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France : "Séparatisme" et "antisémitisme" à Sciences Po : les accusations du gouvernement font "pschitt"

- Anadolu a enquêté sur la réalité des faits survenus à Sciences Po cette semaine, alors que la bulle politico-médiatique sur la mobilisation pro-palestinienne ne désenfle pas

Ümit Dönmez  | 15.03.2024 - Mıse À Jour : 15.03.2024
France : "Séparatisme" et "antisémitisme" à Sciences Po : les accusations du gouvernement font "pschitt"

Ile-de-France

AA / Paris / Ümit Dönmez

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L'événement du 12 mars 2024 à Sciences Po Paris, où une étudiante de l'Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) se serait vue refuser l'entrée d'un amphithéâtre, lors d’une mobilisation pro-palestinienne, a suscité une importante controverse politique et médiatique.

Selon des affirmations du Gouvernement français, des accusations de propos "antisémites" tenus à l'encontre de cette étudiante auraient émergé.

Aurore Bergé, ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, a nommément qualifié ces faits supposés "d'antisémitisme". Le Président français Emmanuel Macron et la Porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, ont fait écho aux propos qui auraient été tenus envers l'étudiante, en déclarant qu'ils étaient "inqualifiables et parfaitement intolérables", allant jusqu'à dénoncer un "début de séparatisme" à Sciences Po.

Anadolu a interrogé des étudiants et mené son enquête pour tenter de porter la lumière sur ce qu'il s'est passé le mardi 12 mars à Sciences Po et analyser la communication sur ces faits, mise en place par l'Exécutif français.


- Déroulé des faits

Ce mardi, une centaine d'étudiants se sont rassemblés dans l'amphithéâtre principal de Sciences Po (Boutmy) dans le cadre d'une "journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine". Des tensions ont éclaté lorsque l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) a rapporté qu'une de ses membres avait été empêchée d'accéder à l'amphithéâtre et que des propos accusatoires avaient été tenus à son encontre.

L'UEJF a affirmé que des membres de leur association auraient été ciblés comme "juifs et sionistes". Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), a quant à lui évoqué un "antisémitisme d'atmosphère". Cependant, de nombreux témoignages soutiennent que l'étudiante de l'UEJF a été empêchée d'entrer pour des raisons de sécurité liées à son implication dans le cyberharcèlement contre des étudiants pro-palestiniens, avant d'être finalement autorisée. Différents témoins de la situation ont précisé que d'autres étudiants de l'UEJF avaient pu participer au rassemblement sans en être empêchés à aucun moment, démentant ainsi les accusations d'antisémitisme. L'étudiante de l'UEJF a déclaré à la presse qu'elle n'avait pas entendu de propos antisémites. Cela n'a pas empêché l'emballement médiatique, sans vérification exhaustive des faits, qui a pris le relais...

- Réaction de l'Exécutif


Suite aux faits rapportés par la presse, le Président français, Emmanuel Macron, a vivement réagi à ces événements. Lors du Conseil des ministres, ce mercredi 13 mars, il a dénoncé des propos "inqualifiables et parfaitement intolérables". Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement, a relayé la position du chef de l'État : "bien que les établissements universitaires bénéficient d'une autonomie, celle-ci ne saurait excuser des actes de séparatisme". Puis, s'est ensuivi la surenchère de la ministre Aurore Bergé.

Le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé une saisie de justice conformément à l'article 40 de la procédure pénale. Le chef du gouvernement a ensuite annoncé l'ouverture d'une enquête pour "établir le déroulé des faits", Attal ne qualifiant pas lui-même les dérives qu’il a dénoncées. Il a évoqué "une forme de lente dérive liée à une minorité agissante qui veut imposer une forme de penser dominante au sein de cette institution qui fait partie des écoles qui forment une partie des cadres dirigeants de l'État et de la fonction publique".

Sciences Po "saisit le procureur de la République de Paris" et "ouvre une enquête administrative" à la suite d’événements "à caractère antisémite" survenus le 12 mars, lors du rassemblement à l’amphi Boutmy, a indiqué l’établissement par communiqué publié le 13 mars 2024.

Le "Comité Palestine" de Sciences Po" a, pour sa part, déclaré être "faussement accusé d’être un groupe antisémite" et dénoncé des "allégations infondées". Dans ce contexte complexe, cette polémique a conduit à une manifestation non autorisée le 14 mars, où des étudiants et sympathisants se sont rassemblés pour exprimer leur solidarité avec la Palestine, alors que les bombardements israéliens se poursuivent dans la bande de Gaza.

- Des témoignages

Interrogée ce jeudi 14 mars par Anadolu, Ludmila, étudiante à Sciences Po, a déclaré s'être trouvée impliquée malgré elle dans la manifestation interdite par la préfecture de police, mais conteste la version des faits, rapportée dans les médias, affirmant que l'incident était dû à une reconnaissance de l'étudiante par le service d'ordre, sans lien avec son appartenance religieuse, mais pour son "implication dans d'autres problèmes de cyberharcèlement contre des militants et des militantes pro-palestiniens" de Sciences Po. Une autre étudiante filmée de façon anonyme a corroboré cette version, accusant les médias de propager des informations non vérifiées. Elle a également précisé que l'étudiante de l'UEJF avait ensuite été autorisée à entrer dans l'amphithéâtre.

Interrogée sur les réactions de l'Exécutif, notamment du Président Emmanuel Macron, Ludmila a estimé que "c'est extrêmement regrettable qu'il se soit permis de commenter sur une situation où les faits n'étaient pas encore vérifiés" ajoutant que "ce qui se passe en ce moment à Sciences Po, a beaucoup été instrumentalisé [...] et qu'il faudrait au moins faire un minimum de vérification avant d'avoir des accusations d'antisémitisme envers les gens".

À propos de l'enquête ouverte, Ludmila a estimé que "les faits sont de notre côté", et ne pas être "particulièrement stressée par la chose". S'agissant de la forte présence policière pour empêcher la tenue d'une manifestation de soutien à la solidarité avec la Palestine près de Sciences Po, elle a rappelé qu'elle n'avait pas prévu de prendre part à la mobilisation. L'étudiante a fait état d'un "environnement de répression envers les sentiments de solidarité pro-palestinienne".


- "Polémique relayée par le gouvernement"

Thomas Portes, député LFI, a également pris part à la manifestation, soutenant les étudiants et critiquant la réponse du gouvernement. Il a remis en question la réaction rapide de Gabriel Attal et la direction de Sciences Po, les accusant de judiciariser le mouvement de soutien à la Palestine.

Au micro d'Anadolu, le député a dénoncé "la polémique qui a été montée par l'extrême droite, relayée par le gouvernement et par une partie des médias français, pour faire croire que la mobilisation des étudiants, cette semaine à Sciences Po, était une mobilisation antisémite. C'était une mobilisation contre le génocide à Gaza, en soutien du peuple palestinien", a-t-il souligné.

"Je suis venu ici apporter mon soutien aux étudiants de Sciences Po qui se sont mobilisée ce soir, pour dénoncer ce qui se passe, pour dénoncer le génocide, et continuer à alerter sur le massacre du peuple palestinien", a ajouté Thomas Portes.

Il a rappelé le témoignage de l'étudiante de l'UEJF dans la presse, "qui dit qu'elle n'a pas été empêchée d'entrer, qu'elle a pu entrer, qu'elle a elle-même quitté la conférence après et qu'elle n'a pas entendu d'insultes et de propos antisémites : ça, c'est la version de l'étudiante de l'UEJF qui l'a dit aujourd'hui dans les colonnes du Parisien", a-t-il rappelé.

"L'attitude de Gabriel Attal, qui s'est rué à Sciences Po pour saisir la justice ; la direction de Sciences Po qui a fait un premier communiqué pour dire qu'il n'y avait pas eu de propos antisémites, mais finalement, sous pression du gouvernement, a saisi aussi la justice. C'est absolument ridicule. Et, en vérité, la judiciarisation du mouvement de soutien à la Palestine n'a qu'un objectif : faire taire aujourd'hui celles et ceux qui se mobilisent en France, qui se mobilisent tous les jours, chaque semaine, pour dénoncer un massacre, un génocide et l'inaction du Gouvernement français", a conclu le député LFI.

Par voie d'une tribune publiée ce jeudi dans les Blogs Mediapart, des "étudiant·es juif·ves de Sciences Po" ont déclaré qu'il "refus[ent] d’être instrumentalisé·es pour justifier la répression des mobilisations pro-palestiniennes".


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