Monde

France : L’abaya de la discorde fracture encore la gauche

- Entre une droite ouvertement hostile à cette robe ample et une gauche qui continue de se déchirer sur la question, les musulmans de France se retrouvent au cœur de débats qui les dépassent

Feiza Ben Mohamed  | 20.09.2023 - Mıse À Jour : 20.09.2023
France : L’abaya de la discorde fracture encore la gauche

France

AA/Nice/Feïza Ben Mohamed

Depuis l’annonce, le soir du 27 août, de l’interdiction du port de l’abaya en milieu scolaire, par le ministre français de l’Education nationale, Gabriel Attal, les crispations autour de ce sujet hautement inflammable sont à leur paroxysme.

Entre une droite ouvertement hostile à cette robe ample et à toutes les manifestations de visibilité des communautés musulmanes, et une gauche qui continue de se déchirer sur la question, les musulmans de France se retrouvent piégés, au cœur de débats qui les dépassent.


- L’union de la gauche mise à mal 

Dès l’annonce de cette interdiction controversée, LFI (La France insoumise) est l’un des premiers partis politiques à s’être insurgé, menaçant même de saisir le Conseil d’Etat et considérant qu’une telle mesure n’était pas constitutionnelle.

« La proposition de Gabriel Attal est anticonstitutionnelle. Contraire aux principes fondateurs de la laïcité. Symptomatique du rejet obsessionnel des musulmans. A peine rentrée, la macronie tente déjà de prendre le RN par la droite », tweetait à cet effet la députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain.

Jean-Luc Mélenchon a, quant à lui, encore dénoncé dimanche à l’antenne de BFMTV « l’islamophobie virulente qui règne dans (le) pays », qu’il qualifie « d’offense » et dont il assure n’avoir pas eu conscience il y a quelques années.

« Quelqu’un a décidé dans un ministère que l’abaya était une tenue religieuse » alors que « les religieux musulmans » ont réfuté cette affirmation, a par ailleurs souligné le chef de file de LFI pour qui les autorités « n’ont pas à décider ce qu’il y a dans la religion ».

Mais LFI, qui représente une composante importante de la NUPES (nouvelle union populaire écologique et solidaire), se retrouve là en opposition avec plusieurs figures et partis de cette union.

En témoigne la récente polémique provoquée par l’ancienne ministre socialiste Ségolène Royal, en réaction à un reportage d’Anadolu qui dévoilait le traitement réservé à une jeune lycéenne de 15 ans, évincée de son établissement lyonnais pour avoir porté un kimono le jour de sa rentrée.

« Ça suffit . On ne vient pas déguisé à l’école, ni kimono ni pyjama. Respectez les chefs d’établissement, les enseignants qui n’ont pas de temps à perdre avec ces caprices. Travaillez et réussissez dans l’école de la République qui vous accueille gratuitement. Préparez votre métier futur et construisez votre vie que je vous souhaite heureuse, avec sens des responsabilités. Attention car vous risquez d’être condamné pour recours abusif. Après avoir perturbé la rentrée des autres élèves, évitez d’encombrer les tribunaux », avait commenté la nouvelle chroniqueuse de la chaîne C8, provoquant un véritable tollé.

Et pour cause, la position de celle qui a affronté Nicolas Sarkozy au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2007, a quelque peu surpris puisqu’elle annonçait quelques jours plus tôt, vouloir mener la liste de la NUPES pour les prochains élections européennes.

Son commentaire virulent vis-à-vis du reportage d’Anadolu a suscité, de fait, plusieurs milliers de commentaires dans lesquels les internautes pointaient notamment « des propos islamophobes », et le « ton paternaliste de la gauche socialiste », a tel point que l’intéressée a dû publier un message d’explications pour tenter d’atténuer le mauvais buzz provoqué par sa prise de position controversée.

Mais en réalité, Ségolène Royal n’est pas la seule, à gauche et du côté des socialistes, à s’opposer corps et âme au port de l’abaya.

Le premier secrétaire du PS (Parti Socialiste) Olivier Faure a lui aussi, indiqué n’avoir « aucun problème avec l’interdiction de l’abaya » alors qu’il assurait, en janvier dernier, qu’il ne s’agissait pas « d’un vêtement religieux ».

Le porte-parole du parti, Jérôme Guedj est également venu appuyer cette position, en se prononçant favorablement à cette interdiction.

« Notre boussole, c'est l'interdiction des signes ostensibles à l'école. Dès l'instant où l'abaya ou le qamis sont portés dans une dimension ostentatoire, alors il faut les interdire comme la loi de 2004 le permet, sans difficultés majeures », a-t-il déclaré à cet effet, dans une publication sur X (anciennement Twitter).

Vient également s’ajouter aux personnalités de gauche favorables à l’interdiction de l’abaya, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF (Parti Communiste Français), qui a fait savoir à l’antenne de Sud Radio, qu’il « est favorable » à cette mesure qui vient poser « des consignes claires » qu’il « approuve ». 

- Des procédures engagées devant les tribunaux 

Dans les faits, et comme en attestent de nombreux témoignages recueillis par Anadolu, une grande partie des mises à l’écart d’élèves sur la base d’un prétendu port d’abaya, concernant en réalité le port de vêtements amples.

Dans l’Hérault (Sud-Est), à Lyon (Est), ou encore en région parisienne, plusieurs élèves ont engagé des procédures pénales ou administratives pour des faits qu’elles qualifient de « discriminations religieuses », après avoir été enjointes à quitter leurs établissements pour une chemise longue, une robe, ou un kimono.

Dans un entretien à Anadolu, le député LFI, Carlos Martens Bilongo, déplore la mise en place d’une « police du vêtement » qui s’attaque à une tenue « qui n’est même pas religieuse » et qui « stigmatise une partie de la population française à savoir les musulmans ».

« Comment faire la différence entre une robe gotique ou une robe longue de chez Gucci ou une robe hm ou une abaya culturelle à part juger par celui qui porte ce vêtement », s’interroge l’élu qui présage qu’il « il n’aura pas de texte au Parlement » puisque cette interdiction est « anticonstitutionnelle ».

Maître Nabil Boudi, avocat au barreau de Paris, a quant à lui été contacté par de nombreuses familles, démunies face aux évictions de leurs enfants, et mène le combat judiciaire.

« L’humiliation doit cesser et une autorité judiciaire doit se saisir de toute urgence de ce dossier là puisque l’ordre donné par le ministre de l’Education nationale a pour conséquence de créer des discriminations religieuses à l’égard de jeunes étudiantes », estime le conseil.

Parallèlement aux procédures individuelles, un premier recours en référé-liberté, déposé par l’association ADM (action droits des musulmans), a été rejeté début septembre par le Conseil d’Etat qui a considéré que l’interdiction de l’abaya « ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

La plus haute juridiction administrative du pays a en effet établi que le port de l’abaya se faisait « dans une logique d’affirmation religieuse, ainsi que cela ressort notamment des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves ».

Plusieurs syndicats dont « Sud éducation Paris », « La voix lycéenne » et « Le poing levé lycée » ont eux aussi saisi le Conseil d’Etat pour faire suspendre l’interdiction émise par le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal.

« Parmi les moyens nouveaux soulevés, figure celui de l'incompétence du Ministre de l'éducation à décréter ce qui est religieux par nature, en l'absence de consensus ou d'opinion majoritaire de la communauté musulmane », a détaillé Maître Lucie Simon sur les réseaux sociaux, précisant par ailleurs que « les syndicats ont mis en avant que l'abaya ne pouvant être considérée comme un vêtement religieux en soi, son interdiction se fera nécessairement au regard de la religion ou de l'origine supposées de l'élève, créant ainsi une discrimination ».

L’audience, qui s’est tenue mardi, devrait aboutir sur un délibéré dans les prochains jours mais toute décision qui pourrait être prise ne le sera que de manière provisoire puisqu’un référé conduit par définition à une décision prise en urgence et en aucun cas à une position sur le fond.

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.
A Lire Aussi
Bu haberi paylaşın