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France : Musulmans inquiets du projet du Service National Universel

'"Le SNU vise à préparer les citoyens de demain. Quel genre de société on prépare si on leur apprend dès l'adolescence à s'auto-censurer ?", confie à Anadolu, Marwan Muhammad, ancien directeur du Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF).

Qualid Filsde Mohamed Chine  | 15.01.2019 - Mıse À Jour : 17.01.2019
France : Musulmans inquiets du projet du Service National Universel

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AA/ France/ Fatih Karakaya

Lors de la campagne présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron avait promis un Service National Universel (SNU), sans que cela soulève à l’époque de questions. Or les conditions de ce nouveau service commencent à se préciser. D'après des sources gouvernementales, les premières expérimentations seront menées dans plusieurs départements en 2019 et ensuite généralisées dans toute la France. Mais en même temps, l'inquiétude s'installe chez les Musulmans qui voient dans ce projet un nouveau prétexte pour les stigmatiser.

Ainsi, selon les médias français et les déclarations des membres du gouvernement, le service va durer un mois dont 15 jours obligatoires pour des adolescents de 14 à 16 ans qui seront en hébergement collectif dans des structures militaires. Ceux qui le souhaitent peuvent achever les 15 jours restants.

Or, ce nouveau service suscite une nouvelle controverse dans le cadre des débats relatifs à la laïcité. En effet, depuis que l’Observatoire de la laïcité a publié sur son site internet, le 2 janvier, une étude sur l’application du principe de la laïcité dans le cadre de cette réforme, une grogne s’élève au sein de la communauté musulmane de France.

Cet organisme public qui assiste le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de la laïcité en France, précise que "la loi du 15 mars 2004, prohibant le port de signes et tenues religieux ostentatoires par les élèves de l’enseignement public, ne pourra pas s’appliquer tellle quelle à la première phase du SNU, où les jeunes de 14 à 16 ans seront astreints, pour une quinzaine de jours dont au moins un week-end, à une période d’hébergement collectif".

Malgré ce rappel, dans un entretien accordé, le 8 janvier, à la chaîne israélienne I24 News, le ministre français de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer a confirmé « qu'il ne suivra pas les recommandations de l'Observatoire et que l'interdiction de toute pratique ou visibilité religieuse avec une application stricte du principe de neutralité sera de rigueur ».

Avec cette déclaration, le ministre a rassuré les partisans d'une laïcité stricte, notamment le magazine «Marianne» qui accusait l'Observatoire "de reculer sur le principe qu'il est censé défendre", dans une tribune publiée 2 jours auparavant.

Pourtant, Nicolas Cadène, rapporteur générale de l'Observatoire a rappelé aussitôt sur son compte twitter, en réponse au ministre que « cette note ne fait aucune recommandation, elle ne fait que du droit. C’est une analyse juridique, un rappel du cadre légal », précise-t-il.

En fait, plusieurs questions d'ordre organisationnelles ne trouvent pour l’heure pas de réponse. En effet, les musulmans voient dans ce nouveau service une nouvelle atteinte à la religion en France.

Pendant ces 15 jours, les adolescents seront sensibilisés dans des logements mixtes, aux principes de “laïcité” et militaires de défense nationale. En clair, les enfants mineurs seront retirés à leur foyer sans pouvoir le refuser. Le gouvernement prévoit même des sanctions en cas d’absence notamment des amendes, l’interdiction de passer des examens et l’impossibilité de passer le permis.

'"Le SNU vise à préparer les citoyens de demain. Quel genre de société on prépare si on leur apprend dès l'adolescence à s'auto-censurer ?", confie à Anadolu, Marwan Muhammad, ancien directeur du Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF) et qui s'occupe désormais de la Plateforme les Musulmans.

"On va pousser les jeunes à cacher leur foi et leurs opinions, à l'âge où justement on apprend à connaître et à respecter les autres tels qu'ils sont. Quelle dérive", proteste encore, le cadre associatif musulman.

De son côté la Plateforme "Les Musulmans" a exprimé son "regret" dans un communiqué de presse rendu public le 10 janvier.

"Nous nous opposons aux positions d’un gouvernement qui souhaite limiter la liberté religieuse de nos enfants et leur imposer un contrôle idéologique à travers des discriminations illégales et irrespectueuses du principe de laïcité, de sa compréhension et de son application", déclarent les responsables de la plateforme.

De plus en plus de responsables associatifs et médiatiques appellent à la mobilisation. Dans un entretien accordé à Anadolu, le président de la Coordination contre le Racisme et l'Islamophobie (CRI), Abdelaziz Chaambi, met en garde "contre l'assimilation forcée et appelle les responsables musulmans à ne plus se taire".

"Il s’agit là, d’une énième tentation de l’état de stigmatiser certains enfants dans un contexte de chasse aux musulmans perpétuelle", déclare à Anadolu, Elias d'Imzalène, directeur de publication du site d'information Islametinfo.fr 

Le gouvernement justifie ces mesures par la volonté de lutter contre le radicalisme mais le mélange des genres est inexplicable. Tout d'abord, parce que cela laisse entendre que tout musulman pratiquant est par définition radical. Pratiquer une religion ne mènerait donc qu'au radicalisme. Par ailleurs, le SNU est avant tout un projet visant à donner envie à des ados de devenir militaires, policiers ou gendarmes donc des métiers de protection des citoyens.

"Mais, pourtant cela dérive vers une véritable chasse aux religieux. Les enfants ne pourront donc plus faire leurs prières, les filles porter le hijab, les garçons leurs jellabas ou leurs tefilines et leur kippa, ou même communier en groupe la journée, le soir pour les chrétiens, le vendredi et le samedi ou encore le dimanche. L’expression de leurs idées politiques ou différences sera également proscrit", précise encore Elias d'Imzalène,

Il appelle également à la mobilisation de tous les citoyens en "ne croyant plus à une réaction de parents musulmans ou non et d'autres associations représentatives de leurs communautés."

De son côté, le président de Conseil pour la Justice et la Paix (COJEP) International, Ali Gedikoglu a fustigé l’idée d’un SNU obligatoire. « A partir du moment où ce service a vocation à inciter à choisir une carrière militaire ou policière, il devrait être facultatif voir peut-être incitatif mais pas obligatoire », déclare-t-il à Anadolu.

Pour le président du COJEP, cela s’apparente à une volonté de « lavage de cerveau ». Il rappelle que "la liberté religieuse est le fondement même de la République Française".

Il se dit prêt à se réunir avec les autres associations qui refusent ce diktat d’état afin « de faire revenir à la raison le gouvernement ».

D'ailleurs sur les réseaux sociaux, certains se demandent comment le SNU va être appliqué dans la mesure où le samedi est un jour de shabbat. "Empêcher l’observance du shabbat pourra s'apparenter à de l'antisémitisme" pouvait-on lire sur certains commentaires. D'autres parient d'ailleurs que le projet sera abandonné pour cette raison.

Mais d'autres sont plus pessimistes et craignent que des "arrangements soient prévus pour des communautés et pas pour d'autres."

Avec l’émergence du mouvement des gilets jaunes, les polémiques autour des musulmans avaient faibli. Et voici qu’avec le SNU, apparaissent de nouveau les signes avant-coureurs d’une stigmatisation toujours d’actualité.

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