France : Quand la justice a du mal à reconnaître ses erreurs
- Chaque année en France, environ 150 condamnés saisissent la Cour de révision pour obtenir l’invalidation de leur jugement. Depuis 1945, seules 12 personnes ont été réhabilitées.

France
AA/Paris/Fatih KARAKAYA
Farid El Haïry, reconnu victime d'une erreur judiciaire il y a quelques jours, est devenu le 12ᵉ condamné, depuis 1945, à pouvoir dire « finalement, je vous avais bien dit que j’étais innocent ».
En effet, l’homme de 41 ans aujourd’hui, avait été condamné en 2003 pour le viol d'une adolescente. Cependant, tout avait basculé en 2017, lorsque la supposée victime avait avoué avoir menti en accusant à tort le jeune homme de 17 ans à l’époque.
Ce n’est donc qu’en 2022 que l’homme a réussi à faire annuler la décision de justice qui le condamnait, chose rare dans le paysage judiciaire français, puisque depuis 1945 seules 11 personnes avant lui ont eu droit à cette reconnaissance.
En effet, la Cour de révision revient rarement sur une décision de justice et le cas de Farid El Haïry nous permet de rappeler les autres victimes de cette justice qui se trompe et ne le reconnaît qu’occasionnellement.
- Jean Deshays, accusé d'avoir assassiné un fermier
C’est en 1949 que Jean Deshays, docker de profession, accusé d'avoir assassiné un fermier, est condamné à 20 ans de travaux forcés. Dès 1952, les enquêteurs vont toutefois découvrir que les vrais tueurs sont Roger Dutoy, Raymond Pruvost et Georgette Petit qui sont reconnus coupables et condamnés le 13 mars 1954 pour cet assassinat.
Jean Deshays sera rejugé après révision et acquitté en 1955 et obtiendra 5 millions de francs de réparation.
- Jean-Marie Deveaux, condamné pour le meurtre de la fille de ses employeurs
La victime suivante de la machine judiciaire s’appelle Jean-Marie Deveaux. Il a été condamné à 20 ans de réclusion en 1963 pour le meurtre de Dominique Bessard, la fille de ses employeurs pour lesquels il travaillait comme apprenti-boucher. L’affaire Bessard avait été un cas difficile, car le suspect avait avoué dans un premier temps avant de se rétracter plus tard.
Alors que le meurtrier de la petite fille n’a jamais été retrouvé, et après un long combat de plusieurs années mené par l’avocat André Soulier, Jean-Marie Deveaux est de nouveau jugé en 1969 et finalement acquitté.
C’est d’ailleurs suite à cette affaire que la Loi de 1970 instaure l’indemnisation de personnes emprisonnées injustement avant d’être innocentées par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Jean-Marie Deveaux touchera, d'ailleurs, 125 000 francs en 1972.
- Roland Agret condamné pour l'assassinat d'un garagiste
Quant à Roland Agret, il obtient la révision de son procès et son acquittement seulement en 1985, après plus d'un an de grève de la faim et une grâce présidentielle pour raisons médicales en 1977.
Il avait été condamné à 15 ans de réclusion en 1973 pour l'assassinat d'un garagiste et passera 7 ans en prison.
Après sa réhabilitation, il a consacré sa vie à la dénonciation des dysfonctionnements de la justice, notamment en créant l’association « Action Justice » qui vise à aider les personnes condamnées victimes des dysfonctionnements judiciaires.
En 2005, il s’était tiré une balle dans le pied pour protester contre « la faible indemnisation de 250 000 francs qu’il avait reçus en 1985 » avant d’obtenir gain de cause et de recevoir 500 000 euros en 2005. Il est décédé en 2016 à l’âge de 74 ans.
- Guy Mauvillain, condamné pour le meurtre d'une vieille dame
Après quelques déboires judiciaires, Guy Mauvillain se marie et devient comptable. Pourtant, la justice le rattrape de nouveau et en 1975, il est condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'une professeure de piano de 76 ans. Comme Roland Agret, il obtient aussi, la révision puis l’acquittement en 1985 et touche alors 400 000 francs d’indemnisation.
Alors que Guy Mauvillain décède en 2003, la justice n’a jamais trouvé l'assassin de la professeure.
- Rida Daalouche, condamné pour le meurtre d’un dealer
Malgré son alibi irréfutable, Rida Daalouche, passe cinq ans en prison. En effet, ce Tunisien a été condamné en 1994 à 14 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d’un dealer alors que lui-même était un toxicomane.
Ce n’est seulement qu’en 1998 que sa famille parvient à montrer qu'il était en cure de désintoxication au moment des faits. Libéré à la même date, sa condamnation a été complètement annulée en 1999.
Sa demande d'indemnisation est rejetée au motif « qu’il est en partie responsable de son incarcération parce qu'il n'a pas su indiquer où était ».
- Patrick Dils, condamné pour le meurtre de deux enfants
En 1989, la justice condamne Patrick Dils, un jeune garçon de 16 ans, à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre de deux jeunes garçons commis en 1986 à Montigny-lès-Metz (est).
Alors qu’il clame son innocence depuis le début, il obtient la révision de son procès en avril 2001. Mais, il est quand même condamné, à 25 ans, en juin 2001. Un an plus tard, il est finalement acquitté en appel après avoir passé 15 ans en détention. Les enquêteurs prouvent que le meurtrier de ces deux garçons est un certain Francis Heaulme, tueur en série qui sera définitivement condamné en 2020.
L'État est condamné à verser à Dils la somme d'un million d'euros au titre d'indemnisation. C'est un record dans l'histoire judiciaire française.
- Loïc Sécher, condamné pour viol
Loïc Sécher a été condamné en 2003 à 16 ans de réclusion criminelle pour des viols sur une adolescente. Sa condamnation avait été annulée en 2010, dès que la supposée victime se rétracte. Il sera finalement acquitté pour de bon, à l'issue de son procès en révision, en 2011. Il passa sept ans derrière les barreaux.
En 2012, après avoir réclamé 2.4 millions d’euros d’indemnisation, il recevra finalement environ 800 000 euros et décèdera 7 ans plus tard à l’âge de 60 ans.
- Marc Machin, condamné pour le meurtre d'une femme
Malgré son jeune âge, Marc Machin est déjà connu de la justice. Lorsqu’il a 19 ans, il est reconnu coupable du meurtre d’une femme et est condamné en 2004 à 18 ans de réclusion.
Après les aveux du vrai criminel, il est acquitté au terme de son troisième procès en décembre 2012, deux ans après l'annulation de sa condamnation.
Depuis sa sortie de prison en 2008, Marc Machin continue d’avoir des problèmes de comportement et est poursuivi pour plusieurs chefs d’inculpation.
- Abdelkader Azzimani et Abdelrrahim El Jabri, condamnés pour meurtre
Une autre affaire de révision concerne cette fois deux personnes. En effet, Kader Azzimani, 50 ans, et Brahim El Jabri, 49 ans, ont passé respectivement 11 ans et demi et 13 ans derrière les barreaux pour le meurtre d'Abdelaziz Jhilal, 22 ans, en 1997. La cour d'appel de Perpignan les avait condamnés en 2004 à 20 ans de réclusion criminelle.
Alors qu’ils avaient toujours clamé leur innocence, l'affaire avait finalement rebondi en mars 2011 avec la mise en cause de Michel Boulma et Bouziane Helaili.
En 2016, les deux victimes de l'erreur judiciaire ont obtenu, chacun, 480 000 euros d’indemnisation. Leurs familles bénéficient également de 490 000 euros au total.
- Christian Iacono, condamné pour viols sur son petit-fils
L’affaire Christian Iacono fût une des affaires la plus médiatisée de France donnant même lieu à une série sur Netflix. Alors qu’il était maire de Vence (sud), il avait été condamné à neuf ans de prison en 2009 puis en appel deux ans plus tard, pour des viols sur son petit-fils. Ce dernier avait soutenu pendant 11 ans avoir été violé par son grand-père avant de se rétracter en 2011. L'élu avait alors passé 16 mois en prison avant d’être acquitté en mars 2015 et sa condamnation a été annulée en février 2016. La même année, il a obtenu 700 000 euros d’indemnités tandis qu’il réclamait 2.2 millions d’euros.
Désormais, Farid El Haïry va batailler pour avoir une indemnisation à la hauteur de ses préjudices. L’annulation de son procès est déjà une grande victoire pour lui puisque selon les médias français, environ 150 condamnés saisissent chaque année la Cour de révision pour obtenir, sans succès, l’invalidation de leur jugement.
Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.