France : Les nationalistes arméniens tentent d’imposer la censure par le terrorisme intellectuel (Entretien)
- L'historien Maxime Gauin répond aux questions de l'Agence Anadolu suite à la suppression d'un de ses articles par un média français.

France
AA/ Paris / Ümit Dönmez
L'Agence Anadolu (AA) s'est entretenue mardi avec l'historien Maxime Gauin. Le mois dernier, un de ses articles qui avait été publié par le site d'information « Atlantico » a été censuré, suite aux menaces exercées par des réseaux nationalistes arméniens de France à l'encontre du directeur de publication.
Monsieur Gauin, vous avez publié, le 23 octobre dernier, une tribune dans le journal en ligne Atlantico, sur le conflit du Karabakh, puis, deux jours après, votre article a été retiré de ce site d’information. Que s’est-il passé ?
D’après les informations que j’ai pu recueillir, des fanatiques arméniens ont menacé de rouer de coups le directeur de la publication. Ce n’est pas nouveau : des journalistes collaborant avec le quotidien Libération, ainsi que d’autres, travaillant pour la chaîne de télévision TF1, ont été publiquement menacés de mort. Un article a été retiré du site de Libération et un reportage supprimé du site de TF1 à cause de ces menaces. Mis à part Reporters sans frontières, très peu ont réagi à ces attaques sans équivalent contre la liberté d’expression en France. Même le massacre à la rédaction de Charlie Hebdo n’a pas conduit au retrait d’une seule ligne.
Heureusement, Causeur l’a publiée à son tour sur son site et ne l’a pas retirée.
Votre tribune portait sur le conflit du Karabakh, comme nous le disions. Plus précisément, de quoi y parliez-vous ?
De l’action funeste menée par les éléments extrémistes de la diaspora arménienne, qui a poussé, en Arménie, les plus nationalistes à l’intransigeance, au refus d’évacuer ne fût-ce qu’une partie des territoires occupés, et des perspectives de paix avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, paix qui est dans l’intérêt de tous et d’abord de l’Arménie elle-même, car elle n’a pas d’avenir sans cela. La dépendance à la Russie et plus encore à l’Iran des mollahs a créé une économie où quelques oligarques s’enrichissent alors que la masse de la population s’enfonce dans la misère et part de plus en plus à l’étranger. Je n’ai pas abordé la question de 1915, qui n’avait guère de rapport. Mais la moindre contradiction est insupportable pour ces fanatiques.
Comment expliquez-vous le choix de ce média de vous censurer à la suite de ces pressions et menaces ?
Je ne veux vexer personne, mais cela relève du manque de courage. Emine Çetin, organisatrice de la manifestation contre la proposition de loi Boyer en janvier 2012 (texte censuré par le Conseil constitutionnel le 28 février de la même année), a été menacée au téléphone. Elle a porté plainte. La cour d’appel de Versailles a condamné, en 2014, les deux auteurs des menaces, les frères Der-Hagopian. Si d’autres plaintes avaient permis la condamnation de quinze ou vingt extrémistes de ce genre, il n’y aurait plus aucune menace venant de ce milieu en France.
Est-ce la première fois que vous faites l’objet de censure ? Avez-vous subi des pressions ou des menaces pour vos écrits ou opinions ?
Je suis menacé de mort depuis 2008 et j’ai été physiquement bousculé en 2009, heureusement par une personne que j’aurais pu maîtriser si besoin en avait été. Le pic de menaces a été atteint pendant la guerre arméno-azerbaïdjanaise de l’automne 2020, parce que j’ai défendu l’application du droit international — les quatre résolutions du conseil de sécurité de l’ONU (1993) garantissant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et l’arrêt de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (Chiragov contre Arménie, 2015) jugeant que l’Arménie était l’envahisseur, la puissance occupante.
La censure, oui, je la subis depuis 2011. Un article n’ayant absolument rien à voir avec les Arméniens m’avait été réclamé par une revue historique française, avait été approuvé par le comité de lecture, puis pré-publié en ligne. La version papier l’a intentionnellement omis, à la suite de pressions, voire de menaces, sur les responsables. Plus récemment (2016-2017), après avoir dit oui, des revues anglo-saxonnes ont renoncé à publier un de mes articles, les responsables étant terrorisés à l’idée d’être roués de coups. J’ai été confronté à une terreur similaire l’an dernier, chez un éditeur anglo-américain cette fois. Je ne suis pas un cas unique : l’historien américain Stanford Jay Shaw a été victime d’une tentative d’assassinat par engin explosif, en 1977, perpétrée par l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA) ; puis, son bureau a été saccagé ; il a dû passer six mois à Istanbul, en 1982, pour échapper à une seconde équipe de tueurs, toujours de l’ASALA ; son éditeur a été menacé de mort par Monte Melkonian, assassin d’enfant et numéro 2 de l’ASALA, mais lui n’a pas plié.
Vous avez engagé plusieurs procédures judiciaires contre des extrémistes arméniens. Un procès a eu lieu la semaine dernière. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Volontiers. Face au déchaînement de violence verbale, il faut bien se défendre. J’ai porté plainte en 2008 contre un cadre de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), qui a été condamné en 2010 pour m’avoir injurié. J’ai engagé ensuite d’autres actions judiciaires, notamment contre l’ancien chef de la branche « politique » de l’ASALA en France, Jean-Marc « Ara » Toranian. En 2019, la cour d’appel de Paris a jugé la loi (inconstitutionnelle) du 29 janvier 2001 (« La France reconnaît publiquement "le génocide arménien de 1915" ») avait élevé la question a un tel degré d’« intérêt public » qu’il n’était pas possible de condamner M. Toranian. J’ai voulu déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre cette loi, avec mes pourvois en cassation, mais en France, ce doit être déposé par un avocat aux Conseils, un ordre séparé de celui des avocats ordinaires (comme en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne). Une dizaine de ces avocats ont refusé de déposer cette QPC, là encore par peur d’être agonis d’injures et roués de coups. Maintenant, ces procédures sont devant la Cour européenne des droits de l’homme. Comme j’avais encore une autre procédure à venir contre (notamment) M. Toranian, j’ai déposé cette QPC, légèrement modifiée, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris (chambre de la presse). Le procès, qui a eu lieu en février dernier, a été calamiteux pour les gens que je poursuis et leurs partisans. N’insistons même pas sur leurs mines à la fin, car on pourrait me rétorquer que c’est subjectif ; l’article délirant publié par le fils de M. Toranian peu après ce procès et les torrents d’injures déversés, via Facebook notamment, sur les juges suffiraient à prouver à quel point ce fut désastreux pour le nationalisme arménien.
Ici, il faut faire un peu de droit. En France, un particulier ne peut pas accéder au Conseil constitutionnel directement. Il faut déposer une QPC dans le cadre d’un procès. Pour qu’elle soit transmise, il faut que la loi soit applicable au litige (c’est-à-dire qu’elle soit utilisée contre l’une des parties en cause), qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que la QPC pose un problème juridique sérieux. Le tribunal a jugé que la loi du 29 janvier 2001 était bien applicable au litige et n’a pas évidemment prétendu qu’elle avait déjà été déclarée conforme à la Constitution. Quel a été son unique argument pour refuser de la transmettre ? Une jurisprudence périmée du Conseil constitutionnel sur les lois dépourvues de portée normative. Là encore, il faut faire un peu de droit, mais c’est simple à comprendre. La portée normative d’une loi, ce sont les droits ou les obligations qu’elle crée. De 1982 à 2002, le Conseil constitutionnel jugeait qu’une loi qui se borne à bavarder, qui n’a donc aucune portée normative, ne mérite même pas d’être supprimée. Il a ensuite évolué, en censurant des articles de loi dont la portée normative est incertaine (2003, 2004) puis d’autres, qui n’en ont strictement aucune (2005, 2016, 2017, 2018). Nous soutenons que la loi du 29 janvier 2001 crée une espèce de droit de diffamer et revêt dès lors une portée normative incertaine. Le tribunal nous a répondu qu’elle n’en a pas du tout et qu’elle ne peut donc pas être censurée : c’est doublement faux, comme je viens de vous l’expliquer.
Le procès en appel s’est bien passé, mais en première instance, tout s’était plus que correctement déroulé aussi. Je dois hélas en revenir à l’éternelle question des menaces. En 1982, une foule déchaînée, composée de membres de la FRA et de la branche « politique » de l’ASALA, a encerclé la cour d’assises d’Aix-en-Provence et a ouvertement menacé de la lyncher si le terroriste jugé était condamné à une peine supérieure au temps passé en détention préventive (Haïastan, février 1982, p. 14). En janvier 1984, le chroniqueur judiciaire de France 3 a déclaré que la cour d’assises de Paris venait de juger des terroristes de l’ASALA sous la menace physique exercée par les partisans de ces criminels. Dans son journal Hay Baykar du 20 décembre 1986, M. Toranian a écrit, à la suite de la condamnation de Monte Melkonian (terroriste dont je parlais plus haut), qu’il fallait commettre des attentats pour tordre le bras à la justice française. Le vote du Parlement européen sur le « génocide arménien », en 1987, a été extorqué par des menaces avec armes, en plein Parlement. En janvier-février 2012, le président du Conseil constitutionnel a été injurié et menacé par des fanatiques arméniens (Jean-Louis Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, Paris, Robert Laffont, 2016, p. 100). En 2017, M. Toranian a déclaré textuellement : « La cible, c’est le Conseil constitutionnel. » Cette année, son fils a écrit sur Facebook qu’il faudrait organiser des manifestations, afin d’intimider la cour d’appel de Paris et le Conseil constitutionnel ; or, pour ne citer que les cas les plus récents, les manifestations nationalistes arméniennes de l’an dernier, à Paris et à Bruxelles, se sont soldées par des jets de pierre et des agressions physiques. La semaine dernière, M. Toranian père paraissait choqué que j’aie publiquement énoncé cette évidence : ses partisans les plus radicalisés sont capables d’écrire, par lettres anonymes, que si ma QPC est transmise, les enfants des juges recevront du vitriol sur la figure. C’est pourtant, je le répète, une évidence. J’aimerais que ce soit une évidence pour la préfecture de police de Paris aussi.