiscriminée.

Malgré les exactions documentées par des ONG, des agences de presse et des témoins, de nombreux pays occidentaux, dont la France, restent très frileux lorsqu’il s’agit d’appeler à un cessez-le-feu.

Préférant, pendant plusieurs semaines, se limiter à plaider pour une « trêve humanitaire », le président français Emmanuel Macron a fini, samedi, par exhorter Israël à mettre un terme aux « bombardements qui tuent des civils à Gaza » sans pour autant être clair sur un appel solennel à un cessez-le-feu.

Dans un entretien à Anadolu, le professeur Tariq Ramadan est revenu sur la manière dont le monde occidental utilise l’aide humanitaire pour masquer l’absence de solution politique au Proche-Orient.

Il estime en effet que cette stratégie est bien connue et habituelle en ce qui concerne la question Palestinienne.

« Quand on voit ce qui est en train de se passer, comment comprendre cet espèce d’élan humanitaire quand on ne fait pas le minimum de l’action politique ? C’est le miroir grossissant de ce qui a toujours été la politique occidentale dans la région », note le politologue qui souligne « qu’à Gaza, depuis 2007 où tout est fermé, on a voulu traduire à la face du monde que la question palestinienne était une question humanitaire et pas une question politique ».

Revenant sur la chronologie des événements récents, Tariq Ramadan relève que « l’opération du Hamas » menée le 7 octobre, a conduit à une « réponse de Netanyahu » consistant à affirmer « que tout homme du Hamas est un homme mort » et provoquant ainsi « des milliers de morts dans la population palestinienne et qu’on appellera des dommages collatéraux ».

« Donc en fait, chaque six mois, chaque année, Israël bombarde, détruit tout et puis on demande aux gens « faites des dons, il faut humanitairement, avec l’UNRWA, avec les autres, donner des dons pour reconstruire ». C’est à dire qu’on fait de l’humanitaire par la déficience du politique et en ayant dans la déficience du politique, la non-reconnaissance des droits des palestiniens et on va transformer ceci en une cause humanitaire », poursuit le spécialiste.

Mais comme de nombreux observateurs ces dernières semaines, Tariq Ramadan tient à contextualiser les événements récents en mentionnant la question centrale de l’occupation des terres palestiniennes, souvent occultée des débats politiques.

« Les Palestiniens ne sont pas aujourd’hui victimes d’abord d’une réalité de famine ou de catastrophe naturelle. Ils sont victimes d’une occupation injuste, discriminatoire, d’un apartheid structurel et organisé et d’un racisme ordinaire. Donc leur envoyer de l’argent pour construire ou reconstruire des écoles qui ont été détruites auparavant, ce n’est pas acceptable dans la gestion des choses », grince l’écrivain suisse.

Selon lui, « la réponse de l’Occident qui est de dire « on ne va même pas demander un cessez-le-feu politique mais on revendique humainement un acte de solidarité en envoyant ici et là, des aides », relève non seulement d’un certain « cynisme mais est également le trait grossissant de ce qui se passe depuis 56 ans et en particulier depuis les élections et l’enfermement de Gaza en 2007 ».

Tariq Ramadan déplore, par ailleurs, l’absence d’opposition à la politique menée par Benyamin Netanyahu parmi les dirigeants internationaux.

« Il n’y a personne, sur son chemin, qui arrête Netanyahu. Même Biden poursuit avec lui en lui disant simplement qu’il ne faut pas aller trop fort. Il lui dit qu’il faut faire attention sans donner de limites », déplore le politologue qui note que « la seule chose sur laquelle il donne l’impression d’avoir un peu de retenue c’est l’invasion » mais qu’il s’agit de « considérations internes au gouvernement israélien et à la gestion militaire ».

Et de poursuivre : « Il y a deux éléments qu’il n’avait pas prévus: le premier c’est la prise d’otages (…) et le second c’est qu’ils ne savent pas si en entrant dans la Bande de Gaza, ils feront face à un piège ».

S’agissant du volet médiatique de cette guerre, Tariq Ramadan estime qu’Israël se rend compte « que d’un point de vue médiatique, la guerre n’est pas gagnée parce qu’il y a en Occident comme dans le monde entier, énormément de gens qui se disent que ça va beaucoup trop loin et que face à la radicalité de certains israéliens et de certains soutiens, il y a un grand sentiment de malaise sur le plan international ».

« Macron, c’est ce qu’on a toujours vu : quand on est avec Israël on est directement sur leur ligne et puis ensuite avec les arabes et les Palestiniens, on a une position qui n'est jamais véritablement claire sur le plan politique mais toujours assez ouverte sur le plan humanitaire », tranche Tariq Ramadan.

À ce stade, si la France évoque désormais timidement un cessez-le-feu, la communication de la diplomatie et du gouvernement se focalise principalement sur un appel à une trêve humanitaire.

Mardi après-midi, la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna a réitéré devant l’Assemblée nationale, sa demande « de trêve humanitaire immédiate qui ensuite pourra mener à un cessez-le-feu ».

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