France: Les mosquées incendiées, une affaire en voie de "banalisation"?
Les incendies criminels contre les mosquées peinent à être médiatisés et à déclencher des réactions au sein de la classe politique, comme dans le cas de l'acte qui a visé une mosquée à Château-Thierry la semaine dernière.

Paris
AA - Paris - Bilal Muftuoglu
Depuis le mois de janvier 2015, une soixantaine de mosquées ont été attaquées en France, selon les chiffres du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), soit trois mosquées ciblées par mois en deux ans.
L'article 322 du Code pénal prévoit jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour toute dégradation de lieu, utilisé notamment par une religion déterminée. Pourtant, les condamnations peinent à être prononcées tout comme l'identité des agresseurs à être déclinées.
L'incendie criminel qui a visé la mosquée de Château-Thierry (nord-est de la France), en fin de semaine écoulée, a été le dernier exemple en date des actes anti-musulmans, ayant du mal, non seulement à déclencher des réactions au sein de la classe politique, mais aussi à être médiatisés tout court, voués ainsi à tomber dans l'oubli.
Les éléments qui entourent l'incendie, qui a visé la salle de prière des femmes de la mosquée, gardent leur mystère, dès lors que l'identité de son auteur et les motifs derrière cet acte sont encore inconnus. Le premier acte anti-musulman de cette commune de 20 000 habitants a été mollement condamné par le ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux, qui a souligné, dans un communiqué, que "la République assure à l'ensemble des citoyens la sécurité des lieux de culte".
Emmanuel Macron, ancien ministre de l'Economie, a été le seul candidat à la Présidentielle et l'unique homme politique à l'échelle nationale, en dehors du gouvernement, à condamner cet acte "intolérable".
"Je voulais, non seulement, condamner ce qui s'est passé, mais redire que notre projet, ce qui est d'ailleurs, le cœur du projet de la République, c'est que chacune et chacun puisse croire ou ne pas croire (...) A ce titre, je voulais apporter toute ma solidarité à celles et ceux qui ont été victimes de ce geste criminel", a-t-il déclaré dans une vidéo publiée sur son compte Twitter.
Cette faible condamnation des actes qui visent les mosquées en France confirmerait, non seulement, la "banalisation" des faits, mais serait même un choix volontaire pour les hommes politiques, dans un contexte sécuritaire tendu, depuis les attentats de 2015, affirment les experts dans leurs commentaires faits à Anadolu.
"Les hommes politiques ne réagissent pas autant à ces actes racistes, car il y a une banalisation des faits", estime Marwan Muhammad, directeur du CCIF, dans son commentaire, soulignant que les informations sur ces actes sont fortement triées à l'échelle nationale.
"Il y a seulement des réactions au niveau local, notamment, auprès des mairies et des associations, sans aucune réaction émise au niveau national", déplore ainsi le responsable.
Muhammad aborde, également, la question de "rapports internationaux", qui pousserait en particulier la droite et l'extrême-droite, toutes les deux silencieuses sur les actes anti-musulmans, à réagir fortement à d'autres types d'actes, comme dans le cas de l'assassinat de l'ambassadeur russe à Ankara ou encore les attaques qui visent les Chrétiens d'Orient.
Il met, par ailleurs, l'accent sur la "prime" dérivée tirée d'une "islamophobie politique", comme dans le cas de la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle aux Etats-Unis, à la suite d'une campagne d'ampleur sans précédent contre les Musulmans. "Le fait d'avoir un discours islamophobe paye électoralement", résume-t-il.
Pour Marouane Zaki, responsable des comités à SOS Racisme, ce type d'actes contre les lieux de culte musulman s'inscrit bel et bien dans le contexte du racisme, pourtant, il ne figure pas autant dans le discours politique et antiraciste. "Le climat social de la France est très sensible à l'heure actuelle", explique Zaki, évoquant les attentats qui ont visé la France et d'autres pays européens depuis 2015.
"L'islam s'inscrit depuis ces attentats dans un contexte de haine", renchérit-il.
"Les hommes politiques auraient dû condamner cet acte, ne serait-ce que d'une manière superficielle", déplore pour sa part Kevser Dilek, rapporteuse de l'Organisation of Racism and Islamophobia Watch (ORIW).
"Cette absence de réactions ne fait que passer le message suivant aux musulmans: 'Nous ne vous prenons pas au sérieux'", estime encore Dilek. "Les hommes politiques français n'envisagent même pas de se tenir aux côtés de la communauté musulmane pour séduire stratégiquement l'électorat musulman", ironise-t-elle.
Dilek pointe par ailleurs le paradoxe de cette indifférence aux actes anti-musulmans en voie de "banalisation". "Si on prédit des telles attaques contre les mosquées et les considère comme une banalité, il faudra alors les sécuriser davantage comme c'est le cas pour les synagogues", note la rapporteuse de l'ORIW.
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