France / Violences policières : un rapport dénonce "l’impunité"
– Selon l’ONG Flagrant déni, alors que les violences policières augmentent, les mécanismes de contrôle de la police sont trop opaques et inefficaces.
Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Un rapport d’enquête publié le 18 novembre par l’ONG Flagrant déni accuse le système français de contrôle des forces de l’ordre de favoriser l’impunité des policiers auteurs de violences.
Dans un rapport intitulé « Polices des polices : pourquoi il faut tout changer », Flagrant déni détaille les dysfonctionnements structurels des instances chargées de traiter les plaintes contre les policiers. L’organisation s’appuie sur des données obtenues du ministère de la Justice, des témoignages de victimes, d’avocats, de chercheurs et de membres des forces de l’ordre.
L’ONG constate que les cas de violences par personne dépositaire de l’autorité publique (PDAP) ont augmenté de près de 60 % en huit ans, passant de 700 affaires en 2016 à 1 110 en 2024. Dans le même temps, les effectifs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) sont en baisse, ce qui entraîne, selon Flagrant déni, une prise en charge plus fréquente des plaintes par d’autres entités peu connues, comme les cellules déontologie départementales.
Ces cellules, présentées comme de simples relais locaux pour des affaires mineures, traitent en réalité une grande part des dossiers, y compris certains cas graves, selon l’enquête de l’ONG. À travers une cartographie réalisée à partir d’archives de presse, le rapport montre que des affaires impliquant des interruptions temporaires de travail (ITT) supérieures à 8 jours ont été confiées à ces structures locales, en dehors du cadre fixé par les directives officielles.
Pour Flagrant déni, ces cellules présentent une indépendance encore plus réduite que l’IGPN. Rattachées au directeur départemental de la sécurité publique, elles enquêtent parfois sur des collègues proches. « C’est le placard qui sert à se débarrasser d’un grand nombre de procédures », dénonce Maître Nicolas Chambardon, avocat à Marseille. Aucun des dossiers qu’il a déposés via ces cellules n’a abouti à des poursuites.
Autre point mis en lumière : le taux d’élucidation. Alors qu’il était déjà faible, il serait aujourd’hui tombé à 25 % pour l’ensemble des enquêtes pour violences policières, selon les calculs de Flagrant déni. En cause, selon l’ONG, un système hiérarchique verrouillé, un manque de moyens et une opacité chronique. L’IGPN elle-même reconnaît ne traiter que 10 % des affaires. Le reste est confié à des services moins transparents et peu contrôlés.
Flagrant déni affirme que cette situation contrevient aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui impose une indépendance structurelle entre enquêteurs et mis en cause dans les affaires de violences policières. Le rapport cite plusieurs cas illustrant cette proximité problématique, et dénonce un système « où l’on auditionne quelqu’un avec qui on a pu aller boire un café ou fumer une clope ».
Au-delà du constat, le rapport formule plusieurs propositions : sortir l’IGPN de la tutelle du ministère de l’Intérieur, créer un corps indépendant d’inspecteurs, harmoniser les pratiques des cellules déontologie et faciliter l’accès à la plainte pour les victimes. L’ONG demande également la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, suivie d’une réforme législative.
Dans une interview intégrée au rapport, le sociologue Sébastian Roché souligne que la France reste en retard par rapport à d’autres pays européens sur le contrôle des forces de l’ordre. Il estime que le système français est « sous-dimensionné » et appelle à un changement profond.
Ce rapport intervient alors que la défiance envers les institutions policières s’intensifie, notamment depuis les affaires médiatisées comme celle de Sainte-Soline, où plusieurs manifestants ont été gravement blessés sans qu’aucune mise en cause ne soit prononcée deux ans après les faits.
