France: Les victimes d’établissements catholiques dont Bétharram entendues par la commission d’enquête parlementaire
Le porte-parole du collectif des victimes de Bétharram, Alain Esquerre, a été auditionné ce jeudi matin aux côtés de collectifs de victimes d’autres établissements

Provence-Alpes-Cote d Azur
AA / Nice / Feïza Ben Mohamed
Ce jeudi 20 mars 2025 a marqué le début des auditions de plusieurs collectifs de victimes, par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle par l’Etat, des violences faites à l’école.
Parmi les témoignages recueillis au cours de cette importante journée, figure celui d’Alain Esquerre, à la tête du collectif de victimes de Notre-Dame de Bétharram, par lequel le scandale médiatique a éclaté.
Tour à tour, les représentants de ces collectifs de victimes d’établissements privés catholiques ont pris la parole, pour décrire non seulement les violences subies depuis des décennies par des élèves, mais également le silence qui a régné au sein de ces structures privées sous contrat avec l’Etat.
Dès le début des auditions, le député LFI (La France Insoumise), Paul Vannier, co-rapporteur de la commission, a précisé que les auditions menées dans ce cadre, ne se dirigeraient pas « vers la recherche de responsabilités individuelles, qui relève du travail de la justice ».
« Notre objet est de venir identifier d’éventuelles défaillances dans les modalités de contrôle par les différents services de l’Etat (…) au sein du réseau d’établissements sous contrat notamment de l’enseignement catholique dont il faut rappeler qu’il est largement financé sur des fonds publics », a-t-il poursuivi, espérant que « l’identification de ces défaillances » permettra « de proposer des évolutions pour empêcher d’autres Bétharram ».
- La loi du silence au coeur des mécanismes:
Ancien élève de Notre-Dame du Sacré Cœur de Dax, le représentant du collectif de victimes de l’établissement, Bernard Lafitte, a pris la parole en premier lieu pour expliquer que « personne n’en parlait ». Le septuagénaire assure n’en avoir lui-même jamais parlé à ses parents.
« La première personne à qui j’en ai parlé c’est mon épouse, il y a trois semaines », a-t-il fait savoir, estimant que ses parents « ne l’auraient pas cru » considérant que l’établissement représentait « le sommet de l’excellence ».
Et de poursuivre: « Heureusement que je ne l’ai pas raconté finalement avec le recul parce que comme on m’aurait pris pour un menteur (…) on m’aurait envoyé à Bétharram ».
Selon cet ancien élève, il existait un véritable « tabou ».
Son propos a été largement appuyé par Didier Vinson, représentant du collectif de victimes du collège Saint-Pierre Relecq-Kerhuon qui a expliqué « qu’aucune aide n’aurait pu être sollicitée auprès de la direction de l’école puisque la violence y était systémique ».
« À part les femmes qui nous servaient à la cantine, tout le monde était dans la violence (…). Ils étaient recrutés pour ça. Si on s’était plaints auprès du directeur ou d’un professeur, de la violence, on s’en serait pris d’autres et il y aurait eu des mesures de rétorsion derrière. Les parents on n’en parlait pas parce qu’on nous mettait là pour ça et je n’arrive pas à croire que le diocèse ait pu ignorer ces choses-là, puisque le collège » était présenté comme tel.
Le sexagénaire, qui assure avoir « l’audition altérée » par « des paires de gifles », se demande aujourd’hui « ce qu’a fait l’Etat pendant tout ce temps » et pointe l’absence « de signalement pendant 30 ans ».
- L’inertie de l’Etat mise en lumière:
Interrogée par la co-rapporteure de la commission d’enquête parlementaire, et députée "macroniste" Violette Spillebout, Evelyne Le Bris, représentante des victimes du Bon Pasteur d’Angers, a dressé un constat sans appel de l’action de l’Etat dans le traitement de ces affaires de violences scolaires.
« Il n’y avait pas de contrôle. C’était la porte ouverte à toutes les exactions. Les bonnes soeurs, elles n’avaient rien de bon, elles nous martyrisaient. Les rares filles qui arrivaient à prendre le dessus, elles fuguaient mais quand elles revenaient, on leur tondait les cheveux à ras et on les enfermait au mitard avec une couverture, un matelas pourri, un sceau hygiénique dans le coin » a-t-elle relaté.
Et de trancher: « Je ne peux pas vous dire le fond de ce que l’on a vécu. Je suis soft ».
Dans la même veine, Constance Bertrand, qui représente les victimes de Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, affirme qu’à « aucun moment les enfants n’ont été entendus » dans le cadre des contrôles qui ont pu être organisés après par l’académie.
« On nous prévenait une ou deux semaines avant et là tout le monde était sage », relate la jeune femme qui dénonce « un modus operandi de toutes les écoles privées catholiques » dans lesquelles « il ne faut pas atteindre la réputation de l’école ».
Elle indique que certains élèves qui se sont plaints des gestes déplacés d’un prêtre, se sont vus opposer par l’un des dirigeants, qui a par ailleurs longtemps sévi à Bétharram, « des gestes de manque d’affection d’un homme de Dieu ».
Relatant les agressions sexuelles d’un professeur sur des élèves de 5ème, elle indique que la direction était informée des faits sans jamais les faire remonter alors même que l’enseignant était arrivé dans l’établissement « avec déjà une réputation ».
« Je ne sais pas pourquoi il n’y a jamais eu de signalements. Il n’y a eu aucune traçabilité de ces personnes qui sont venues, dont on sait qu’elles ont fait des choses, et qui ont ensuite poursuivi leur chemin dans d’autres écoles, à agresser d’autres enfants » grince, par ailleurs, la représentante des victimes de Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine.
Ixchel Delaporte, qui représente pour sa part les victimes de Riaumont de Liévin, abonde elle aussi dans le même sens accusant « les institutions publiques » d’avoir « fait en sorte que ce lieu existe » et d’avoir eu « des alliances objectives » pour couvrir les faits dont l’établissement catholique a été le théâtre.
« La chaîne (de responsabilité) est immense parce que les enfants ont parlé mais pourquoi personne n’a bougé alors que tout le monde était au courant? Ça a été un lieu protégé jusqu’en 2019, où il y a eu des auditions pour un viol survenu en 2013 », a déploré l’intervenante face à la commission d’enquête parlementaire.
Pour Alain Esquerre, « le système est bien huilé, il ne faut pas faire de vagues » et s’il n’y avait pas eu de relai « dans la presse », certains agresseurs et violeurs de Bétharram n’auraient jamais été suspendus.
- Quelles avancées après la mise en œuvre de la commission d’enquête?
Paul Vannier et Violette Spillebout se sont rendus dans le Béarn en début de semaine et notamment à Notre-Dame de Bétharram pour saisir des documents et tenter de comprendre le fonctionnement qui a régné dans cet établissement privé catholique réputé pour son extrême rigueur.
En parallèle à ces démarches et au début des auditions à l’Assemblée Nationale, l’Education nationale a débuté le 17 mars, une inspection de l’établissement, à la demande de la ministre Élisabeth Borne.
« Nous n’attaquons pas l’Eglise, nous attaquons des prédateurs. S’il y a des prêtres qui sont des prédateurs, ce n’est pas notre faute (…). Qu’ils fassent le ménage chez eux! », a lancé Bernard Lafitte.
Le député Paul Vannier a quant à lui assuré que le travail des parlementaires impliqués dans cette commission devait permettre d’améliorer le traitement et la prévention de ces violences en appuyant le contrôle de l’Etat.
« Nous commençons, aujourd’hui, nos auditions par celles des collectifs de victimes. Tout part de leur courage et de leur force. Elles nous diront à quelles portes fermées, à quels silences, mépris, déni elles se sont heurtées parfois pendant des décennies » a-t-il fait valoir.
Pour rappel, pas moins de 152 plaintes ont été déposées à ce jour pour des faits intervenus entre les années 50 et les années 2000.
Un homme 59 ans a été mis en examen et écroué courant février pour des faits de viol aggravé et agression sexuelle aggravée. Les deux autres personnes interpellées au même moment ont quant à elles été relâchées au terme de leur garde à vue, les faits pour lesquels ils sont mis en cause étant prescrits.
Le Premier Ministre François Bayrou, visé par un signalement classé sans suite, reste pointé du doigt pour n’avoir jamais signalé les faits à la justice alors même que ses propres enfants ont été scolarisés au sein de Notre-Dame de Bétharram et que son épouse y a enseigné le catéchisme.
Mercredi prochain, plusieurs dizaines de plaintes doivent être déposées au tribunal de Tarbes pour des violences et violences sexuelles qui auraient eu lieu à Notre-Dame de Garaison.
Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.