Francesca Albanese : ‘’La convenance politique éclipse le droit international dans les efforts pour punir Israël’’
- Les mandats d’arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant soulignent pour la première fois que des dirigeants alliés de l’Occident sont tenus responsables, a déclaré à Anadolu la Rapporteure spéciale de l’Onu, Francesca Albanese

Geneve
AA / Genève / Beyza Binnur Donmez
Malgré des mesures historiques telles que les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI), la convenance politique continue de faire de l’ombre et d’annuler la force du droit international quand il s’agit de demander des comptes à Israël, déclare la Rapporteure spéciale de l’Onu sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese.
‘’Je crois que les mandats d’arrêt de la CPI constituent une décision historique. C’est la première fois qu’ils sont émis contre des dirigeants considérés comme occidentaux, car Israël fait partie du bloc occidental… Il est important de faire progresser l’application du droit international, en particulier lorsqu’il s’agit de crimes atroces’’, a déclaré Albanese dans une interview accordée à Anadolu.
Cependant, a-t-elle poursuivi, des pays, comme la Hongrie, l’Italie et la France, ont avancé des prétextes ou déclaré qu’ils n’appliqueraient pas les mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant.
‘’Certains disent qu’ils doivent interpréter la signification des mandats d’arrêt émis par la CPI. Il n’y a rien à interpréter. Il y a un ordre de la plus haute juridiction pénal du monde qui doit être exécuté’’, a-t-elle déclaré.
Tous les États parties au Statut de Rome ‘’doivent arrêter toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI’’, a-t-elle souligné, rejetant la récente affirmation de la France selon laquelle Netanyahu bénéficie d’une immunité contre les mandats d’arrêt car Israël n’est pas ‘’un État partie à la CPI’’.
‘’Cela veut dire que la convenance politique continue d’éclipser la force, la solidité du droit international. C’est une façon de détruire, d’invalider et d’annuler la fonction de protection dont dispose le droit international’’, a-t-elle ajouté.
Albanese a pointé l’inaction de la communauté internationale malgré les preuves de plus en plus nombreuses démontrant l’intention directe d’Israël de détruire les Palestiniens en tant que groupe, qui ont constitué la base des conclusions de son récent rapport intitulé ‘’L'effacement colonial par le génocide’’, présenté à l’Assemblée générale des Nations unies.
‘’Les preuves démontrant l’intention directe israélienne sont devenues de plus en plus disponibles, de plus en plus ostentatoires, car il est clair qu’Israël a détruit Gaza et détruit la vie des Palestiniens à Gaza, également dans le cadre de ses efforts de plusieurs décennies pour éliminer la vie palestinienne, l’identité palestinienne, de ce qui reste de la Palestine’’, a-t-elle insisté.
**La terminologie de génocide ‘’rencontre moins d’hostilité’’
Concernant l’importance de qualifier les actions d’Israël de génocide, Albanese a souligné que les Palestiniens ne pourraient jamais être ‘’efficacement protégés si les graves menaces auxquelles ils sont confrontés de la part d’Israël ne sont pas comprises’’.
À Gaza, Israël a tué ou blessé près de 150 000 Palestiniens, en majorité des femmes et des enfants, depuis les attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 contre l’État hébreu, tandis qu'un blocus permanent et délibéré a entraîné de graves pénuries de denrées alimentaires, d'eau potable et de médicaments, menant la population gazaouie au bord de la famine.
‘’Il faut rendre des comptes pour les actes de génocide, car l’intention de détruire, la détermination et l’état d’esprit de détruire sont pleinement évidents’’, a déclaré Albanese.
‘’Il s’agit d’appeler un chat un chat. Si vous allez chez le médecin et qu’on vous diagnostique le mauvais problème, alors le mauvais remède sera probablement prescrit’’, a-t-elle expliqué.
Parmi les petits progrès réalisés, la rapporteure de l’Onu, cite le fait que ‘’l’utilisation de la terminologie liée au génocide rencontre désormais moins d’hostilité qu’auparavant’’.
L’un des objectifs de ses enquêtes et de ses rapports était ‘’d’offrir aux gens la possibilité de comprendre ce qu’est un génocide’’, a-t-elle déclaré.
‘’De toute évidence, nous sommes toujours très confus, quel que soit le nombre de génocides commis, donc cela a servi à des fins éducatives, tout en rappelant aux États membres leurs responsabilités’’, a soutenu l’experte de l’Onu Albanese.
‘’Je vois que même dans le langage utilisé dans les mandats d’arrêt émis par la CPI, en particulier contre les dirigeants israéliens, il est fait référence à la création de conditions calculées pour détruire le groupe ou pour provoquer la famine ou la mort, donc c’est un langage qui résonne avec l’analyse du génocide’’.
‘’La triste réalité, cependant, est que les États membres occidentaux n’agissent pas en conséquence’’, a-t-elle déclaré, alors que la plupart des personnalités politiques de l’Onu ’’s’abstiennent également d’utiliser le terme de génocide’’.
‘’Je ne conteste pas ce qu’ils disent, ni la validité de ce qu’ils disent. Je dis simplement qu’il y a eu suffisamment d’enquêtes… Nous ne pouvons pas attendre qu’un génocide soit terminé avant d’agir’’, a déclaré la rapporteure onusienne.
‘’Lorsqu’il s’agit d’Israël, il y a, y compris à l’Onu, une réticence à traiter Israël pour ce qu’il fait, pour la conduite et les actes réels qu’il commet, en particulier vis-à-vis des Palestiniens, mais aussi vis-à-vis des Libanais’’, a-t-elle fait observer.
D’un autre côté, a-t-elle ajouté, il y a aussi des États membres comme l’Afrique du Sud et les autres qui ont rejoint sa plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice. ‘’Les choses bougent donc, mais très lentement’’, a déclaré Albanese.
**’’La nouvelle administration américaine semble plus pro-israélienne que jamais’’
Abordant la dynamique internationale, Albanese a exprimé son pessimisme quant à l’impact que pourrait avoir le second mandat de Donald Trump en tant que président élu des États-Unis sur les efforts mondiaux visant à faire pression sur Israël et à demander des comptes à ses dirigeants.
‘’La nouvelle administration américaine semble plus pro-israélienne que jamais, il y a donc de fortes chances que la situation continue à empirer… Cela laisse peu de place à l’espoir d’une amélioration’’, a déclaré la rapporteure des Nations unies.
‘’J’espère vraiment que de nombreux pays, notamment occidentaux, qui ont déjà montré qu’ils n’avaient que très peu d’intérêt à respecter le droit international, vont faire marche arrière par rapport à leur alliance étroite avec les États-Unis’’, a-t-elle souligné.
C’est une perspective peu probable car cela ‘’signifie la dissolution de l’ordre que nous avons eu depuis l’après-Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui’’, a-t-elle expliqué.
Abordant le récent cessez-le-feu entre Israël et le Liban, Albanese a rejeté la possibilité qu’il se traduit par une trêve à Gaza, une affirmation soutenue par plusieurs pays comme les États-Unis.
‘’Je ne pense pas que le cessez-le-feu au Liban aura un impact pour parvenir à un cessez-le-feu à Gaza’’, a-t-elle déclaré.
‘’Israël avait ses propres préoccupations et raisons de conclure un cessez-le-feu avec le Liban, alors qu’il n’y a pas de pression – de l’intérieur comme de l’extérieur – suffisamment importante pour forcer Israël à stopper son assaut sur Gaza’’, a-t-elle déclaré.
Etant donné les conditions de vie "inacceptables" des Palestiniens à Gaza, il appartient à tous les "citoyens du monde de se mobiliser pour s’assurer que nos dirigeants politiques respectent le droit international et suspendent leurs relations avec Israël – militaire, stratégique, économique, et politique’’, a-t-elle souligné.
‘’C’est le moment de penser à des sanctions et de traiter Israël comme un État qui commet des crimes internationaux’’, a plaidé Francesca Albanese.
*Traduit de l’anglais par Majdi Ismail
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