France : La loi sur le séparatisme commence déjà à être appliquée sans être promulguée (Reportage partie 2)
- Après avoir constaté que le nouveau projet de loi sur le séparatisme visait directement les musulmans, Dominique Vidal-Sephiha analyse cette fois la différence avec les autres communautés.
Ankara
AA / Paris / Fatih Karakaya
Alors que le président français Emmanuel Macron a annoncé le 2 octobre les grandes lignes de sa future loi sur le « séparatisme » rebaptisée depuis « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains », plusieurs personnalités dont Dominique Vidal-Sephiha, s’indignent du caractère islamophobe de la loi. (RAPPEL)
Tandis que les musulmans se sentent de plus en plus visés et stigmatisés, Vidal-Sephiha révèle que le président du CRIF, Francis Kalifat avait fait pression sur Jean Castex pour maintenir la circulaire Alliot Marie. En effet, d’après lui, le 11 juin dernier, « la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu à l'unanimité un arrêt qualifiant le boycott de droit citoyen et a même exigé que la France verse 100 000 euros de dommages et intérêts aux militants BDS de Colmar sanctionnés jusqu’en Cassation ».
« Le 16 septembre, la CEDH a rendu cet arrêt définitif, le gouvernement français n’ayant pas exercé de recours auprès de sa Chambre d’appel. Cela n’a pas empêché Francis Kalifat, le président du CRIF, d’exiger du Premier ministre Jean Castex qu’il réaffirme la validité de la circulaire Alliot-Marie, appelant les parquets à porter plainte contre les actions de BDS ».
Il regrette que le CRIF ait « obtenu de lui cette violation du droit européen ». Pourtant, l’historien reste confiant en affirmant que le Premier ministre « ne peut ignorer que la CEDH est la plus haute juridiction d’Europe. »
En revanche, dans le cas contraire, « la France se retrouverait aux côtés des régimes populistes de Biélorussie, de Hongrie ou de Pologne dans la violation du droit et des libertés », prévient-il.
Il rappelle « qu’Emmanuel Macron se présentait comme le champion de la lutte contre les illibéraux ».
La lutte contre les musulmans a déjà commencé
A peine un jour après le discours d’Emmanuel Macron, La mosquée Omar à Paris 11e a subi une perquisition pendant les cours d’arabes, traumatisant enseignants et élèves présents dans les locaux.
Par la suite, vendredi 2 octobre, la Préfecture de Seine-Saint-Denis a partagé sur Twitter : « Lutte contre l'Islam radical. Fermeture ce matin par la préfecture de la Seine-Saint-Denis d'une école clandestine à Bobigny rassemblant dans des conditions inqualifiables plusieurs dizaines d'enfants hors de la loi et des principes républicains ».
Le même jour, le site d’information « Islam et Info » a aussi annoncé sur Twitter « qu’un collège musulman de la commune de Chelles, totalement dans les normes avec profs diplômés, local parfait, a été empêché d'ouvrir au dernier moment. 48H avant, ils prétendent avoir perdu leur dossier et qu'ils ne peuvent pas ouvrir car... illégal. »
Avant même la promulgation de la loi, « les avant-goûts se montrent déjà très amers pour les musulmans », rappelle à Anadolu Agency, Elias d’Imzalène, le fondateur du site qui appelle « à se mobiliser davantage afin d’arrêter l’inquisition ».
Il faut dire que le gouvernement s’est largement appuyé sur des cas isolés ou des fakes news pour appuyer la thèse de la nécessité d’une telle loi.
En effet, dans cette optique, le journal Le Parisien avait provoqué, le mois dernier, un tollé sur les réseaux sociaux après avoir publié un article dans lequel le quotidien indiquait « que la salle de sport Imana JBB n’acceptait pas la mixité et empêchait les jeunes de prendre des douches nus ». La salle a répliqué en publiant une vidéo de ses membres de toutes origines, toutes confessions et y compris des femmes.
Cela n’a pourtant empêché ni Gérald Darmanin ni Marlène Schiappa de continuer à porter des accusations fallacieuses à l’encontre de la salle.
D’autant plus que dans la même semaine, une jeune femme de Strasbourg avait affirmé avoir été agressée par trois jeunes « qui lui reprochaient sa minijupe ». Pourtant, les médias français ont révélé que l’analyse des vidéos de surveillance ne montrait aucune violence et que la jeune femme restait évasive sur cette supposée agression.
Avant même la fin de l’enquête, ses accusations avaient une fois de plus permis aux Islamophobes de mettre les musulmans à l’index.
Sentiment d’injustice, de suspicion permanente envers les musulmans
Dans ce contexte de stigmatisation permanente, Vidal-Sephiha explique « qu’on ne peut cibler de plus en plus injustement des centaines de milliers de citoyens français et s’étonner que cela suscite un vif mécontentement, voire un profond ressentiment, notamment parmi les plus jeunes d’entre eux. »
Pour lui le vrai séparatisme a des « origines économiques, sociales et politiques ». Il partage ainsi le constat du recteur de la Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, qui dénonce "une ghettoïsation progressive (qui) s’est installée" depuis quarante ans, "d’abord urbanistique, ensuite sociologique, enfin économique, avant de devenir idéologique et identitaire ».
Les extrémistes de tous bords se frottent les mains
Pour conclure, Vidal-Sephiha regrette que « d’un côté, les fondamentalistes extrémistes exploitent le sentiment de victimisation des musulmans et que, de l’autre, les extrémistes identitaires incitent à la haine contre eux. »
Il ne comprend d’ailleurs pas que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’arrive pas à empêcher « des propagandistes fascisants de continuer à débiter leur délire raciste à la télévision. »
Mais, l’historien reste optimiste et espère même que « le gouvernement arrondisse les angles sur ce projet de loi à l’Assemblée nationale ».